Y a un glissement identique au sujet de l’ennemi dans les récits d’espionnage (au sens très large). On est passé de l’ennemi extérieur à l’ennemi intérieur. Et dans les récits d’espionnage, c’est lié aussi à l’idée de l’espion infiltré, qui s’insère dans la société au point d’en devenir membre et de la trahir de l’intérieur : le ver dans le fruit, en quelque sorte.
Sauf que justement, avec la chute du Mur de Berlin et la fin de la Guerre froide, ce thème a évolué. C’est tout le sel (je le répète) des James Bond de Pierce Brosnan : le héros, mais aussi les producteurs et les scénaristes, cherchent un nouvel ennemi. Et au final, l’ennemi, c’est le système et ceux qu’il forme (l’espion trahi, par exemple). Et depuis, la fiction américaine surexploite tout ça, parce que ça fait écho aux doutes de la civilisation, forcément (le capitalisme a « gagné », s’est métamorphosé en libéralisme, qui tue petit à petit la nature, le tissu social, voire la croissance elle-même). C’est très frappant dans la série 24, où l’ennemi vient souvent de la Maison Blanche (ou de ses satellites). C’est présent également dans les Star Trek récents, dont toutes les menaces viennent de l’intérieur. C’est présent aussi dans les films de super-héros : Winter Soldier ou Civil War, c’est ça, les deux ennemis récents de Spider-Man sont des « déçus du système ». Même des films plus « sérieux » comme Zero Dark Thirty posent cette question.
Et au final, ça renvoie à des époques marquées par le doute vis à vis des autorités et du discours officiel.
Le film s’en sort parce qu’il prend l’angle des victimes (celles du ghetto, celles du vaisseau, mais aussi le héros, lui-même victime de la machine administrative qu’il a contribué à faire tourner). Mais c’est vrai que c’est casse-gueule. Moi, j’aime bien le film, même beaucoup, mais c’est aussi parce que je suis un sale bolchévique.
Ce genre d’interprétation monobloc, c’est en général la trace soit d’une grande inculture, soit d’une volonté de manipuler le matériau à des fins diverses (genre, de propagande). Or, on sait bien qu’une figure (une « forme », dirait Thoret), ça évolue avec le temps. Dans son bouquin sur la fantasy, William Blanc parle de la figure du dragon et en décrit l’évolution. Mais on peut faire pareil avec le zombie, le vampire, le robot, etc etc. À ce niveau, ces archétypes revêtent une valeur de symbole, et les symbole peuvent accueillir plein de significations, y compris contradictoires. Les sociétés évoluent, les créateurs qui s’emparent de ces figures aussi, et en général l’évolution se produit d’une génération à l’autre. Vouloir imposer une interprétation unique, ce serait comme prétendre que toutes les œuvres ont été créées au même moment et au même endroit.
Jim