Après la Crisis on Multiple Earths de Wolfman et Pérez, qui a tellement ravalé la façade du multivers DC que, dès lors, les héros de l’Âge d’Or ne vivent plus sur Terre-2, un monde parallèle, mais appartiennent au passé, à la Seconde Guerre mondiale, et affichent quelques rides qui ne font que renforcer l’aspect générationnel de ce microcosme de papier, il nous est expliqué que Wonder Woman est arrivée sur Terre à l’ère moderne. De là, il a donc fallu justifier la présence de l’Amazone dans les aventures de la Société de Justice, et on a fini par nous dire que la Reine Hippolyte avait endossé le costume durant le conflit mondial (périodes Byrne et Jimenez).
Mais en réalité, l’idée que la Reine puisse prendre l’apparence et la place de Wonder Woman remonte à très loin, bien plus loin que les révisions de continuité des décennies récentes.
En effet, dans Sensation Comics #26, daté de février 1944, Moulton et Peter nous proposent un épisode commençant en pleine action, à l’occasion de quoi la Reine Hippolyte, utilisant la « magic sphere » qui dépanne les auteurs dès qu’il s’agit d’expliquer l’inexplicable ou de justifier le saugrenu, découvre qu’un sort funeste attend sa malheureuse fille.
N’écoutant que son cœur de mère, la souveraine prend son avion et se rue dans le monde des hommes, décidément mal fréquenté. En chemin, elle songe que la ressemblance physique entre elle et sa fille est telle qu’elle pourrait endosser son identité et affronter les dangers à sa place. Elle porte le costume de Wonder Woman sur les genoux (ce qui laisse entendre qu’il s’agit d’un uniforme, en plusieurs exemplaires). Arrivée en Amérique, elle prend l’apparence de Diana Prince, et quand Wonder Woman arrive, la rencontre vire rapidement à l’altercation et au crêpage de chignon. Le trait faussement naïf (et assez juste) de Harry G. Peter rend savoureux ce cat-fight mère-fille. Précisons que les auteurs, une fois de plus, nous ressortent l’astuce du loup dissimulant les traits et empêchant que la fille reconnaisse sa mère. Ah, quelle naïveté, en ce temps-là.
Mais la Reine, plus expérimentée, l’emporte et saucissonne sa fille de son lasso, la contraignant mentalement à accepter d’être remplacée. Mais tandis que la Reine redevient Diana Prince aux yeux de Steve Trevor et des autres militaires, Diana se précipite dans le bureau où elle la croisée précédemment, espérant découvrir des indices sur son identité (ce qui en dit long sur son regard filial, mais n’épiloguons pas). Diana se retrouve donc dans la position que sa mère avait observée sur l’écran de la sphère magique, face à son agresseur (une boucle temporelle ? Mazette !), mais ce dernier ne tire pas une balle, mais un jet de gaz qui endort l’héroïne. Celle-ci se réveille amnésique, manipulée par des bandits qui veulent l’utiliser contre les militaires américains.
Cependant, si Diana n’a pas de souvenir de sa mission, sa mère veille. Utilisant ses dons mentaux, elle convainc sa fille qu’elle a la force de briser le lasso et de se libérer avant d’être écrasée par un train. Avec l’assistance de Steve Trevor, d’Etta Candy et des Holliday Girls, elle parvient à arrêter les comploteurs. À la fin de l’histoire, Diana retrouve son lasso, accompagné d’une lettre signée de la mystérieuse « Masquerader », dont l’héroïne se demande encore qui elle peut bien être.
La candeur de cette histoire, dans laquelle Moulton glisse à nouveaux quelques prouesses mentales démontrant la supériorité spirituelle des femmes, ne doit pas faire oublier qu’elle apporte de nombreux éléments au mythe : l’idée que le costume de Diana n’est pas unique, la possibilité que l’héroïne puisse être remplacée et enfin la Reine Hippolyte endossant le rôle de Wonder Woman, autant de développements qui prennent racine notamment dans cet épisode.
Jim