Alors c’est pas mal du tout, cette petite chose-là.
Les acteurs sont formidables (Emma Thompson tient le film à elle seule, Giamatti fait une prestation extraordinaire, Colin Farrell ça faisait une éternité que je ne l’avais pas vu si convaincant, et Tom Hanks est sur la réserve, discret mais efficace…), le montage est au cordeau, la comédie musicale dont les coulisses sont évoquées est à peine esquissée et n’envahit pas le récit, bref, c’est superbement équilibré et c’est pété de cadrages ingénieux sans esbroufe.
Et le choix de l’angle est à l’aune du reste.
Car on se doutait bien que, le film étant produit par Disney, on n’aurait pas un portrait honnête de Walt Disney lui-même. Du coup, le scénario choisit de ne rien évoquer qui puisse faire polémique. On se contente d’évoquer l’enfance de Walt lui-même dans une scène de dialogue et de montrer un chef qui n’admet aucune contestation et qui cache sa tabagie (ce qui est déjà pas si mal, si on y réfléchit).
Et le film se concentre sur P.L. Travers, s’appuyant sur les bouquins de Valerie Lawson. Le biopic lui-même évoque une enfance heureuse brisée par des souvenirs difficiles (visiblement remis dans un ordre servant à la dramaturgie…), et alterne le 1967 de la narration avec le 1906 des flash-back d’une manière vraiment très habile. Ça joue à fond sur le pathos, choix délibéré, mais c’est plutôt fructueux et pertinent.
Et comme il semble impossible d’évoquer le bras de fer de l’auteure et du producteur sans passer par la guerre entre deux psychopathes (et donc rentrer dans le polémique), le scénario déplace le conflit ailleurs, le film devenant la description de la lutte entre les mondes culturels : la littérature contre le cinéma, l’Angleterre contre la Californie, la Vieille Europe contre le Nouveau Monde, le rêve contre le pognon.
Et c’est justement là que j’ai trouvé le film touchant. Si tout le pathos est mis sur les flash-back et fera pleurer les chaumières, moi, ce qui m’a passionné au premier chef, c’est la partie 1961, qui parle du mystère de la création. C’est un sujet qui me fascine depuis Le Magnifique de de Broca (ce qui fait que les rapports de l’écrivain à son œuvre et de la réalité à la fiction m’ont poussé à regarder des films rien que pour ça : de Finding Neverland à the Secret Life of Ian Fleming, parmi mille autres trucs…).
Et là, le montage, mais aussi le jeu d’acteur, les dialogues (les deux compositeurs qui défendent leur travail, le scénariste qui essaie de ménager chèvre et chou…), il y a une succession de scènes formidables mettant en exergue la manière dont les personnages de fiction vivent dans l’imaginaire. C’est d’autant plus intéressant qu’il ne s’agit pas ici du mystère de la création ex nihilo, mais du mystère de la création une fois que celle-ci a déjà imprégné le cœur de ses lecteurs et de ses adaptateurs. Et comment ces derniers se la réapproprient pour prendre d’assaut de nouveaux spectateurs. Je mets au défi quiconque s’intéresse aux coulisses de la création, quelle qu’elle soit, de rester insensible à la scène du cerf-volant.
On n’aura bien entendu pas de grand choc de personnages. Mais au final, cela évitera aux acteurs de faire assaut de moments d’anthologie, et cela servira un film sur les coulisses d’un film, et un portrait doux-amer d’une industrie hollywoodienne qui, même idéalisée dans la Californie des années 1960, n’en demeure pas moins une machine à remâcher les idées.
Bref, dans les contraintes imposées par l’exercice (parler de Walt Disney dans la maison Disney, c’est déjà une contrainte en soi, et là, ils évitent l’hagiographie, c’est aussi un exploit en soi…), les scénaristes ont trouvé un angle redoutablement efficace et ont réussi le pari d’évoquer une création douloureuse et une naissance mémorable. Une renaissance, même, mais je vous laisse découvrir ça.
Jim