DOMINO (Brian De Palma)

DATE DE SORTIE PREVUE

Indéterminée

REALISATEUR

Brian De Palma

SCENARISTE

Petter Skavlan

DISTRIBUTION

Guy Pearce, Nikolaj Coster-Waldau, Carice van Houten, Eriq Ebouaney…

INFOS

Long métrage français/danois/espagnol/belge
Genre : Thriller
Année de production : 2018

SYNOPSIS

Alors que l’Europe est sous la menace de terroristes, deux officiers de police traquent un tueur responsable de la mort d’un de leurs partenaires à Copenhague. Ce qu’ils ignorent, c’est que celui qu’ils poursuivent travaille pour le compte de la CIA…

Brian de Palma :

“I never experienced such a horrible movie set. A large part of our team has not even been paid yet by the Danish producers. The film is finished and ready to go out, but I have no idea what its future will hold, it is currently in the hands of the producers. This was my first experience in Denmark and most likely my last.”

Un premier aperçu ici :

Toujours aussi atrabilaire et franc du collier, le De Palma !!!

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Ouille ouille ouille…
Qu’est-ce qu’il fait mal, le visionnage de ce « Domino » de bien piètre facture : quand on a été (quand on est ?) un inconditionnel de la grande époque depalmienne (avec des chef-d’oeuvre absolus comme « Pulsions », « Carrie », « Blow Out » ou « Body Double »), on a du mal à croire à ce qu’on a là devant les yeux.

Bon, le réalisateur caractériel n’en a pas fait grand mystère comme en atteste le post plus haut ; son expérience sur le tournage a été proprement cauchemardesque, la production ne s’étant pas montrée à la hauteur des ambitions du projet. « Domino » est un film sous-produit.
Même en tant que fanboy aveugle (j’exagère un peu mais pas des masses), j’avais bien repéré l’espèce de « décadence esthétique » du cinéma de De Palma depuis en gros « Femme Fatale » au début des années 2000, aggravée sur le raté mais intéressant « Dahlia Noir » un brin plus tard. Et même, en poussant un peu, on aura même remarqué que la deuxième moitié de la carrière du cinéaste, à compter du moment où il cherche des projets plus grand public, n’est pas tout à fait à la hauteur de la première, stellaire sur le plan qualitatif.
Mais la dégringolade à laquelle on assiste là est d’un autre ordre. A côté, le légèrement cheap mais passionnant (humour) « Passion » passerait presque pour un classique de la grande période hollywoodienne.

Il est en premier lieu proprement incompréhensible que De Palma ait accepté de mettre en scène ce scénar’ atroce, qu’il n’a pas écrit (mais on voit par moments ce qui a pu l’intéresser là-dedans, j’y reviens plus bas), à peine digne d’un DTV des années 2000 avec Dolph Lundgren en bout de course. Ce script insauvable, caricatural et criblé de manière à peine croyable d’erreurs et de facilités d’écriture proprement inouïes (« merde, j’ai laissé mon flingue dans ma chambre !! », zoom insistant à l’appui ; on croit rêver…), suffit à plomber le film. Mais la morosité de De Palma devant ce projet condamné à l’avance contamine également la mise en scène.

Entre la frugalité des moyens et la très probable démission totale du cinéaste à même le plateau (la post-production, qui s’est faite sans De Palma, est ratée dans les grandes largeurs mais n’est pas responsable de l’ensemble du naufrage), le résultat fait peine à voir. Plans sans imagination, photo atroce (tantôt sous-éclairée, tantôt sur-éclairée, mais c’est jamais à propos), direction d’acteurs inexistante (TOUS les acteurs font peine à voir, alors que certains comme Carice Van Houten sont excellents par ailleurs), rythme inexistant du fait des innombrables remontages dont le film a dû faire l’objet : n’en jetez plus, la coupe est pleine.
Je pense que le principal problème de De Palma sur ce projet, outre sa démobilisation compréhensible, c’est qu’il semble n’avoir le temps que de mettre en boîte et conserver au montage des premières prises. Même des trucs aussi basiques que les entrées et sorties de champ sont bâclées de manière incompréhensible. Au final, c’est le temps plus que les moyens qui lui aura manqué pour tenter de sauver les meubles (le tournage s’est étalé sur 100 jours, mais De Palma ne tournera vraiment que 30 jours sur cette période ; on imagine sa frustration).
Le résultat : on doit être proche du niveau de bérézina du « Dracula 3D » de Dario Argento (que je n’ai toujours pas vu), niveau calamité artistique.
Et pour continuer le parallèle entre ces deux cinéastes « frères ennemis », même le grand Pino Donaggio (qui a bossé avec les deux réalisateurs) ne semble inspiré par le projet ; sa musique souffre du même manque d’inspiration et du même manque de fignolage en post-prod’ que le reste du film. Ne reste en mémoire que sa relecture du « Bolero » de Ravel, mais De Palma avait déjà eu cette idée sur « Femme Fatale »… Auto-citation un peu vaine.

