ANNIHILATOR (Grant Morrison / Frazer Irving)

Quelqu un a un avis?
Pour l instant un pote fan de Morrison était assez mesuré sur cette bd (et le début d heavy metal)

Pareil, je ne saurais te développer ça car j’avais trouvé ça confus et au final que ça n’allait pas plus loin que le gimmick du méta, ça me donner l’impression que Morrison avait pour projet d’en faire quelque chose d’ambitieux mais qu’il ne savait plus quoi en faire au final, il y aurait fallu que je le relise vu que beaucoup de ses œuvre gagnent en intérêt à la relecture, en l’état actuel, je vais faire l’impasse et me contenter de Zenith, ce mois ci.

Je serais pour ma part, au 2/3 de ma lecture de ce volume, beaucoup plus enthousiaste que mes camarades.
Je pensais avoir affaire à un de ces travaux typiques du dernier Morrison, des oeuvres relativement accessibles au regard de la part la plus hermétique de son corpus (« The Invisibles » et « The Filth », par exemple), dont le plus ancien « WE3 » serait un peu le prototype. Comme « Joe The Barbarian » ou « Happy! » (ce dernier titre étant d’ailleurs actuellement en développement), je pensais que ce « Annihilator » présentait le visage d’un Morrison « light », à l’approche épurée, plus « accessible » donc, et propice à l’adaptation sur le petit ou le grand écran en conséquence…

C’est à la fois vrai et faux. « Annihilator » ressemble bien à une sorte de condensé du travail du scénariste écossais, mais plus qu’un appel à l’adaptation hollywoodienne, c’est plutôt une réflexion sur l’expérience hollywoodiennes de Morrison, comme il s’en explique lui-même en interview. C’est moins d’ailleurs un récit biographique (le scénariste Ray Spass n’a pas grand point commun avec Morrison) qu’un récit allégorique, où le concept de deadline prend corps, littéralement, engageant la survie de tout ce qui est.

Morrison profite également de cette mini pour rendre hommage, comme il le fait beaucoup par ailleurs (notamment au sein de « Multiversity », je crois), à toute une veine de comics des années 70 à laquelle il doit beaucoup (pas bégueule, le scénariste cite ses sources en interview : Starlin, Englehart, Gerber, McGregor notamment ont ses faveurs). Son héros Max Nomax (dont le patronyme auto-annule son existence, en quelque sorte ; très morrisonnien, ça) a des airs de toutes ces créations moorcockiennes et post-moorcockiennes basées sur Jerry Cornelius ou Elric, comme Luther Arkwright, Adam Warlock ou même Gideon Stargrave (création d’un tout jeune Morrison à la fin des seventies), avec une touche « goth » prononcée en plus.
D’où l’espèce de « psychédélisme noir » qui plane sur le récit, qui fait méchamment penser à du Starlin justement.

Je ne suis pas le plus grand fan sur terre de Frazer Irving, et loin s’en faut, mais je le trouve ici plutôt à son avantage, en mode photo-réalisme total (malgré quelques tentatives de perspectives foirées, très peu adaptées à son style très figé par ailleurs). J’ai pensé au rendu à l’époque de l’étrange série SF les « Six de Sirius »…

Je développerai mon avis dès que j’aurais achevé la lecture du volume, vraisemblablement dans le prochain épisode de mon émission « Tumatxa! » qui reprend la semaine prochaine (séquence auto-promo).

Je suis globalement d’accord avec Photonik, y compris sur Irving. Je trouve ce dernier réellement à sa place pour cette histoire, son style froid mais coloré étant parfaitement juste et raccord avec le texte (les dessins de ce qui se passe sur Dis sont globalement très bon et donne un super rendu au niveau de l’ambiance).

J’en suis le premier surpris, car je n’avais vraiment pas aimé sa prestation sur Batman.

Pour ce qui est du scénario, je l’ai globalement préféré à « Happy! », par exemple, car il creuse à nouveau la veine de la création qui interroge son créateur et inversement (je ne dis rien de plus, mais la révélation de fin est, sur ce point, très morrisonnienne).

Non, globalement, du très bon boulot qui se lit très agréablement. Une très bonne surprise.

Bon, déjà, moi j’aime bien Frazer Irving, de façon générale. Sur Le retour de Bruce Wayne notamment, le plus beau chapitre est pour moi celui où il est aux pinceaux (numériques).

