COMANCHE t.1-15 (Greg, Rodolphe / Hermann, Michel Rouge)

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La critique de Comanche T.1 (intégrale - Le lombard) par ginevra est disponible sur le site!

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La critique de Comanche T.2 (intégrale - Le lombard) par ginevra est disponible sur le site!

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Je me replonge dans Comanche. Série que je connais fort mal, encore moins bien que Bernard Prince, des mêmes Greg et Herman.

L’histoire commence avec l’arrivée de Red Dust, un rouquin qui tire vite et bien, dans une petite ville où tout le monde le prend pour l’homme de main chargée de calmer les velléités d’indépendance de Comanche, la patronne du ranch « Triple 6 ». Sauf que Red Dust ne l’entend pas de cette oreille, a un sens inné de la justice et sait parler aux gens et voir le meilleur dans ses contemporains. Il parvient donc à fédérer une équipe de bras cassés autour du ranch et à déjouer les complots visant à faire fermer la petite exploitation.

Si elle donne son nom à la série, Comanche, jolie brune au caractère trempée (mais sans le sens de la négociation de Red Dust) demeure un personnage secondaire. Red Dust tient la vedette, aux côtés de Ten Gallons, vieux palefrenier qui retrouve sa jeunesse au contact du nouveau venu. L’intrigue tourne autour des rivalités, des jalousies et de l’appât du gain propre à un pays qui se construit (le mobile central de ce premier tome rappellera le moteur narratif d’Il était une fois dans l’ouest). La série a été prépubliée en feuilleton dans Le Journal de Tintin à partir de 1969, et on sent bien la construction en épisode, mais c’est particulièrement agréable.

Jim

Le ranch étant constitué (après bien des péripéties) à la fin du premier tome, il se trouve confronté à un double problème dans celui-ci : les Indiens, confinés dans des réserves, meurent de fin et reluquent le cheptel, et les ouvriers du chemin de fer, quant à eux, voient d’un mauvais œil les natifs s’approcher du garde-manger. Comanche et l’équipe rassemblée par Red Dust va devoir gérer les appétits de tout le monde. Comanche se propose en otage auprès des Indiens, mais le vétérinaire, qui cherche à se venger, va foutre le bazar…

C’est très sympa, on sent encore la construction en épisodes (ce qui me plaît beaucoup), et Hermann est toujours influencé par Jijé et Giraud (et ça aussi, ça me plaît bien). Quelques pages mal tournées, nécessitant l’ajout de flèches pour savoir dans quel sens ça se lit, mais dans l’ensemble, c’est chouette, avec une morale qui me semble presque plus spirouesque que tintinienne, avec la convergence des bonnes volontés au service d’une cause commune et d’une paix durable.

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Le troisième album est le premier qui arbore la forme d’une histoire d’un seul tenant, et non du rassemblement de plusieurs épisodes d’un feuilleton. Toujours sous l’influence de Giraud, les planches proposent une grande aventure mêlant braquage (avorté, puisque l’argent était ailleurs), course-poursuite (les héros sont confrontés à un gang de frères, les Dobbs) et assaut (retranchés dans une bicoque isolés, ils luttent contre lesdits bandits), le tout avec de belles ambiances nocturnes.

L’intrigue propose également de croiser le chemin d’un prêcheur, témoin de la première attaque des Dobbs et lui-même fine gâchette. Contrairement aux deux précédents tomes qui voyait Red Dust conserver son flegme, l’apparition de cet homme de foi a le don de mettre le rouquin sur les nerfs, ce qui vaut quelques beaux dialogues échangés entre les deux équipiers récalcitrants. Les soupçons peuvent se porter sur le prêcheur, et pourtant, il restera du côté des héros jusqu’à la fin. On fait également la connaissance de Pharaon Colorado, un pochard notoire constamment accompagné d’un petit chien surnommé « Président » : le casting continue à s’agrandir.

Plusieurs constatations à la fin de la lecture : l’album s’ouvre sur une suite potentielle, annonçant déjà la traque qui constitue le sujet du quatrième tome. Autre constat, Hermann, quand il est encore sous l’influence giraldienne citée plus haut et que le lettrage s’inscrit dans la tradition de Blueberry, c’est très agréable à l’œil. Pourvu que ça dure.

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Le quatrième tome est la suite directe du précédent : le ranch 666 reçoit une lettre de Red Dust qui raconte sa traque du dernier frère Dobbs, un assassin qui laisse des cadavres dans son sillage. L’astuce permet donc de quitter officiellement le ranch et de suivre Red Dust dans son périple, parsemé de rencontres fortuites et de hasards un peu exagérés, il faut bien l’avouer.

L’album se distingue par une tonalité de plus en plus sombre, surtout en matière de thématique. On est loin de l’enthousiasme innocent et communicatif des deux premiers tomes, et Red Dust est emporté dans son obsession de vengeance. Le récit permet aux héros de croiser des fermiers isolés, et bien entendu, ça se passe mal, ce qui permet d’amener une image forte dans la dernière séquence, une case où le héros revoit tous les morts dus aux méfaits de Dobbs : le pardon n’est plus possible, et le personnage va jusqu’au bout de sa démarche. La dernière scène est nocturne, au diapason de la noirceur du tome.

