Et la lecture fut donc reprise, après la douche froide du #50 qui m’a tenu éloigné de l’actu de la série ces derniers mois.
« Cold Days » (#51-53) part d’une base bien connue ; c’est, oserais-je dire dans le contexte, du réchauffé. On retrouve en effet le pitch du classique de Sydney Lumet 12 Hommes en colère, modèle qui a fait l’objet de multiples et régulières reprises, remakes, parodies, clins d’œil dès les années qui ont suivi sa sortie et depuis : un membre isolé dans un jury d’assise convainc les autres de réexaminer un verdict qu’ils pensent « plié », et les force à réexaminer l’affaire au-delà de leurs idées préconçues alors qu’ils ne demandaient qu’à rentrer chez eux.
King introduit néanmoins un twist intéressant en faisant de cet objecteur Bruce Wayne en personne alors que le procès concerne un cas impliquant Batman. Un Batman dépeint comme particulièrement violent suite à l’affaire du mariage, prompt à passer aux conclusions et de là aux bourre-pifs, mais la description pourrait assez bien coller à d’autres périodes de la caractérisation du personnage de toute façon. D’où une « confrontation » symbolique astucieuse, et assez prenante, entre les deux facettes Bruce/Bat, l’un demandant en quelque sorte des comptes à l’autre, manifestement plus tout à fait aussi sûr du bien-fondé de ses actes, une fois ceux-ci examinés dans un contexte dépassionné.
C’est peut-être un peu long et un peu lourd, ça « assène » quand même pas mal, King allant jusqu’à introduire une dimension religieuse dans le dernier numéro qui rappelle d’autres titres de lui (en particulier son one-shot sur Hal Jordan durant la Guerre de Darkseid). Mais on ne s’ennuie pas et l’idée est bonne. Et puis les dessins de Lee Weeks ne gâtent rien, évidemment.
« The Better Man » (#54) s’ouvre sur un de ces vilains ultra-mineurs de la continuité que King aime bien ressortir dans le cadre de son run. Ici, Crazy Quilt, un perso créé par Kirby dans les années 40. À partir de là, on zigzague entre passé et présent alors que King nous fait en quelque sorte son Robin: Year One en réduction en réexaminant les relations entre Bruce et Dick. C’est… un bizarre mélange d’idées fines, pertinentes et bien amenées et d’autres qui m’ont semblé plus lourdes, à côté de la plaque et au rythme bancal. Au final, je n’ai pas trouvé que la mayonnaise prenait vraiment, et la conclusion est un peu en queue de poisson, pour une fois on dirait que King a manqué de place. Et Matt Wagner m’a semblé vraiment en petite forme au dessin.
Après ce rappel un peu hâtif, donc, de l’importance de Dick, sonne l’heure du sacrifice. Au dessin, Tony Daniel fait le taff, malgré quelques manquements ici ou là (j’ai un peu du mal à avoir l’impression que c’est toujours le même Batman qu’on voit ?), je suis dans l’ensemble plutôt client. « Beasts of Burden » (#55-57) s’ouvre sur un numéro que j’ai bien aimé, gérant avec un certain brio ses deux lignes narratives développées d’abord en parallèle (l’une plus « folâtre », l’autre inexorable) avant de se rejoindre violemment. Suivant le même modèle, le suivant fait monter la sauce pour la confrontation dans le troisième. C’est bourrin, certes, mais assez glaçant au final dans le tableau d’un monde où l’amour aussi bien que la haine ne mènent finalement qu’à la destruction mutuelle assurée…
« The Tyrant Wing (#58-60) » enfonce le clou de cette idée (via notamment, cette fois, une intéressante utilisation du Pingouin) tout en révélant, en deux temps, qui menait la danse dans la série d’épisodes précédents. La première révélation fait énormément sens et fonctionne bien, la seconde me laisse un peu plus circonspect, il faudra voir ce que King en fait. À ce stade il ne fait en tout cas plus de doute, s’il y en a jamais eu, que le Batman bourrin et violent que l’auteur met en scène n’a rien d’une glorification, c’est bien une descente aux enfers, et même quand le perso est « dans le vrai » par rapport au but qu’il poursuit, la conduite n’en est pas moins condamnable et l’enferme dans une aliénation croissante.
J’aurais bien aimé que King nous donne à voir autre chose, qu’il fasse un peu plus fond sur les promesses d’amélioration, de rédemption, de « guérison » ou en tout cas de dépassement du traumatisme qu’il n’a de cesse de faire miroiter au long de son run, au lieu de quoi chaque espoir ne semble donner que sur une chute encore plus bas, comme une punition. Mais je dois reconnaître que, même si l’ouvrage n’est pas exempt de défauts, cette séquence à partir du #51 fonctionne plutôt pas trop mal et semble marquer un redémarrage du run, après la lamentable « Guerre des Rires et des Énigmes » et toute la partie, certes pas toujours déplaisante, loin s’en faut, mais bien trop diluée, de la préparation du mariage.