Depuis la relance de Captain America dans le cadre de « Heroes Return », Mark Waid a laissé quelques subplots, annonçant l’éventuel retour du Red Skull et la présence énigmatique de Kang, le conquérant temporel. Pas bête de mêler le héros patriotique écartelé entre deux époques à un quelconque complot temporel.
Quand arrive Captain America #14 (après un épisode dessiné par Doug Braithwaite et mêlant Cap / Steve à la politique locale), il est donc temps de résoudre ces intrigues. Mais ce quatorzième épisode est spécial : il s’agit d’une plongée dans la psyché du Red Skull. Entièrement composé de pleines pages (à l’exception de la séquence finale, présentant Kang) teintée de gris où surnage le rouge du crâne du méchant, le récit a fait polémique à l’époque. On y revient très vite.
Cette plongée dans l’esprit du nazi, telle que la découvrent les lecteurs de l’époque, est un joli tour de force narratif, présentant les obsessions du méchant, jaloux, cruel et sadique.
L’action commence dans l’épisode 15, qui est aussi celui où Connie Ferrari fait son apparition officielle : c’est dans son cabinet que travaille l’un des enfants Ramirez dont Steve a la charge. C’est également dans cet épisode que Cap découvre le triste sort subi par son bouclier, désormais réduit en miettes, à l’occasion d’une scène où Andy Kubert fait preuve d’un talent évident pour la comédie.
De retour du cabinet juridique, Steve et Cap trouvent le Watcher flottant dans une position de méditation au milieu de leur appartement. À peine remis de leur surprise, tous deux font face au Red Skull, visiblement investi d’un relent de pouvoir du Cube Cosmique.
Désireux de faire durer le plaisir, le super-nazi part à la conquête du monde. Rompant son vœu de silence (encore !!!), le Watcher permet à Steve et Sharon d’avoir un aperçu du futur, un avenir dominé par le Red Skull, et provoqué, visiblement, par les actions de Cap.
Effondré par cette révélation, Steve cherche un moyen d’arrêter son adversaire. Le Watcher lui fait comprendre que son adversaire est à la recherche d’un pouvoir encore plus grand, disponible dans un vaisseau abandonné par Galactus.
Fort de cette connaissance, Cap et Sharon reviennent sur Terre (dans le « présent », même si ce n’est pas bien clair ?…), tandis que Tony Stark semble avoir compris pourquoi le bouclier incassable du héros s’est cassé : on sent bien que Mark Waid commence à ranger les jouets, à dérouler les différents fils narratifs jusqu’à leurs conclusions.
Cet épisode a pour particularité de présenter des pages encrées par Joe Kubert, le père d’Andy, afin sans doute de soulager l’encreur Jesse Delperdang. C’est pas mal, surprenant, à contre-courant de l’esthétique lisse et propre des années 1990-2000. À la fin de l’épisode, le Skull fait « remonter le temps » à Steve, au sens physiologique du terme, le héros redevenant le jeune homme malingre qu’il était avant sa transformation.
Le cliffhanger est plutôt costaud, mais il sera rapidement évacué dans les pages suivantes, sous le prétexte que le Skull préfère ne pas abuser de son pouvoir, et rend ses capacités à son adversaire. Dommage, j’aurais bien pris une plus grande dose du « powerless Steve ».
Mais si les débuts de ce chapitre déçoivent, l’épisode nous donne à voir une scène à laquelle on pensait ne jamais assister : Cap tue le Skull, ne trouvant pas d’autres solutions à ce conflit.
Aussitôt après cette amère victoire, le Watcher dévoile sa réelle identité. On se doutait bien que ce chauve bavard n’était pas le vrai, et on soupçonnait qu’il s’agissait de Kang. Mais en fait, non : il s’agit de Korvac (dans un jeu de masque superposé qui n’est pas sans rappeler la conclusion de « Capmania » : Waid donne l’impression d’en faire un peu trop, cela dit). Un personnage que, pour ma part, je n’apprécie pas des masses, mais que le scénariste sait rendre inquiétant. Et effectivement, l’avenir qui se prépare pour la Terre est dû à Cap. Korvac disparaît dans un portail dimensionnel, aussitôt suivi par le héros.
Et là, Waid livre le gros morceau de sa saga. Captain America #18 est dessiné par Lee Weeks. L’action se passe intégralement dans l’avenir sur lequel règne Korvac.
L’intrigue montre que Cap ressurgit afin de renverser la dictature. Mais Korvac déjoue l’attaque et reboote la ligne temporelle, remettant en place son régime… dans lequel Cap ressurgit afin de renverser la dictature. Et ainsi de suite, pendant tout l’épisode, qui me fait penser à un excellent récit de Doctor Who, diffusé des années après, dans lequel le Docteur, incarné par Peter Capaldi, revient dans une boucle temporelle taper des milliers de fois sur une surface en diamant jusqu’à ce qu’elle cède.
Telle est la construction de ce Captain America #18, en boucle temporelle qui se répète mais qui, à force de se répéter, parvient à altérer la suite des événements jusqu’à renverser Korvac et à renvoyer Cap au moment fatidique de son combat.
Renvoyé face au Red Skull, Cap choisit non de le tuer mais de l’assommer, coupant l’herbe sous le pied de Korvac. Ce dernier doit désormais faire face à Cap, un peu vénère, et au Skull, qui détient le pouvoir du Cube et s’apprête à aspirer la connaissance stockée dans le vaisseau de Galactus… sauf qu’il tombe sur plus rusé que lui !
L’épisode se conclut alors que Cap et Sharon rentrent sur Terre, une ligne de dialogue ayant bouleversé leur relation. Le recueil se referme ici, mais propose cependant un bonus de taille. En effet, le fameux Captain America #14 a connu deux versions. La deuxième version, on la connaît, c’est celle qui a été publiée et qu’on a évoquée un peu plus haut dans ce billet, dans laquelle le Red Skull étale son mépris et sa haine pour les autres. Mais la première version écrite par Waid propose une autre tonalité à la voix off : le Skull s’y présente comme une victime, un opprimé écrasé par les autres, gens de couleur, de religion ou de culture qu’il estime hostile. Matt Idelson, responsable éditorial, a estimé que ce discours victimaire pouvait vexer des susceptibilités et a demandé à Waid de proposer une version alternative, où le propos est davantage en accord avec le personnage haineux que l’on connaît, haineux, méprisant et hautain. Mais l’album propose, en conclusion de sommaire, la première version, dont les différences de lettrage attestent du travail d’écriture.
Je ne sais pas si l’affaire de Captain America #14 a entaché les relations que le scénariste entretient avec l’équipe éditoriale. Toujours est-il que, malgré ses apports à la série (notamment Connie Ferrari, qui tiendra un rôle important par la suite), il boucle ses intrigues, ne laissant rien en plan, mais ayant placé la barre très haut. Mark Waid signera encore trois épisodes, sous la supervision de Bobbie Chase, dans lesquels il résout l’intrigue du bouclier en faisant intervenir Klaw, puis l’intrigue d’un quatrième, dialogué par Jay Faerber, avant de laisser la place à DeFalco et Frenz pour un fill-in puis à Dan Jurgens et Andy Kubert pour la reprise de la série. Mais ceci est une autre histoire…