L’autre signe particulier de l’album, c’est l’évolution graphique de Hermann. Au bout d’une dizaine de planches, à la faveur d’un changement de scène, on voit poindre ce qui sera son style plus tard, avec des personnages tordus aux visages boursouflés. Une évolution qui n’est pas du tout à mon goût, même si la sauce giraldienne nappe encore bien le dessin. Mais cette transformation est d’autant plus palpable que le dessinateur traite des scènes de grands espaces en plein jour : les décors et les matières annoncent déjà ce qu’on verra plus tard. Il se lance également dans la réalisation de grandes cases spectaculaires (l’attaque de la diligence) aux cadrages audacieux. Il y a également une page presque muette où Red Dust se remet en selle après l’assaut du bandit, une séquence du meilleur effet.

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Le cinquième tome, Le Désert sans lumière, fait un saut dans le temps de vingt mois. Red Dust, condamné au bagne pour le meurtre de Dobbs, est enfin libéré. Mais il est sous contrôle judiciaire, surveillé de très près par les autorités, qui veulent s’assurer qu’il ne boit pas, ne se bat pas, n’utilise pas d’arme. Car sinon, c’est retour à la case prison.

Après la noirceur du tome précédent, ce nouveau volet ajoute une couche de déprime assez palpable. Pourtant, elle est contre-balancée par la situation du Ranch Triple 6, qui a prospéré durant les presque deux ans qui viennent de s’écouler. C’est même l’occasion de voir Comanche en belle robe « civilisée », comme elle dit (d’ailleurs, cette obsession de la civilisation est un des indices de caractérisation autour du personnage, qui cherche à s’extirper de sa condition). Et s’extirper de sa condition, sortir des ornières du passé, ce n’est pas facile, d’autant que la ville est menacée par le gang de Shotgun Marlowe.

Le shériff Wallace prend alors une décision qui étonne bien des personnages : il confie à Red Dust une étoile de député, afin qu’il l’aide dans la résistance face au gang. Le dernier tiers de l’album raconte une vaste et impressionnante fusillade qui voit participer quelques personnages truculents, comme la tenancière de bar qui tient aussi bien son fusil que son comptoir. À la toute fin, c’est Comanche elle-même qui tire la balle fatidique, premier album où elle prend part directement à l’action. Greg montre là encore qu’il a un talent évident pour épaissir des personnages secondaires, qui parfois ne survivent pas jusqu’à la dernière planche, et qui contribue à peupler un univers crédible et riche.

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Comanche est une série à forte continuité. C’est souvent le cas chez Greg (par exemple dans Bruno Brazil, qui montre une certaine évolution…). Et c’est notable non seulement par les intrigues étalées sur plusieurs albums en filigrane, mais aussi par les personnages qui reviennent d’un tome à l’autre.

C’est ainsi que le sixième album, Furie rebelle, ramène sur le devant de la scène des personnages indiens que les lecteurs connaissent depuis le deuxième volume. Il n’est plus question ici de survie et de nourriture mais de vengeance. Les auteurs ajoutent à ce cocktail explosif la présence d’un photographe qui s’est mis en tête d’immortaliser l’ouest sauvage, mais vu du ciel, à l’aide d’un ballon. Occasion pour rappeler l’un des thèmes récurrents de la série, le rapport à la modernité, à la civilisation.

C’est pas mal du tout. Hermann continue sa mutation, alimentant les planches en grandes cases d’action et en plans serrés emplis d’ombrages divers. Comanche elle-même prend une part plus active dans l’action (pas trop tôt, dirons-nous). Quelques enchaînements de péripéties sont un peu nébuleux, Greg jouant la carte des personnages qui préparent quelque chose sans le dire, mais dans l’ensemble, ça fonctionne pas mal, tout en ménageant des surprises et en enrichissant les caractérisations.

Jim

Dernier tome d’affilée de ma collection (le prochain que j’ai, c’est « Le Corps d’Algernon Brown », il m’en manque deux entre ces deux-là puis les suivants, si bien que je n’ai jamais lu la reprise par Rodolphe…), Le Doigt du diable est exclusivement consacré à Red Dust, qui confirme son statut de vedette, même s’il n’est pas le héros éponyme.

L’action commence alors que Red Dust décide de rendre son étoile et de quitter la région. En effet, la civilisation semble l’avoir rattrapé et, après le chemin de fer, c’est la faune politique qui s’est installée en ville. C’est trop pour le tireur qui a, depuis le premier tome, trouvé la solitude et le calme dans le ranch Triple 6.

