Au risque de passer encore aux yeux de Silverfab pour un indécrottable optimiste naïf et magnanime à l’excès, voilà encore un show qui me semble démarrer de fort belle manière…
Et pourtant le terrain était miné.
Ce qui m’amène à une petite réflexion éthique, que je me permets de partager avec vous : j’ai toujours une petite gêne, presque subliminale, quand je suis spectateur / lecteur d’une oeuvre de fiction qui s’attache à relater des faits réels horriblement tragiques. Je me demande toujours ce que serait ma réaction, en tant que famille de victimes voire de coupables, dans ces affaires de crimes, à la vue d’un film ou d’une série télé qui reposerait sur « l’exploitation » d’une tragédie familiale personnelle.
Et tout de suite après, je me dis : OK, revivre en tant que spectateur les crimes de Charles Manson si on est, mettons, Roman Polanski (dont la compagne fut assassinée par la Manson family), ce doit être abominable. Mais où on met la limite ? Est-ce que « Massacre à la Tronçonneuse » est à blâmer pour faire lointainement référence aux crimes bien réels de Ed Gein, dans les années 50 ? Et les crimes de Jack l’Eventreur, y a-t-il prescription 120 après ? Avant ?
Il n’y a pas de réponse idéale à ce questionnement potentiellement sans fin, et comme d’habitude la solution au dilemme réside dans le traitement : oui, toutes les tragédies peuvent être abordées par le biais d’une fiction, tout dépend du choix de la focale, de la distance.
En l’occurrence, quoique plutôt « feel-good » et marrante, la série « Aquarius » prend la mesure du matériau de base, et prend aussi conscience du potentiel à sa disposition (politiquement, sociologiquement, culturellement : les couches d’interprétation et de symboles sont proprement inépuisables dans l’affaire Manson), et franchement il y a de quoi faire, donc tant mieux.
« Aquarius » choisit l’angle de l’artificialité assumée. Un choix judicieux : le seul personnage réel est Charlie Manson ici. On est en quelque sorte dans une réalité parallèle qui aurait son Manson, mais où les événements ne se seraient pas déroulés de la même manière (je me demande même si la série abordera frontalement les meurtres Tate / LaBianca : c’est peut-être pas plus mal). C’est vraiment pas con, pour la distance.
Pour le reste, la série repose pour l’essentiel sur sa tonalité solaire (les nombreux lens-flares à l’image appuient cet aspect, ainsi que la dimension psyché) et hard-boiled à la fois, très tonique et roborative. Elle s’appuie aussi sur ses deux acteurs principaux : c’est un vrai plaisir de revoir Duchovny au premier plan, moi qui n’est pas suivi « Californication ». Ici il est excellent, voire hilarant durant quelques courtes séquences, tout en restant très flegmatique. Les deux premières séquences le mettant en scène suffisent à le camper : dans la première, on le découvre boxeur, dans la seconde, il démarre sa caisse aux fils faute de retrouver ses clefs de bagnole. Tout est dit.
Le cas de Gethin Anthony est plus délicat : j’ai vu que certains fans américaines avaient manifesté leur mécontentement, lui préférant Jérémy Davies (Faraday dans « Lost »), stupéfiant sosie de Manson. Il a d’ailleurs déjà joué son rôle à la télé il y a une dizaine d’années. L’option Anthony est intéressante en ce sens qu’elle renforce la distance volontairement prise avec les « faits réels », vu qu’il ressemble il est vrai assez peu à Manson (sauf la petite taille) : trop beau gosse, alors que la caractéristique de Manson était précisément d’être charismatique avec un physique très quelconque, voire ingrat (ce que le film de Van Bebber que je citais plus haut avait parfaitement compris). J’ai beaucoup aimé sa prestation pour ma part, un brin too much (la voix et ses changements d’intonation assez brutaux) mais adéquat connaissant le zozo qu’il incarne. Le regard est parfait en tout cas.
Pour le reste, le scénar’ très malin tire parti du contexte culturel (contre-culturel plutôt) brocardant assez finement à la fois les flics et les contestataires, préférant les « loups solitaires » un peu anars de droite à la Duchovny (et son poulain). Exemple d’utilisation judicieuse du contexte : la scène où l’on découvre que la fameuse règle de récitation des droits aux suspects est toute récente ; nos agents ne les connaissent pas encore par coeur.
Autre point fort, notable : le choix de la BO, évidemment. La musique des sixties se taille logiquement la part du lion, là encore à bon escient. Le « White Rabbit » de Jefferson Airplane, séduisant avec sa voix féminine mais lancinant et menaçant, illustre à merveilles les horreurs à venir, dans le « mood » ainsi installé. Sans compter que le morceau sera immortalisé à Woodstcok en la funeste année 1969, qui fera entrer Manson, pour le pire, dans la légende.
Quelques défauts ? Oui, une interprétation inégale par ailleurs, et une patine visuelle en sépia « insufflateur de nostalgie automatique » clairement too much à mon goût. Des réserves minimes pour un show remarquablement intelligent, dans sa façon très « Mad Men » d’exploiter la connaissance par le spectateur des tenants et aboutissants du contexte socio-historique du récit. Effets comiques discrètement glaçants inclus…