Maintenant, pour se concentrer sur la part de Morrison, je dirais qu’autant The Multiversity a des allures d’encyclopédie quasi-exhaustive de ses obsessions, autant Annihilator pourrait en offrir une sorte d’abrégé (rapports en miroir de la « fiction » et du « réel », rapport à l’occulte…). Mais il est surtout à mettre en parallèle avec Nameless, autre mini-série en 6 épisodes, chez Image celle-ci, autre récit de lutte contre la fin du monde, dont la publication en v.o. s’est faite en parallèle. De l’aveu du scénariste les deux titres ont été écrits en réaction commune à la mort de sa mère, d’où un ton très, très sombre qui s’il n’est pas sans antécédents chez l’Écossais fait quand même plus figure d’exception que de règle.

Pour autant, s’il y a parallélisme, il n’y a pas identité entre les deux. Nameless maintient tout du long une ambiance plombée et une tension de tous les instants, jonglant entre l’horreur « concrète » de visions dérangeantes et/ou extrêmement gores et l’angoisse plus « abstraite » qui sourd, en partie, de la difficulté pour le lecteur à se repérer au sein d’un récit dont les tenants et aboutissants demeurent en permanence obscurs, de même que le degré de « réalité » des différentes scènes qui nous est présenté. Le ton d’Annihilitor diffère sensiblement. Certes la mort hante chaque page ou presque, mais l’humour n’en est pas absent et une bonne part du récit est menée tambour battant : Annihilator, ça décoiffe sévère, et je ne parle pas que de la coupe de cheveux de Ray Spass.

Car tandis que le récit d’horreur vire au mythe de création tendance gnostique sous psychotropes, Max Nomax, sorte de descendant de Maldoror et de Fantômas, poète rebelle, criminel ultime, artiste de l’évasion (autant dire : le diable en personne), s’oppose à double titre aux plans divins d’un monde « parfait », mais dans lequel la mortalité fait partie de l’ordre des choses : s’il prétend, d’une part, chercher un « remède contre la mort », il se veut surtout, d’autre part, l’introducteur du chaos des sentiments (y compris les plus douloureux) dans un univers trop lisse sans cela. C’est lui qui tire Spass de sa spirale d’autodestruction qui est finalement une « zone de confort » comme une autre, le force à sortir de son apathie et à se confronter à ses conneries passées en la personne de son ex, Luna. Et ce faisant, c’est lui aussi qui imprime son rythme et sa dynamique au récit, transformant ce qui devait être « le croisement entre Shining et Alien » initialement annoncé en folle apocalypse rock’n’roll.

Oui, c’est tout à fait exact, même si « Annihilator » retombe un peu sur ses pattes à la fin, par rapport à cette noirceur (pour « Nameless », je ne saurais dire : pas encore lu).
Ceci dit, Morrison avait confié à l’époque s’être volontiers plongé, pour en capter l’esprit, dans l’oeuvre de gens comme l’auteur de nouvelles horrifiques Thomas Ligetti (auteur également de l’essai « The Conspiracy against the Human Race », noir comme la suie, et inspirateur de la première saison de « True Detective ») ou le philosophe Ray Brassier, deux des penseurs les plus « pessimistes » en activité à l’heure actuelle…

variation sur le même thème.

Le mélange de la réalité et de la fiction donnant la prime à la fiction dans sa capacité à avoir des effets réels, est d’usage chez morrison. La singularité est ici que la fiction relève du mythe. Mythe contre subjectivité.

Le mythe du premier et dernier rebelle emprisonné dans la prison ultime manque quelque peu de flamboyance si on le compare à ceux issus du grand scénariste des mythes en bd : jodorowsky. Mais dans son épure, il y a quelque chose d’entêtant.

J’ai lu l’album en deux soirées. Bon, j’avoue que le lendemain, après avoir lu les trois premiers chapitres, j’ai eu un mal de crâne carabiné qui ne m’a pas lâché de toute la journée. Je me demande si je ne fais pas une rechute d’allergie à Morrison ???
Le lendemain soir, la migraine un peu passée, j’ai fini le volume.
Bon, c’est sympa, mais le rapport fiction / réalité, et création / créateur, il l’a exploré plusieurs fois, et j’avoue que je suis encore sous le charme de l’épisode où Buddy Baker rencontre Grant, et cet album ne me semble qu’une redite de plus.
D’autant que le thème du terrien qui hérite des souvenirs d’un aventurier spatial, ça évoque bigrement le Zarth Arn héros d’Edmond Hamilton, dont l’esprit s’échange avec celui d’un comptable de notre bonne vieille Terre. Ça rentre en résonance avec le projet de Morrison, qui est de parler de Hollywood et de la fiction, et donc d’évoquer les clichés, mais tout de même, ça fait un peu redondant.
Le flou que le récit entretient sur l’identité (qui est qui, qui ressemble à qui), créant des sortes de poupées russes narratives, chaque personnage en cachant d’autre, est assez bien vu, les personnages perdant leur singularité par jeu de comparaison : les pronoms changent, les noms s’échangent… C’est renforcé par le travail de Frazer Irving, qui s’ingénie à faire se ressembler ses protagonistes (c’est sans doute volontaire…). Mais ça contribue à rendre l’ensemble parfois confus.
Enfin, les redondances dans l’œuvre de Morrison sont frappantes : outre le rapport à la fiction déjà évoqué, on peut évoquer la construction des univers artificiels (déjà vu dans All Star Superman entre autres) ou la « balle magique » (il y en a une belle dans Final Crisis). L’un dans l’autre, ça donne l’impression d’un scénariste qui livre ici une œuvre mineure, sans doute parce qu’elle manque d’originalité par rapport à son propre corpus.

