AND THEN THERE WERE NONE / LES DIX PETITS NÈGRES (bbc)

La nouvelle adaptation des 10 Petits Nègres d’Agatha Christie.

[quote]CREATRICE

Sarah Phelps

DISTRIBUTION

Charles Dance, Douglas Booth, Burn Gorman, Anna Maxwell Martin, Noah Taylor, Sam Neill, Miranda Richardson, Toby Stephens, Aidan Turner…

INFOS

Mini-série britannique
Genre : policier
Format : 3 x 60 mn[/quote]

Les premières images de And then there were none sont visibles dans cette vidéo promo pour les futurs programmes de la BBC :

Un de mes polars préférés.

Et l’un des textes de Christie qui touche à la métaphysique du meurtre, dont Alan Moore disait que c’était absent de son œuvre.

Jim

La métaphysique du meurtre?

Peux-tu m’expliquer?

[size=50]Sinon,Agatha Christie a écrit du super-héros.
Et du James Bond.[/size]

Jim précisera lui-même, pour ma part je me souviens d’une interview d’Alan Moore pour la sortie en VF de « From Hell » (je pense que c’était pour Rock N’Folk) où le scénariste barbu n’était pas tendre avec Agatha Christie.

En gros, il justifiait l’approche « holistique » de son chef-d’oeuvre par la complexité métaphysique induite par un meurtre et ses implications sociologiques, politiques, religieuses, mystiques, etc…et l’opposait au côté « Cluedo » d’une certaine littérature policière, de la « littérature pour vieilles dames de la haute » disait-il, ou quelque chose comme ça. C’était clairement Christie (et quelques autres quand même on l’imagine) qui était visée…

Je pense que c’est à ce type de positions que Jim fait référence. Or, si j’ai lu des Christie parfaitement insipides et anodins qui correspondent assez bien à la description de Moore, en quelques occasions elle touche à quelque chose de très profond, comme ici ou dans « Le Meurtre de Roger Ackroyd », voire « Le Crime de L’Orient-Express »…

Voilà.
Le Crime de l’Orient-Express et Les Dix petits nègres posent la question d’une justice immanente, qui ne serait (peut-être) pas la justice (légale) des hommes, où à laquelle la justice des hommes se substituerait, sortant du cadre légal.
La dernière mort dans Les Dix petits nègres (que je n’ai pas relu depuis trente ans au moins, j’espère donc ne pas dire d’âneries), c’est la collision entre l’illusion d’une justice légale (dans ses propres faillites) et l’espoir d’une justice immanente, supra-humaine. En gros, c’est la Loi (avec un grand « l ») face à la Morale (avec un grand « M »).
Le principe du Crime de l’Orient-Express, c’est également d’exercer une sanction (justice ?) au-delà des lois (prescription, blablabla), en diluant la notion même de coupable : si tout le monde est coupable, personne n’est coupable.
Et tout cela a des implications sociales, psychologiques, juridiques, morales voire religieuses, et touche à une dimension métaphysique, car dans les deux cas on touche au principe de causalité, donc de responsabilité, et à la définition de la nature du mal, de la punition, de la sanction, du jugement. C’est presque l’ontologie de la justice, qui est questionnée ici.
Rien que ces deux romans me semblent invalider le jugement sans appel de Moore sur Christie. C’est pas souvent que je suis en désaccord avec le barde de Northampton, mais pour le coup, je le trouve un peu à l’emporte-pièce.
Rien que la construction narrative du Meurtre de Roger Ackroyd (il me semble que c’est le tout premier Poirot, au demeurant, mais c’est à vérifier) amène des interrogations similaires. L’astuce littéraire, exercice de style épuisant, pose la question de l’identité de l’assassin, et lorgne vers les interrogations citées plus haut.
Ce triptyque est assez énorme, faut dire.

Jim

Pour Poirot, après vérification, c’est dans « La Mystérieuse Affaire de Styles » (le premier Christie d’ailleurs) qu’il fait son apparition, mais c’est bien « Le Meurtre de Roger Ackroyd » qui le rend célèbre, du fait du caractère controversé de la résolution de l’intrigue, qu’il serait criminel de révéler ici.

Je trouve qu’avec cette résolution (et la somme de travail qui préside à sa mise en place, en effet), Agatha Christie touche vraiment à un truc vertigineux.

[quote=« Jim Lainé »]
Ce triptyque est assez énorme, faut dire.

Jim[/quote]

oh oui

Merci pour ces explications et précisions, messieurs ! Je n’avais pas eu vent des dires du sieur Moore à ce sujet et je vois les bouquins de mon enfance (pas lus depuis aussi longtemps que Jim parce que je suis un jeune, moi, mais ça fait quand même assez longtemps aussi) d’une autre façon !

Merci pour les réponses.

[quote=« Jim Lainé »]Et l’un des textes de Christie qui touche à la métaphysique du meurtre, dont Alan Moore disait que c’était absent de son œuvre.
Jim[/quote]

En fait **Moore **ne dit pas ça.
Du moins dans Les Travaux Extraordinaires d’Alan Moore, pour ceux qui ne l’aurait pas devant les yeux comme moi ils peuvent se rendre là.

