ARMALITE 16 (Michel Crespin)

Discutez de Armalite 16

Les Humanoïdes Associés annoncent une réédition de l’album post-apocalyptique de Michel Crespin, cette fois rebaptisé Armalite Seize. Sortie en octobre.
À voir s’il s’agit seulement du tome homonyme ou d’une intégrale avec ses suites.

Jim

Armalite 16

« Imaginez…. Imaginez un village des Alpes, serré par les montagnes et l’hiver qui vient. Imaginez… des hommes jusque-là tenus à l’écart d’une guerre qui fut si subite qu’ils n’y prirent pas part. » Ces survivants vont devoir faire face à une nouvelle menace : l’assaut des « verts », ces soldats venus du Nord déterminés à assujettir les montagnards par la force.
Résistance, conscience écologique naissante, mélancolie et rencontres au cœur de la montagne sont les ingrédients de cette saga post-atomique qui demeure un incontournable de Michel Crespin.







  • Éditeur ‏ : ‎ Les Humanoïdes Associés (5 octobre 2022)
  • Langue ‏ : ‎ Français
  • Relié ‏ : ‎ 288 pages
  • ISBN-10 ‏ : ‎ 2731650664
  • ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2731650662
  • Poids de l’article ‏ : ‎ 788 g

La nouvelle couverture annoncée sur les sites de vente (à voir laquelle est la bonne) :

jim

Décalage au 12 avril prochain.

Jim

Et sur le site des Humanos, c’est pour le 19 avril 2023.

En partie publié dans Métal Hurlant, retrouvez dans cette intégrale le récit que Michel Crespin nous livrait déjà à l’époque d’un futur post-apocalyptique qui résonne étrangement avec notre présent…

Auteurs : Michel Crespin (Scénario, dessin et couleurs)
Date : 19 avr. 2023
Format : 312 pages - Couleur, Noir et blanc - 24.0 x 32.0 cm
ISBN : 9782731650662
Prix : 39,95 €

Jim

Magnifique lecture, très déroutante, mais réellement passionnante.

La série post-apocalyptique de Michel Crespin, inaugurée en 1977 dans les pages de Métal Hurlant avec les récits courts « Algues » ou « La Gare », a duré jusqu’en 1987, avec la publication des Infernets, premier et unique album dont le contenu n’a pas été pré-publié. Dix ans de publication qui ont vu le style de l’auteur changer, d’autant qu’il s’est essayé entre-temps à des techniques différentes (passant par exemple de la colorisation sur bleu à la couleur directe à l’occasion de l’album Dorianne…), allant même jusqu’à retoucher des cases ou des planches entre deux rééditions en album. Le recueil publié aujourd’hui montre le travail de Crespin dans sa version la plus récente, la plus aboutie, correspondant à ce qu’il a cherché (certains épisodes, publiés en noir et blanc dans le magazine, ont paru en couleurs dans les albums).

L’album s’ouvre sur une préface de Jean-Pierre Dionnet, qui parle de l’auteur, de sa spécificité, de son tempérament. Il insiste notamment sur l’importance que tous deux reconnaissent à la voix off, et en effet les premières histoires de ce monde post-apo s’articulent autour de textes correspondant à la pensée d’un personnage, mais sans qu’aucun dialogue ne figure sur les planches.

Dans ce monde ayant subi un cataclysme qui ne sera pas expliqué dans la série, mais qui a conduit à un effondrement de la société, on suit différents personnages : Seule, Joël, Serge… Des gens parfois solitaires, qui cherchent un refuge, des alliances, des échanges. Très vite, Crespin impose une galerie de survivants, aux allures parfois androgynes, mais où petit à petit vont se distinguer les femmes, combattantes, sensées, impitoyables. Incarnations du bon sens, de la logique, mais également de la résolution.

Si le premier tome, Marseil, est une compilation d’histoires courtes qui présentent d’abord ces survivants en solo avant de les confronter aux réalités politiques de la lente reconstruction dans les ruines d’une ville appelée Marseil (ce qui nous permet de découvrir d’autres personnages, comme Chloé, son frère le Gouverneur, ou encore Reboul…), c’est avec le deuxième album, Armalite 16 que l’on considère souvent comme le premier de la série, que Crespin nous détaille ses personnages.

À la fin de Marseil, plusieurs protagonistes ont disparu. Crespin remonte le temps et nous permet d’en savoir plus sur certains d’entre eux, qu’ils aient survécu ou non, à commencer par Hélène-la-garçonne, autre femme qui vit seule et n’entend pas se la faire conter. Personnage secondaire de Marseil, elle sert ici de clé d’entrée à un monde composé de figures marquantes (on pense à « La Mère »…) et où l’échiquier politique est un peu mieux défini. Ou plutôt, Crespin change d’angle. Il nous décrit un monde de la campagne isolé, vivant au rythme des saisons, entre la saison sèche et l’hiver blanc, qui voit passer de temps les « hommes en verts », qui représentent à la fois la ville et ses dérives politiques et oppressantes que les campagnards n’ont pas envie de voir envahir leur univers.