Le fanboy débile (comme celui qui écrit ces lignes) trouvera-t-il quand même, au prix de méchantes contorsions intellectuelles et d’un joli exercice de mauvaise foi, de quoi contenter son depalmisme, désormais une maladie grave (au traitement non remboursé par la sécu) ? Oui, quand même. Je suis indécrottable, décidément.
Déjà il y a les habituels clins d’oeil hitchcockiens : De Palma n’est évidemment pas le seul à les faire, mais chez lui ça résonne évidemment d’une manière particulière (on trouve en vrac une longue scène d’introduction qui rappelle lumière incluse l’ouverture de « Sueurs Froides/Vertigo », le film des films pour De Palma, des raccords dans l’axe qui évoquent les jump-cuts des « Oiseaux » sur l’homme aux yeux crevés, et un final qui s’inspire sommairement mais sûrement des climax à la « L’homme qui en savait trop »). S’il fait très cheap au regard des grandes réussites depalmiennes en la matière, le climax dans les arènes d’Almeria ressuscite quand même en quelques occasions le feeling des grands moments maniéristes de l’ex-maëstro.

Et il y a le sujet du film, brûlant, et dont on se dit que De Palma ne peut décemment pas le traiter comme le premier actioner DTV post-« 24 heures » venu. Et effectivement, il y a un discours pertinent et subversif qui pointe le bout de son nez quand on regarde quelque part entre les images et les séquences calamiteuses du projet. De Palma, grand scopophile devant l’éternel, et également (comme nombre de cinéastes de sa génération) obsédé par les images violentes générées par les remous géopolitiques de son temps (exemplairement : le film d’Abraham Zapruder sur l’assassinat de JFK), et la façon dont elles modèlent notre inconscient collectif, a bien conscience qu’il a de quoi faire avec l’imagerie du terrorisme « internetisé » contemporain. Et il renvoie de manière assez misanthrope mais pertinente les deux camps dos-à-dos ; il y a trois « metteurs en scène » dans le film, que l’on voit clairement manipuler des images : De Palma bien sûr, mais aussi l’agent de la CIA incarné par un Guy Pearce cabotin au possible et enfin le chef des terroristes, qui règle la direction de séquences de manière limpide, sur le plan métaphorique…
Quant au voyeurisme supposé (et probablement réel) du spectateur vis-à-vis de ce nouveau type d’images, il est rassasié par la séquence la plus stupéfiante du métrage, conçue comme un split-screen présentant simultanément un champ et son contre-champ : cette scène, dont le côté très cheapos se retourne à l’avantage du film pour une fois, est totalement de palmienne, dans le meilleur sens du terme.
Dernier point : il faut être gonflé comme De Palma pour établir un parallèle entre massacre terroriste en puissance et… corrida, mais c’est pourtant ce que tente le final du film, qui fait un usage presque « Z » dans l’esprit mais assez jouissif des fameux drones, un des outils les plus galvaudés du cinéma contemporain. Un drone qui tue, littéralement, comme son grand frère de confection militaire… Bien vu.

Ces petits moments qui réconforteront le coeur meurtri du fan ne suffiront évidemment pas à sauver le film, mais feront peut-être le bonheur de ceux qui se lanceront dans les études de l’oeuvre complète de Brian De Palma d’ici quelques temps. Pas sûr cependant, vu le calvaire manifeste qu’a représenté la confection de ce film, qu’on le revoit de sitôt derrière une caméra…

C’est bizarre, parce que ton intervention, qui a le chic pour renforcer les maigres points positifs, donnerait presque envie de le voir !
:wink:

Jim

J’avoue que c’était mon intention initiale. Mais j’assume difficilement le fait de conseiller ce… film, vraiment plombé par ses problèmes de production. A la rigueur, si on est intéressé par ces questions, c’est un cas d’école, passionnant en soi.