Sacrément impressionnant, le récit de Aaron et Stewart.
« The Other Side » narre en montage alterné les destins croisés de deux soldats appartenant aux deux camps opposés s’affrontant au Viet-Nam, les deux parcours présentant une trajectoire déclinante vers la folie et la mort. Une idée simple, mais brillante aussi : cette idée de champ / contre-champ n’a pas été telement exploité au cinéma, alors que cette guerre a portant engendré un nombre colossal de films, dont d’authentiques chefs-d’oeuvre. Et précisément, les quelques critiques (parfois virulentes) qui ont pu être émises à l’encontre de monuments comme « Apocalypse Now » ou « Voyage au bout de l’Enfer » portaient sur cette absence de contrepoint, cette « déshumanisation » de l’ennemi passant par son absence de représentation, son invisibilté (on pourrait d’ailleurs objecter que cette invisibilité est raccord avec le projet narratif de ces films, qui collent au point de vue subjectif de leurs protagonistes principaux, des soldats américains…).
Pas de risque de ce côté-là, Aaron présentant donc deux points de vue simultanés, avec un sens de l’équilibre d’une grande justesse, dénonçant d’un côté comme de l’autre la stupidité crasse de la propagande et de l’endoctrinement, le mépris total de l’état-major, la vacuité des enjeux, etc…
Et pourtant, Aaron évite un autre écueil en évitant de photocopier basiquement l’une sur l’autre les caractérisations des deux personnages, qui sont aux antipodes (c’est le cas de le dire) l’un de l’autre.
Même si Aaron s’étend dessus en postface, l’anecdote est trop belle pour ne pas être évoquée ici : Aaron avait pour cousin germain feu Gustav Hasford, auteur du « Merdier » et scénariste de « Full Metal Jacket » (le roman « Le Merdier » ayant servi de base à l’histoire) ; c’est ce cousin illustre qui a déclenché chez Jason Aaron la vocation de l’écriture, c’était une sorte de héros / modèle pour lui.
Forcément, « The Other Side » est fortement influencé par le roman et le scénario de Hasford, c’est même là un hommage qui lui est rendu. On retrouve ainsi un sergent instructeur psychopathe à la R. Lee Ermey, entre autres références.
Là où « The Other Side » prend ses distances avec ce modèle, outre le jeu de champ / contre-champ, c’est avec quelques trouées oniriques et morbides, interludes macabres hallucinées figurant le délire et la folie guettant les deux personnages. Et là, chapeau Cameron Stewart, qui réalise un travail somptueux comme à l’accoutumée, d’une lisibilité, d’une précision et d’une élégance remarquable, mais avec une « densité » inhabituelle peut-être qui tire le récit vers une noirceur appuyée bien raccord avec la violence en germe dans le script de Aaron.
Une sacrée réussite dans le genre : un récit noir et désespéré à l’extrême, mais aussi bouleversant et d’une grande finesse, bref un titre précieux, pour le moins.