BLUE RUIN (Jeremy Saulnier)

[quote]DATE DE SORTIE FRANCAISE

9 juillet 2014

REALISATEUR & SCENARISTE

Jeremy Saulnier

DISTRIBUTION

Macon Blair, Devin Ratray, Amy Heargreaves, Kevin Kolack…

INFOS

Long métrage américain
Genre : thriller
Année de production : 2013

SYNOPSIS

Un vagabond solitaire voit sa vie bouleversée par une terrible nouvelle. Il se met alors en route pour la maison de son enfance afin d’accomplir sa vengeance…
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Un film très étonnant, et enthousiasmant, ce « Blue Ruin ».

Jeune cinéaste américain sacrément polyvalent, Jérémy Saulnier ne fait pas tout mais presque (écriture, photo, mise en scène) sur ce tout petit budget en partie financé par Kickstarter. Si Saulnier n’a qu’un autre long à son actif, le film d’horreur assez rigolo paraît-il « Murder Party », il ne faudrait pas le prendre non plus pour un perdreau de l’année. Il est un chef-opérateur chevronné et ses premiers courts remontent à la fin des années 90. Tout ceci explique probablement la stupéfiante maîtrise dont le cinéaste fait preuve dans cette passionnante variation sur le revenge-movie.
La promo de « Blue Ruin » est astucieuse : elle n’exploite que des images extraites des 20 premières minutes du film. Passé ce seuil, le personnage subit une métamorphose qui renverse de manière stupéfiante le sous-texte du film. Impossible de prédire le déroulement des évènements (ce qui confère un rythme un peu étrange au film, comme toujours quand on ne peut pas vraiment prédire le déroulé), même si paradoxalement le film reste un pur film d’auto-défense. Mais le diable se niche dans les détails, surtout chez les bons cinéastes.

Si le film est très clairement une réflexion sur la loi du Talion et la circulation libre des armes aux USA, Saulnier (je l’ai lu en interview) fuit comme la peste, et y parvient en bonne partie à l’éviter, le syndrome « film dossier de l’écran », le film à thèse, illustrateur de débats de deuxième partie de soirée. Notamment parce que malgré l’omniprésence des armes à l’écran, c’est par le biais de moyens purement cinématographiques que Saulnier raconte son histoire.
Ainsi, il faut au début du film prêter attention à l’utilisation des couleurs (en même temps, quand on met le nom d’une couleur dans le titre de son film, c’est aussi pour attirer l’attention là-dessus…) : le bleu de la vieille guimbarde du « héros », qui se confond avec celui des forces de l’ordre, ce qui tend à asseoir sa légitimité, se retrouve ainsi opposé au rouge criard des néons (il y a même le mot « red » carrément écrit, en rouge, sur une enseigne). Ce dispositif est un trompe-l’oeil, incitant le spectateur à chercher le sens du film du côté du manichéisme. Or le film est tout sauf manichéen, la succession des révélations du script démontant de plus en plus tous les repères moraux mis en place durant le premier acte (et les codes couleurs, logiquement, se brouillent au cours du film). Cette ambiguïté est évidemment un ingrédient classique du genre, même sur les plus controversés de ses représentants, comme le premier « Un Justicier dans la Ville » (par la suite, hélas…).

Le film met donc au final en scène un personnage bien moins attachant qu’il n’y paraissait (même si Saulnier ne l’accable pas…) : il est faible, comme on le lui dit explicitement dans le film. Il n’a rien d’un justicier, et se révèle même assez mauvais dans l’exercice. De là naissent les quelques touches d’humour (noir) qui émaillent le film, même si je trouve que les commentateurs du film insistent trop sur cette dimension.
Saulnier se débrouille ainsi avec le paradoxe qui consiste à condamner la violence en la montrant : les scènes « d’action » n’ont rien d’excitant, elles sont laborieuses et décousues, reposant essentiellement sur des moments de latence et d’attente, voire des « gags » visuels, donc. Le personnage ne sait pas y faire, et c’est paradoxalement ce qui le sauve un peu. Tous les autres persos, aussi sympathiques qu’ils puissent apparaître au premier abord (l’ami d’enfance), se révèlent pour ce qu’ils sont dès qu’ils manient, avec dextérité, leurs armes…

Sorte d’idéal de série B à la fois traditionnelle (les thèmes), innovante (le traitement) et modeste (le budget), pour un résultat franchement impressionnant de tenue, « Blue Ruin », malgré quelques maladresses d’écriture ponctuelles (un final un peu trop transparent sur le plan symbolique ? en même temps, ça fonctionne quand même, dans le genre rupture de cycle, donc…), vaut sacrément le coup.

J’ai vraiment bien aimé Blue Ruin. Un film sans esbroufe, « qui va à l’essentiel » est le bon terme.

Ce que je trouve particulièrement réussi, c’est cette tension qui existe alors que le récit donne rarement les clés de l’histoire au spectateur sans pour autant créer une sensation de manque, conférant au développement un naturel qu’on ne connait pas dans les autres productions (où les informations sont souvent forcées dans la tête du spectateur d’une manière ou d’une autre).

Ce que devrait faire tout les films, à mon humble avis.