DÉTECTIVES t.1-7 (Herik Hanna / Sylvain Guinebaud, Nicolas Sure, Ceyles, Thomas Labourot, Julien Motteler, Mara)

Après un troisième tome consacré à **Ernest Patisson **(Pour en savoir +), c’est au tour du commissaire Bec de faire toute la lumière sur La Cour silencieuse

« Comprendre et non pas juger »
**Georges Simenon **

Ceux qui suivent la série depuis le début le savent sûrement, l’album 7 Détectives et la série dérivée Détectives qui octroie à chaque « détectives » de la série concept «7 …» une aventure solo proposent des personnages principaux qui sont des pastiches de célèbres « détectives littéraires ».
Avec ce quatrième album c’est au tour du commissaire Martin Bec de nous montrer son talent.
Avant même de commencer ma lecture je m’étais imaginé que pour le coup il s’agissait-là d’un pastiche du monsieur Lecoq d’Emile Gaboriau.
La faute à l’association « coq » → « bec ».
Mais en lisant cette histoire à pas de loupe si j’ose dire, il est immédiatement devenu clair que le commissaire Bec était plutôt un pastiche du commissaire Maigret.

C’est du moins ce qu’un raisonnement inductif laisse penser.

Ainsi à l’instar d’un naturaliste qui sur la seule inspection de 2 ou 3 os, dessine l’animal auquel ils ont appartenu j’en suis venu à penser que : Maigret = magret (de canard). Canard = Bec. CQFD.
En outre le 36, quai des Orfèvres (Paris) où sont installées la prestigieuse brigade criminelle depuis 1912 et la direction de la police judiciaire depuis 1913 est l’endroit où a officié le plus célèbre des commissaires parisiens : Jules Maigret.
D’autres indices concordants sont aussi à prendre en compte : la pipe, la fréquentation d’une brasserie, la potée aux lentilles, les pintes de bière, le 36, quai des Orfèvres donc, et last but not least l’un des subalternes de Bec se nomme Cadet, et dans la célèbre série télévisée qui met en scène Jean Richard dans le rôle du commissaire Maigret, l’inspecteur Lucas, bras droit dudit commissaire est joué par, tenez-vous bien : François Cadet.

La preuve en image :

Et lorsque, après avoir lu cette enquête je me suis attardé sur les remerciements des auteurs, le doute n’était plus permis :

signé Erik Hanna.

Bon Dieu ! Mais c’est… Bien sûr !

Si dans les précédents albums Erik Hanna ménageait force coup(s) de théâtre, La Cour silencieuse est une enquête tout à fait dans le ton de celles de Maigret, du moins celles dont j’ai gardé le souvenir, où le commissaire est plus un raccommodeur de destinées qu’un fin limier ; ne disait-on pas d’ailleurs que dans les rapports de Maigret, il y a surtout des parenthèses.

Et de fait cette histoire peut sembler un peu moins réussie que les précédentes en vertu d’un rythme beaucoup moins trépidant, plus linéaire et d’une fin « anti-spectaculaire ». Pas de twist, ni de retournement de situation ici

Mais le tour de force du scénariste c’est justement d’offrir une nouvelle enquête à chaque fois (mais qui je le rappelle formera un tout à la fin de la série), ce qui n’est pas une mince affaire déjà, mais en outre de créer également des ambiances qui se doivent de rappeler celles sur lesquelles ses pastiches prennent modèle.
Et pour le coup c’est très réussi !

*« Le lecteur d’histoire de détectives est un peu comme le voyageur de chemin de fer enfermé dans son compartiment qui suit des yeux le « défilé du paysage », ce spectacle truqué par les perspectives, sans cesse mouvant, mystérieusement déplié puis replié à son regard. » *François Rivière

Toute intrigue policière est une structure malicieuse, et la série Détectives n’y déroge pas.
Elle appartient à ce que j’appellerai la bande dessinée dite de « second degré », qui est celle qu’on doit au postmodernisme et dont les caractéristiques principales sont : le métissage des formes, l’intertextualité et le recyclage.
De celles qui éveillent la curiosité de l’esprit et qui excitent l’imagination.

Comme l’a montré Thierry Groensteen, la parodie ou ici le pastiche, est en phase avec la culture de masse dans laquelle nous baignons tout plus ou moins.
D’une certaine manière, chaque oeuvre appartient à un grand tout, que j’appellerai le « champ unifié » de la fiction.

Pastiche disais-je ; lors de mon commentaire sur le tome précédent je n’avais pas manqué de faire un parallèle entre Martin Bec le héros de l’album La Cours silencieuse et le commissaire Maigret.
Il est bien sûr tout aussi évident (du moins pour moi) qu’Erik Hanna n’ignore pas qu’il existe un personnage homonyme ou presque, créé par Maj Sjöwall et Per Wahlöö, qui n’est pas sans rappeler justement le commissaire **Maigret **, et qui a eu l’heur d’être publié dans l’Hexagone nommé **Martin Beck ** et travaillant pour la police suédoise.
Si j’osais, je parlerais ici du vertige de la mise en abyme. -_ô]

Avec le cinquième album, les lecteurs qui n’ignorent rien d’un célèbre tueur en série dont on prétend qu’il écrivait directement de l’**Enfer ** seront en terrain connu.
Frédérik Abstraight est (du moins selon moi) le pastiche réussi (si l’on s’en tient à l’image souvent véhiculé par la fiction) du célèbre inspecteur de la division H, puis de Scottland Yard qui dirigea les inspecteurs chargés de découvrir ce mystérieux tueurs.
Sans succès (inutile de le rappeler) !

Toutefois ce n’est pas aux alentours de **Whitechapel ** que nous convient **Julien Molleter ** & **Erik Hanna ** mais dans un train.

Si l’histoire en elle-même est prenante, la lecture au « second degrés » amplifie le plaisir qu’on y prend.
Ainsi Frédérik Abstraight est-il « invité » à participer à une enquête qui peut rappeler celle qui a justement inspiré la Reine du crime pour son propre roman que les auteurs s’amuse à pasticher, toutefois l’enfant kidnappé est ici un … (je vous laisse le découvrir si ce n’est déjà fait).

Paul Morand a écrit que le roman policier n’avait pas pour rôle de sonder les ténèbres des âmes, mais d’actionner des marionnettes par un impeccable mouvement d’horlogerie.
Erik Hanna commence à sérieusement relier les albums de la série entre eux, notamment en faisant se rencontrer le personnage principal de cette histoire : **A Cat in the Barrel ** et celle du **Monstre botté ** (je n’en dis pas plus) ; j’ai d’ailleurs hâte de voir le tour de main du scénariste à l’œuvre pour ce qui sera de faire de ces albums une seule histoire en un impeccable mouvement d’horlogerie.
Je précise que l’unité artistique des différents albums est déjà à l’ordre du jour, malgré les changements de dessinateurs, grâce au beau travail de Lou, et à une charte graphique qui saute aux yeux.

Encore un album très réussi (comme les précédents) ; et il me tarde de lire la suite.

La critique de Détectives T.6 (simple - Delcourt BD) par ginevra est disponible sur le site!

Lire la critique sur BD Sanctuary

Et je suis tout à fait en accord avec ma collègue et amie sur ce coup là! :wink:

La critique de Détectives T.6 (simple - Delcourt BD) par vedge est disponible sur le site!

Lire la critique sur BD Sanctuary

Hop, je remonte, il est bien calibré, ce sujet !

Surtout que j’ai fait une critique en son temps du tome 7 et final…

ginevra

Jim