Je viens de voir le film, qui traînait sur mon ordi depuis quelque temps.
Hé bien c’est pas mal du tout.
Le parti pris choisi est de jouer la carte du récit d’espionnage (s’enracinant dans les thrillers politiques assez seventies, au final). Et ce qui est intéressant dans l’approche, c’est que, si le final (disons, les quarante dernières minutes) joue à fond sur les rouages d’une bureaucratie qui se heurte violemment aux gens sur le terrain (ressort dramatique assez éculé, qui tient en général sur les acteurs et surtout sur le montage), le début est percutant : on est sur une longue scène de torture dans un lieu indéterminé et sale, entrecoupée de flash-backs afin de situer les personnages, mais dont le caractère à la fois crapoteux, illégal et immoral est bien appuyé. Donc si le côté grand spectacle hollywoodien est assuré vers la fin, c’est par les aspects les plus rebutants du récit que le scénario commence. Et ça, c’est fort.
Le film est l’histoire d’une obsession. Là aussi, c’est classique, c’est une manière de donner un fil rouge (un fil roux, en l’occurrence) au récit tout en faisant monter un certain suspense. Le montage est irréprochable, les acteurs sont bons, tout est au service du portrait d’une monomaniaque qui pense en dehors des clous. C’est toujours bon à prendre, ce genre de choses, ça marche toujours, c’est toujours efficace, même si on retombe dans la logique de l’homme providentiel (ici la femme providentielle), postulat qui a son petit côté agaçant.
Mais en soi, c’est un film de barbouze et d’administration, dont la seule distinction est de raconter une traque autour d’un homme réel, et l’un des plus mondialement connus de surcroît.
La grosse différences avec Démineurs, c’est que, justement, en focalisant sur une femme en particulier, on s’éloigne du côté « collectif » ou « anonyme » du précédent film, dans lequel le héros est finalement interchangeable et incarne la déshumanisation et l’abrutissement par la guerre. Là, fatalement, avec un personnage aussi central, ce n’est pas possible.
Plastiquement, c’est pas mal du tout. Bon, Bigelow, c’est un peu Cameron en jupons, à savoir des images fortes, un montage percutant, une spatialisation irréprochable, une image bien travaillée, bref un cinéma d’action qui tient son discours de la première à la dernière minute. Donc on se doute bien que le film est nickel. Les scènes de nuit sont super lisibles, la manière de mettre en scène les salles de réunion et les couleurs tape bien, et il y a une façon de dédramatiser la testostérone qui est formidable : le briefing avec les troupes de choc avant l’assaut est épatant, par exemple, commençant par une mise en scène des "surhommes (porte de hangar qui s’ouvre, militaires à la mâchoire carrée…) pour conclure par une remise en place, sans réel conflit, par la nana venue des bureaux.
C’est le réel projet, j’ai l’impression, derrière l’évocation de Ben Laden. Recréer une femme forte, l’image d’une héroïne qui s’émanciperait un peu du modèle Sarah Connor / Helen Ripley tout en leur empruntant ce qu’elles ont de plus percutant : leur grande gueule. C’est un film de femme mettant en scène une femme. Sans revendication appuyée, au demeurant : Maya ne revendique rien, elle est sûre de son coup. C’est la lente construction de cette assurance qui fait la force du film.
Après, personnellement, je n’ai jamais été impressionné par Jessica Chastain. Je la trouve assez monolithique, et ce film me conforte dans cette opinion. Elle traverse l’ensemble du film avec une seule expression, celle de la colère rentrée, de la détermination muette. Quand son personnage exprime le désarroi ou la tristesse, elle se cache la tête dans les mains ou se frotte les yeux.
Le seul moment où elle est réellement impressionnante, c’est dans la dernière image, dans ce moment du retour où elle ne répond pas à la question « vous allez où ? » Là, ce personnage soudain déséquilibré et fébrile au moment de reprendre une vie normale, parfait écho du démineur perdu dans le supermarché, est d’une sensibilité incroyable.
En résumé, un film qui parle de traque et de torture, qui ne pose pas la question de la moralité des actes, mais présente une entité tentaculaire opérant dans le monde entier en cachette, infiltré jusqu’en Europe. Un réseau terroriste ? Non, une agence de renseignement.
Vicieux et subversif, l’air de rien.
Jim