Il part donc, avec son cheval et sa mule, et ne tarde pas à rencontrer des ennuis, en les personnes de deux prisonniers et de trois « vigilantes ». Dust, qui semble avoir une propension évidente à se mêler de ce qui ne le regarde pas et à très rapidement choisir son camp (souvent le bon), descend les matons improvisés et libère les deux prévenus, qui confirment vite ses soupçons : la loi, dans le coin, est contrôlé par les gros exploitants miniers à la recherche de cuivre qui rachètent des fermes afin de les convertir en concessions minières… Et si les propriétaires récalcitrent, ils exproprient manu militari.

La suite de ses pérégrinations le conduit sur les terre d’un fermier qui élève seul sa fille. Dust reconnaît en lui un ancien tireur, repenti. Mais quand les hommes des propriétaires miniers viennent, il faut bien ressortir les colts. Parabole du capitalisme prédateur et pillard, métaphore préfigurant la catastrophe écologique en cours (le flash-back sur les cochons morts…) avec quelques décennies d’avance (l’album sort en 1977), « Le Doigt du diable » est rondement mené, avec de belles séquences muettes et très modernes (la découverte du contenu de l’armoire en fer, qui m’a fait penser à l’ouverture de Watchmen dans l’appartement du Comédien, ou encore la flèche dans le cou, d’une efficace redoutable). Autant je trouve que le dessin de Hermann va dans une direction qui ne m’agrée pas, autant sa narration est de plus en plus efficace, supportant les instants muets, jouant parfaitement des contre-champs, intégrant à merveille les grandes cases.

Jim

Hop, je saute deux tomes, que je n’ai pas, et j’atterris dans le dixième épisode, « Le Corps d’Algernon Brown ». Hermann est arrivé à maturité, il dessine au trait, s’étend débarrassé des ombres. Sa narration est épurée, efficace. Ses personnages, à mes yeux, perdent en beauté, ils sont plus courtauds, plus ramassés, leurs traits semblent plus boursouflés. Des personnages moins beaux et des planches plus belles, voilà l’évolution de Hermann selon mes goûts.

Red Dust est revenu au Ranch Triple 6, qui vient de subir, comme les fermes voisines, un déluge féroce. Une partie du bétail est morte noyée, et les prairies sont recouvertes d’une eau stagnante qui mettra des jours à disparaître. Et comme si cela ne suffisait pas, Red Dust et Ten Gallons découvrent le cadavre d’un homme flottant au bord de leur domaine. Ils ramènent le cadavre, préviennent le shérif et s’interrogent : il a été tué par balle, mais l’emplacement de la blessure correspond à la poche où se trouvent ses papiers, qui sont étonnamment intacts. Dust et Comanche sont méfiants. Et leurs soupçons s’intensifient quand le nouveau médecin de la ville se présente au ranch.

Le récit est une sorte de polar, de whodunnit où les personnages pressentent qu’il y a un assassin et tentent de le démasquer. Algernon Brown n’est pas celui qu’on croit, et les révélations s’enchaînent. Greg gère bien la double intrigue, suivant Dust de retour à Laramie et Comanche s’interrogeant sur le nouveau toubib. Il équilibre la présence des deux héros, bel effort pour remettre en avant un personnage féminin trop souvent écarté. On notera que le thème de la modernité, cette « civilisation » que Dust et Comanche convoitent tout en la regardant d’un œil méfiant, est aussi le moteur de l’action et le catalyseur de quelques révélations.

Jim

J’en suis tout étourdi !

Moi, ce qui m’étourdit, c’est que j’ai autant d’albums de Hermann.
Bon, je sais, j’ai profité d’une aubaine en solderie, parce que les franco-belges, c’est comme les comics, j’aime bien les vieilleries.
Mais tout de même, je ne m’attendais pas à apprécier autant.

Jim

Allez, le salon du livre de Caen a été l’occasion d’acheter quelques albums et notamment un Comanche, le neuvième. Donc, rattrapage de culture.

Tout commence au troquet local tenu par « la Comtesse » où Dust fait la connaissance d’un assureur. Une fois que ce dernier eut expliqué les subtilités de sa profession, les cow-boys flairent l’aigrefin. Mais soudain, Comanche surgit : le ranch est en flammes. Le récit s’articule donc entre sauvetage des exploitations, enquête policière visant à découvrir les vrais mobiles et course-poursuite, avec une mise en avant du Cheyenne Tache-de-Lune. C’est rondement mené, plein de mystères et d’indices afin de reconstituer une énigme, et ça conduit à l’énième (mais vraisemblablement dernier) retour d’un ancien ennemi.

On est dans cette période intermédiaire où le trait de Hermann change, conservant encore quelques influences de Giraud, notamment dans les ombres, tout en développant une narration très efficace. Les grandes cases de décor sont très belles. La séquence d’assaut, de nuit, du bivouac est particulièrement bien réalisée, avec une grande case racontant plusieurs actions simultanées.

Jolie réussite et intrigue qui se finit assez bien, en positionnant un peu plus le ranch dans la petite communauté locale.

Jim