C’est un bonheur de voir un Tsui Hark en salles, surtout lorsque celui-ci revisite la veine luxuriante du wu-xia-pian (ou film de cape et d’épées chinois, empruntant ici largement au « swashbuckler » américain) qui lui a si bien réussi. Quelle splendeur !!
Le premier « Dee » était déjà le signe d’un retour en grâce pour Hark, après des années de disette (l’incroyable quoiqu’imparfait « Seven Swords » étant le dernier « grand » Tsui Hark avant 2010 ; entre les deux, des trucs pas sortis par chez nous, comme « The Eye 3 », je crois…).
Un grand films d’aventures mâtiné d’enquête policière palpitante : c’est à nouveau la recette de ce « Dee », une préquelle du précédent volet. Dee postule à peine au Temple Suprême qu’il est déjà embarqué dans une vaste machination impliquant la cour impériale et de mystérieux monstres marins. L’esprit « serial » est là, plus que jamais.
Malgré les CGI foireux (mais quand exactement Hark a-t-il eu accès à des SFX convaincants ? Jamais…), malgré le côté " it’s way over the top" d’un climax boîteux issu des rêves les plus fous du plus cintré des geeks, Hark enchante, encore une fois. La maëstria des scènes de combats envoûte à nouveau, idéalement captées qu’elles sont par le roi du « déséquilibre contrôlé mis en images » (bien aidé il est vrai par des chorégraphies, de Sammo Hung je crois, plus qu’inspirées) : cf. l’incroyable combat final à même le flan d’une falaise, comme un clin d’oeil aux plans de dingo de « Time and Tide ».
La supériorité plastique des films de Hark s’exprime aussi à travers des séquences plus posées, comme celles où des tentures de différentes couleurs, très vives, sont visibles. Si comme le dit Alain Badiou, « dans la plupart des films on voit bien que la couleur est en trop » (ce qui revient à dire que les cinéastes ne savent pas quoi en faire), ce constat ne concerne pas Tsui Hark, un des derniers grands cinéastes de la couleur (et de la lumière).
« Young Detctive Dee » va également puiser dans l’arsenal du récit policier pour renouveler sa narration, à la manière du « Sherlock » de Moffat et Gatiss, où certaines séquences muettes de déduction consistent à trouver des moyens visuels de représenter la pensée du protagoniste et son mode de fonctionnement (le « mind palace », les surimpressions de texte, etc…). Hark s’appuie quant à lui sur la 3D pour l’illustrer, mettant en exergue ou isolant des éléments qui attirent l’attention du détective, même s’il joue aussi sur la dimension purement foraine du dispositif en jetant un paquet de trucs à la gueule du spectateur.
Il y a quelque chose de vraiment amusant à voir le héros parvenir à rationaliser les éléments d’une intrigue par ailleurs ouvertement fantastique : beaucoup évoque à ce sujet la censure chinoise (réelle), mais celle-ci fuit surtout comme la peste les fantômes. Cette effort de rationalisation est en fait une volonté de Hark et de son équipe, c’est en quelque sorte un des marques de fabrique de la saga, avec son mélange de véracité historique et de pure fantaisie (l’impératrice Wu et le juge Dee ont vraiment existé à l’époque de la dynastie Tang, pour certains des autres protagonistes du film, j’ai un gros doute…
).
En tout cas, comme dans le précédent volet, le scénario se plaît à semer le doute, à multiplier les rebondissements, à jouer sur les faux-semblants, à dynamiter les certitudes du spectateur pour le prendre à revers… De ce point de vue là, c’est une franche réussite aussi.
Excellent, vous l’aurez compris.
Hark se laisserait bient tenter par un troisième volet a-t-il dit, et il verrait bien, par la grâce des voyages temporels (que ferait-on sans eux…), les deux versions du Detective Dee, jeune et « vieux », se rencontrer. On signe où ??