CROSSED : + 100 (Alan Moore / Gabriel Andrade)

Très intéressant, tout ça.
Notamment le travail sur le langage, qui est un truc que Moore fait même sur ses travaux un peu alimentaires (de son propre aveu) pour Avatar. Il y avait de ça dans « The Courtyard », par exemple, le prologue à « Neonomicon », et évidemment dans « La Voix du Feu ».
Pour ce qui est de retrouver un univers post-apo mais 50 ou 100 ans après la « chute », je crois me rappeler d’une interview de Kirkman qui disait qu’il voudrait aller par là avec « Walking Dead », l’idéal étant pour lui que quelqu’un reprenne son travail (après sa mort, même !!) et qu’il se poursuive indéfiniment…

Ouaip, ça donne envie ! Merci Jim.

Deuxième épisode très intéressant aussi. Mais dont la seule faiblesse demeure qu’il ne propose, en surface en tout cas, rien de neuf par rapport au précédent.
Toujours un travail d’orfèvre sur le vocabulaire, une réflexion profonde sur la nature de la culture et de la civilisation, et sur la nécessité de redécouvrir et d’archiver (nécessité qui s’accompagne, bien sûr, d’une vacuité évidente). Moore en profite pour creuser la perception que les jeunes survivants ont du monde extérieur, de l’histoire, du passé, de la fiction. Il développe des choses intéressantes sur les rapports générationnels, et sur l’approche du sexe, et montre en quoi les pertes de repères peuvent se généraliser : confusion entre l’histoire et la fiction, affabulation sur les découvertes et sur un passé qu’ils imaginent.
Ce faisant, il renoue avec la figure de l’archéologue, centrale dans la fiction fin XIXe début XXe, et dont ses héros sont en quelque sorte les héritiers, une version dévoyée placée dans un univers déshistoricisé.
Donc intellectuellement, c’est brillant.
Question action, c’est peut-être un peu trop dans la lignée de ce qui a été posé dans le premier épisode, même si ça a le mérite de redéfinir clairement les enjeux : la survie, la contamination, le danger.
Reste quelques pistes proposées, et une quête qui se met tranquillement en place. Mais les quêtes, on sait ce que Moore en fait. Au mieux il les contourne, au pire il les piétine. Ça donne donc envie de lire le troisième épisode…

Jim

Troisième épisode.
Toujours bien.
Moore nous raconte la fin du voyage auquel on assiste depuis le début (in medias res, oserais-je dire, sauf que cet in medias res dure depuis deux numéros), occasion pour lui de présenter de nouveaux personnages et de donner un aperçu de la lente reconstruction sociale et logistique, à tâtons, d’un monde en rupture avec ses racines et son histoire.
J’ai également l’impression qu’il s’ingénie à passer par différentes étapes de l’imaginaire américain (mais peut-être est-ce moi qui surinterprète). Après le véhicule (fétiche de la voiture) et le thème de la route (effacée, à retrouver), il renoue avec les scènes de communautés qui hante l’Amérique (du Fog de Carpenter au Fléau de King en passant bien entendu par Walking Dead), avec le village fortifié, la grande réunion municipale, ce genre de choses.
Il humanise ses personnages encore davantage en montrant leur entourage familial, leurs affections personnelles (occasion de rencontrer un certain Flash Gordon rouquin), et balance des pistes en veux-tu en voilà : le ballon, la vidéo qui apporte plus de questions que de réponses.
Et enfin, il lance Future Taylor et ses amis dans un autre voyage, cette fois-ci sur un bateau, renouant avec l’image du Mississippi si américaine. Dernière image convoquée, celle du nucléaire (la centrale, le barrage, les cheminées…), qui rappelle le spectre de Three Miles Island. Bref, en creux, il parle de l’Amérique.
Et il fait avancer son intrigue, à coup de petites touches, mais entre l’interrogation soulevée par la vidéo et le charnier de la fin de l’épisode qui laisse imaginer une culture, même rudimentaire, chez les Infectés, il semble préparer un truc, le vieux barbu.
Rajoutons à cela un langage de plus en plus fouillé et complexe, qui s’enrichit de mots et de tournures. Moore pousse les potards, sur ce troisième épisode, pariant que ses lecteurs ont eu le temps de s’habituer et qu’on peut désormais leur asséner des phrases nettement plus « futuristes ». Il y a des bulles entières composées de ce salmigondis reconstitué, et Moore ne fait aucun effort. Il pousse même l’ironie jusqu’à faire dire à Future qu’elle ne comprend pas le langage des gens de l’est (et effectivement, l’un d’eux s’exprime, et c’est à peine compréhensible). Sacrée claque.
Bref, il donne l’impression de tisser quelque chose. Mais il prend son temps. Ça pourra en désarçonner certains. Il se passe plein de choses mais cela donne l’impression qu’il ne se passe rien. Gageons que lorsqu’il lâchera la surprise, ça fera du bruit.

Jim

Avatar vient de révéler que la mini-série Crossed +100, sans doute devant le succès ou en tout cas le buzz produit par le passage d’Alan Moore chez l’éditeur, devient une série régulière. Ce n’est pas Moore qui reprend la suite à partir du septième numéro, mais Simon Spurrier, qui a déjà tâté de cet univers à l’occasion de Crossed: Wish You Were Here et de Crossed: Badlands.

L’éditeur dévoile l’information ici, et met en avant le fait que Moore aurait choisi lui-même Spurrier comme successeur. Est-ce vrai ou n’est-ce qu’un argument de vente, on laisse cela aux lecteurs.

Jim

Moore ne fera que six numéros? C’est très court, je m’attendais à ce qu’il écrive au moins dix ou douze épisodes. Dommage, même Gabriel Andrade ne reste pas au dessin pour la suite.

C’est Alan Moore qui a choisi Si Spurrier pour le remplacer mais il y a de très grandes chances qu’il revienne faire un arc de temps à autres comme Garth Ennis pour la série régulière Crossed.

Voici ce que dit Moore sur son succésseur:

[quote] Si Spurrier attacks a concept with a ferocity that’s unlike that of anybody else, cracking its bones to see what the marrow tastes like and delivering something startling, dreadful, funny and heartfelt; something visceral and smart and crackling with original ideas.

With his run on Crossed +100 he takes that skull-littered wilderness in a direction which is shocking, perfect, and one that I’d never have dreamed of in a hundred years.  This, believe me, is going to be **** movie.[/quote]