Si Crespin crée une poésie évidente avec ses récitatifs mélancoliques et contemplatifs, il livre des dialogues plus déstabilisants. Secs, laconiques, sans aucune cheville langagière permettant d’articuler et de rythmer les échanges entre personnages, il recourt à des points de suspension nombreux, envahissants. Cela peut passer pour une faiblesse d’écriture, une difficulté à retranscrire les dialogues, mais dans sa postface bellement illustré, Nicolas Trespallé note que ce recours aux points de suspension permet de marquer les silences, mais également l’économie de la parole, denrée rare en ces temps d’effondrement, et le caractère taiseux des personnages. En cela, Trespallé rapproche le bédéaste d’un romancier qui, nous dit-il, a influencé Crespin : Jean Giono. Et effectivement, il y a dans les albums à épisodes de Crespin quelque chose d’un Giono post-apo.

Les différents albums sont découpés en chapitres, autant d’épisodes liés à la pré-publication (sauf le dernier tome). Crespin varie son approche graphique dès qu’il le peut. Bien souvent, il plante ses décors épurés et grandioses, décompressant son récit, étalant le temps, jouant la contemplation comme élément de caractérisation. Mais parfois, a contrario, il surdécoupe son récit, entassant des petites cases dans ses planches, notamment pour les séquences d’action. Il lui arrive de dessiner un personnage ou un décor en l’étalant sur plusieurs cases, la figure étant découpée en autant de vignettes.

De même, il lui arrive de réduire sa palette de couleurs, de recourir à la bichromie, de traiter telle courte séquence dans une palette et telle autre dans une autre, parfois sur la même planche, afin de créer des ruptures. Il va jusqu’à l’achromie, le noir et blanc au milieu d’un récit en couleurs. L’important est de perturber son lecteur, de l’emporter dans un vaste cheminement à travers un monde où survivent des gens tant bien que mal.

À ces changements de braquets graphiques, Crespin ajoute une absence totale de repères temporels. Combien de temps est passé entre telle et telle anecdote ? Combien de jours ou de saisons ont vécu ses personnages ? À quelle distance dans le passé se situent ces récits, en comparaison de Marseil ? Rien n’est donné. Au mieux une date dans les récitatifs, une saison dans les images, un indice temporel dans les dialogues. Là aussi, il immerge son lecteur dans son monde.

Graphiquement, Crespin emprunte bien évidemment à Hermann, une influence qui semble plus sensible quand il s’essaie à la couleur directe. Il y a aussi du Cosey dans le travail de Crespin (après tout, Jonathan commence aussi en 1977), dans ses compositions de planches et dans l’importance qu’il accorde aux décors naturels.

Mais les premiers récits, où les éclairages sont très tranchés, peuvent évoquer aux lecteurs américains les cadrages d’un Barry Smith ou les éclairages d’un P. Craig Russell (les héros androgynes de Crespin, surtout au début, ont quelque chose des protagonistes mythologiques qu’apprécie Russell). Peut-être également un petit truc qui le fait évoluer dans les sphères d’un Michael Golden débutant (là aussi, qui me semble à peu près contemporain aux débuts de la série de Crespin).

La modernité de Crespin se situe également dans les rapports qu’il établit entre texte et dessin. On a déjà parlé des voix off, mais il faut signaler aussi sa manière de placer des extraits de journal intime ou des rapports (signés par un paramilitaire analphabète, les fautes d’orthographe devenant un outil narratif comme dans Des Fleurs pour Algernon), ou autres éléments exogènes, en contraste avec les cases.

Cette réédition intégrale (mais inachevée, Crespin n’ayant jamais réalisé l’album qu’il annonçait à la fin des Infernets : « La Saison des cerfs ») permet de redécouvrir une voix forte du franco-belge, qui a exploré les possibilités narratives de la bande dessinée d’une manière qui intéressera de près les curieux, qu’ils soient fans de comics ou non. Une lecture étourdissante, un auteur à la personnalité forte.

Jim

Tu sais quoi, j’y pensais, en regardant les pages que tu montre. Même les couv’ m’y faisaient penser.

En lisant le recueil, ce matin, je me suis demandé ce qui m’avait toujours plus chez Crespin, sans même avoir jamais tout lu ni bien réfléchi à ça. Et c’est en voyant des parallèles à d’autres trucs que j’apprécie que j’ai commencé à formuler tout ça…

Jim