**Moore **dit, selon moi, en citant deux représentants emblématiques du *whodunit *: Agatha Christie et le Cluedo® qu’il ne voulait pas en faire un de whodunit ( c’est-à-dire « qui l’a fait ?"), mais s’intéresser aux effets profonds sur la communauté.
C’est d’ailleur le propos de From Hell, l’identité du meurtrier est connu dès le début (ou presque).
On n’est pas non plus dans du Columbo. :wink:

Et le Cluedo® & les romans d’Agatha Christie ne le font pas.
Les romans de la romancière sont avant tout, voire essentiellement des whodunit, ce que n’est pas du tout From Hell.

Agatha Christie est par ailleurs une auteure que j’aime beaucoup, au point de lire ce qu’elle a écrit mais aussi ce qu’on peut écrire sur elle et son oeuvre.

Comme quoi on peut avoir From hell comme « livre de chevet » et aimer les whodunit. :slight_smile:

Oui, enfin ça revient au même, et l’extrait vers lequel tu renvoies le prouve encore. Il dit que le whodunnit ne répond qu’à la dimension technique du meurtre (« légiste », comme employé dans le texte, à opposer au jury qui recouvrirait la dimension métaphysique dont on parle). Et il généralise le whodunnit à Christie (et en comparant au Cluedo, il réduit, aussi). Or, si les Dix petits nègres pervertit le système du whodunnit, Le Crime de l’Orient-Express est en plein dedans.
Alors je ne sais pas trop ce que Moore pense au fond de lui de Christie, je pense que dans l’extrait présenté il l’évoque à titre d’exemple, pour bien expliquer sa démarche à lui en la comparant à quelque chose de connu par tout le monde. Ce n’est pas un avis tranché et définitif, plus une démonstration. Il n’empêche que Le Crime de l’Orient-Express infirme ce qu’il dit : voilà un whodunnit qui pose des questions métaphysiques, ne serait-ce qu’en interrogeant le rôle du jury (le jury est évoqué comme expression de l’impact social et moral du meurtre).
Je crois qu’il en parle aussi dans une interview publiée dans un autre mag. J’ai lu des propos de lui il y a un an quand je préparais l’article sur From Hell. Faudrait que je retrouve précisément. Je crois qu’il évoque Christie aussi dans les bonus de la BD, notamment l’apostille intitulée « la danse des mouettes », ou quelque chose comme ça. Pareil, faudrait que je jette un œil.
(Reste aussi l’impact de la traduction : le bouquin cité par Artie, je ne l’ai ni en VO ni en VF, je l’ai emprunté à un copain il y a longtemps. Je ne sais donc pas si la traduction est bonne et fidèle (les extraits que je viens de parcourir me laissent penser que c’est bien traduit, mais bon…). Faudrait quand même que je l’achète, de préférence en VO, afin d’être proche des propos émis.)

Jim

[quote=« Jim Lainé »]…]
(Reste aussi l’impact de la traduction : le bouquin cité par Artie, je ne l’ai ni en VO ni en VF, je l’ai emprunté à un copain il y a longtemps. Je ne sais donc pas si la traduction est bonne et fidèle (les extraits que je viens de parcourir me laissent penser que c’est bien traduit, mais bon…). Faudrait quand même que je l’achète, de préférence en VO, afin d’être proche des propos émis.)
[/quote]

[quote=« Jim Lainé »]Voilà.
Le Crime de l’Orient-Express et Les Dix petits nègres posent la question d’une justice immanente, qui ne serait (peut-être) pas la justice (légale) des hommes, où à laquelle la justice des hommes se substituerait, sortant du cadre légal. …][/quote]

Je reviens là-dessus, au moment de notre discussion ça m’avait titillé mais je n’en retrouvais de trace, et aujourd’hui je relis un texte d’Alain Demouzon où il y fait allusion.
Il dit à propos de Les Dix petits nègres :

[quote]…]
Mais souvenez-vous que la traduction fautive des Dix petits nègres d’Agatha Christie a rendu pendant des décennies la version française de ce célèbre roman incompréhensible sans que personne s’en soit jamais plaint. …][/quote]

C’est un article paru dans la revue POLAR en 1991, quelqu’un sait-il à partir de quand la traduction a été révisée ?

Je le sais mais je ne te le dirais pas. °2-]
…U

Ah c’est intéressant.
Moi, j’ai dû lire le roman au collège ou au lycée, donc, mettons, au milieu des années 1980. Je ne crois pas l’avoir relu depuis, mais je l’ai, alors je jetterai un œil.
Mais l’ai-je lu dans la traduction fautive décrite plus haut ? Ou pas ? À l’époque, ça ne m’avait pas semblé incompréhensible, mais bon, ça fait trente ans, les souvenirs que j’en ai recouvrent la réalité du texte, assurément.

Jim

Moi je pense l’avoir lu un peu plus tôt, et cela ne m’avait pas non plus paru incompréhensible, et **Demouzon ** dit en substance qu’on est pas les seuls.
Quand j’aurai le temps je prendrai un version ancienne et je comparerai avec une nouvelle pour voir.
Ça peut être intéressant & amusant.

Lu fin des années 80 - tout début 90 et ça ne m’a pas gêné à l’époque !
Mais j’étais déjà un jeune écervelé !

[quote=« soyouz »]Lu fin des années 80 - tout début 90 et ça ne m’a pas gêné à l’époque !
Mais j’étais déjà un jeune écervelé ![/quote]

C’est surtout qu’il a paru en France en 1940, alors tant qu’on ne sait pas pendant combien de temps la traduction « fautive » a perduré on est pas plus avancé. :wink:

C’est sûr !
Bon, c’était un bouquin de ma mère, dans une collection aux couvertures oranges, de mémoire !