Le quatrième tome de cette version française entame le stock de productions plus ou moins dérivées. Et le récit principal est signé par rien moins que Bill Sienkiewicz.
Le principe est basique : un groupe de riches touristes décident d’aller à Barrow parce qu’ils ont envie de voir des vampires en vrai. Le récit se déroulant sur trois numéros, Steve Niles prend son temps dans le premier chapitre, afin de bien montrer les petites corruptions permettant cette folie. Il utilise une voix off assez dense (plus qu’à l’accoutumée), qui fonctionne très bien et nourrit le suspense. Sans doute aussi sert-elle à présenter les enjeux pour des lecteurs qui n’auraient pas suivi la trilogie de base illustrée par Ben Templesmith. La suite est classique également : attaque, massacre, fuite, riposte… La particularité étant que les vampires du récit ne sont pas humanoïdes mais semble appartenir à une race à part, que Sienkiewicz représente parfois comme des sangsues géantes.
Steve Niles accomplit l’exploit ici de s’assurer les services de Sienkiewicz, un illustrateur qui connaît une carrière fulgurante dans les années 1980 avant d’aller se consacrer à d’autres choses (notamment la préproduction cinématographique). Je suis de ceux qui considèrent que le changement de carrière de ce dernier est une perte énorme pour la bande dessinée, et qu’il aurait sans doute eu plein d’autres choses à offrir après Moon Knight, New Mutants, The Shadow, Elektra Assassin, Stray Toasters ou encore sa biopic de Jimi Hendrix. Mais bon, c’est comme ça.
Donc, le revoir sur un projet « long » est un plaisir sans mélange. Même si ce n’est pas du grand Sienkiewicz. C’est même un brin du Sienkiewicz un peu torché. Entendons-nous bien : du Sienkiewicz torché, ça reste infiniment meilleur qu’à peu près n’importe qui d’autre, mais tout de même, on sent qu’il va vite. On sent aussi qu’il découvre l’informatique, et certains effets, visiblement effectués à partir d’originaux sur papier, sont malheureux, notamment des transparences envahissantes.
Comme à son habitude, l’illustrateur mélange les techniques, mixant l’encre, la gouache, l’aquarelle, les collages, les papiers de couleurs… Même en sous-régime, il livre des cases impressionnantes, soit par leurs cadrages complètement désaxés, soit par la collision entre un trait réaliste directement hérité de Neal Adams et des traitements graphiques impressionnistes, lorgnant parfois vers l’abstrait. On retrouve, à l’occasion d’une case ou d’une planche, des tics narratifs qui ont fait les grandes heures de sa période de gloire, à l’exemple des cases surnuméraires montrées plus haut.
Les scènes d’action, notamment dans le deuxième numéro, sont parfois un peu confuses (ce qui sert le propos, vous me direz). Dans le troisième chapitre, il utilise une technique différente, dessinant des cases au trait avant de passer l’ensemble dans un rouge sang des plus évocateurs. On retrouve à cette occasion le style qu’il avait développé à ses débuts, notamment sur Moon Knight.
L’ensemble laisse une impression de désordre, mais également de générosité et de profusion. La richesse du travail fait oublier le côté « premier jet » (même si les bonus nous montrent que certaines planches ont connu plusieurs versions, les premières semblant parfois meilleures que celles qui sont publiées). Et c’est également une merveilleuse bouffée d’air frais (graphique) après trois tomes réalisés par Ben Templesmith, qui au final n’a qu’une seule technique déclinée jusqu’à la nausée.
D’ailleurs, l’album se conclut sur deux histoires courtes, écrites par Niles et illustrées par Templesmith, qui font pâle figure après la pièce montée (un brin bancale) de Sienkiewicz. Le scénario de Niles pour ces deux récits est cependant succulent, lorgnant du côté du polar noir un brin satirique.
Jim