Jim

Vraiment, Morrison a un drôle d’effet sur moi.
J’explique : j’ai lu en deux soirs l’album. Ouais, je l’ai déjà dit il y a quatre ans. Sauf que je l’ai lu en deux soirs… avant-hier et hier. Et je constate que je n’en avais aucun souvenir, parce que la lecture n’a pas évoqué un seul souvenir, n’a pas fait s’allumer une seule lumière, n’a pas fait résonner une seule clochette. Rien, que dalle, comme si je le lisais pour la première fois.
Étonnant.
Mais tout à fait en accord avec le récit d’un héros amnésique qui redécouvre son destin…

Et donc, à cette deuxième lecture qui m’a semblé plus agréable que la première, j’ai pris beaucoup de plaisir. Plus d’ailleurs, si je compare avec ce que j’ai écrit il y a quatre ans. Car au-delà du rapport entre réalité et fiction (qui hante Morrison depuis la fin des années 1980 au moins), au-delà des fixettes de SF citées plus haut, j’ai apprécié le mélange des références. Morrison nous parle de la vie artificielle, du complexe du démiurge, et il nous offre une histoire composite formée de morceaux de récits mythiques cousus ensemble. On reconnaîtra ici un bout du Fantôme de l’Opéra, là une tranche de Frankenstein, là encore des miettes d’Orphée en quête de son Eurydice… Son héros scénariste en panne d’inspiration, figure également classique, fait face à son double spatial : c’est non seulement le Zarth Arn de Hamilton, mais aussi Barton Fink, un Barton Fink version cosmique. Et que dire de son Max Nomax, sorte de champion éternel moorcockien, que Morrison décline à la sauce non seulement méta, mais carrément franchise : le court passage sur l’histoire éditoriale du héros, qui passe par la case fumetti, ne peut qu’évoquer la longue lignée Fantomas / Diabolik / Fantomex et rajeunir la veine méta qui parcourt tout le corpus de Morrison.
Bref, oui, c’est foutraque, mais c’est en même temps généreux, riche, frénétique, et c’est une synthèse énergique des obsessions du scénariste.

Bon, je reviendrai en parler à nouveau dans quatre ou cinq ans, quand j’aurai oublié l’avoir déjà lu deux fois.

Jim

2 « J'aime »

Tu me donnes envie de le relire, tiens…

Me souviens avoir été dubitatif en première lecture et puis d avoir surtout vraiment beaucoup aimé la partie sf et mythique. Il faut dire que le scénariste dans l histoire est assez insupportable, ce qui est l idée bien sur.

Y a une autre dimension assez intéressante au récit, c’est tout ce qui tourne autour de la ressemblance physique (et pas seulement les masques, les déguisements, les identités volées). Par le biais du personnage féminin, on a la confirmation que le couple fictif est une projection du couple réel (lequel est fictif, lequel est réel, c’est au lecteur de le déterminer, je crois). Et donc que le scénariste est le double du héros, ou inversement. Et une partie des dialogues de la bande dessinée critique les dialogues du scénario de Ray. Tout cela conduit donc à une perméabilité d’un domaine sur l’autre, d’un personnage sur l’autre : Ray finit par parler avec la grandiloquence de son héros de space-fantasy tandis que Max développe une gestuelle, un vocabulaire et un goût pour les produits enivrants en provenance de son scénariste. Et tout cela est pas mal rendu.

Jim

Oui tout à fait.

C est une bd avec une ambiance entêtante, très reussie mais pas forcément évidente de prime abord.

J avais du la commenter quelque part sans me souvenir de ce que j en avais dit.

La BD qui rend amnésique.

Jim

Hehe

Annihilatrice de souvenirs.