Lors de l’événement DC YOU, une période de DC antérieure à REBIRTH, une série Doctor Fate a été lancée par Paul Levitz et Sonny Liew - d’un côté un scénariste vétéran qui a même dirigé un temps DC, de l’autre un dessinateur et auteur malaisien au style surprenant.
Cependant, plutôt que de reprendre encore Kent Nelson, ou son dérivé récent Kent V. Nelson (créé par le regretté Steve Gerber), le titre se concentre sur Khalid Nassour, jeune étudiant en médecine issu d’une famille multiculturelle (papa chauffeur de taxi musulman né en Egypte, maman américaine et archéologue). Et si j’ai eu initialement des doutes sur l’intérêt de cette série, craignant que ce focus multiculturel soit là pour courir derrière le phénomène Miss Marvel de l’éditeur d’en face, je viens de dévorer les 18 numéros de la présente série… et j’ai adoré !
Attention, la lecture de ce Doctor Fate demande quelques avertissements : la série n’a aucun lien avec l’univers DC, ou très peu ; si l’on découvre, au #12, un Kent Nelson qui vient participer à la série pendant quelques épisodes, cela s’arrête là. Il ne faut pas s’attendre à ce que Khalid croise Superman ou d’autre, la série est clairement autocentrée.
De plus, il faut aussi lire le titre à la suite : la lecture mensuelle doit être frustrante, car la première saga avance lentement… très lentement. Pour avoir tout parcouru d’un coup, ça n’est pas gênant, mais le format mensuel doit être gênant.
Au-delà de cela, il faut apprécier aussi les récits d’initiative, de découverte, de jeune Héros perdu entre sa mission, un mentor difficile et des proches en péril… bref, il y a beaucoup de Peter Parker chez Khalid, et ça n’a rien de désagréable !
Cela suffit pour se lancer dans ces 18 numéros de Doctor Fate, un voyage passionnant et émouvant… mais qui démarre mal, et ne finit pas au #18, mais au #16. Je m’explique.
Le #1 a le désavantage de suivre directement un DC SNEAK PEEK, qui montre Khalid se perdre dans le musée où travaille sa mère, alors que New York et le monde subissent une tempête de pluie terrible ; le prologue n’a pas dû en dire beaucoup, mais le #1 a le désavantage de ne pas vraiment expliquer, de plonger dans la situation. Dommage. Il faut également s’habituer au style de Sonny Liew, que j’ai appris à aimer mais qui surprend, à la base.
Une fois ces premières difficultés passées, on peut directement plonger dans l’intrigue - celle qui voit donc le jeune Khalid, perdu entre ses études de médecine, sa petite-amie Shaya, sa voisine Akila voilée et qui veut défendre les droits humains « au pays » (l’Egypte), et donc le Heaume de Nabu, qui lui tombe dessus parce qu’il a du sang de Pharaon en lui. Il dispose alors de la puissance de Nabu, héritée de son maître le dieu de la sagesse Thot, grâce à la déesse Bastet qui s’est incarnée dans son chat, et le pousse à affronter Anubis, qui veut rayer la civilisation de la planète pour nettoyer le monde et repartir sur de bonnes bases !
Un programme dense, donc, fort et passionnant, qui justifie à mon sens que Levitz et Liew prennent leur temps pour poser leur intrigue, et l’affrontement entre un Khalid débutant et paumé, et un Anubis terrifiant. Il leur faut en effet 7 numéros pour que le Héros puisse vaincre Anubis, avec un processus classique d’échec & de reprise efficace.
Cela leur permet de bien poser les proches et le caractère de Khalid, Peter Parker bis dans un environnement surprenant. C’est d’ailleurs une continuité dans toute la série, ce soin donné aux personnages secondaires, à leurs combats, mais aussi au multiculturalisme apaisé et « normal » des parents de Khalid ; c’est agréable. On a, bien sûr, le moment de racisme ou de rejet, mais cela concerne un moment où toutes les religions tiennent un meeting, et c’est bien. Levitz gère bien cet aspect difficile du titre.
Ibrahim Moustafa prend la suite de Liew au #7, pour un voyage en France afin de sauver le Mont Saint-Michel, et cela permet de montrer que Khalid n’est pas uniquement le héraut de Thot - mais aussi de toutes les grandes religions ; une bonne idée, pour prolonger ce multiculturalisme soft et apaisé. Et le dessinateur remplaçant, s’il a un style plus classique, assure bien, même s’il tranche bien sûr avec l’étrangeté plaisante de Liew.
Ce dernier revient du #8 au 11 pour un story-arc un peu décevant, qui démarre bien en traitant d’une manifestation américaine sur un déplacement de responsables militaires égyptiens, mais qui se perd dans la présence de fantômes romains (!), même si cela permet à Levitz & Liew de parler, de manière simple mais réelle malgré tout, des dérives autoritaires après le Printemps arabe. Ambitieux mais imparfait.
Liew demeure au #12 pour un bel épisode où Khalid doit faire face à son absentéisme, mais parvient à garder sa place en… récupérant l’âme du doyen suite à une crise cardiaque, après un nouvel affrontement avec Anubis ! Fun et efficace, avec notamment ce final qui montre l’arrivée de Kent Nelson, le premier Fate qui se révèle le grand-oncle de Khalid (oncle de sa mère).
Les #13 et 14 voient le retour d’Ibrahim Moustafa pour un diptyque où Kent apprend à Khalid, à la dure, sa nouvelle tâche - et lui inculque le principe de « nettoyer derrière lui », notamment les créatures échappées du Royaume des Morts après ses combats avec Anubis.
Liew revient pour les #15 et 16, qui sont la véritable conclusion de la série ; Khalid parvient à trouver un équilibre, à gérer ses problèmes, et la planche finale est pleine d’espoir et de symbolisme. Dommage, en un sens, que les #17 et 18, petits bijoux psychédéliques dessinés par Brendan McCarthy, viennent « gâcher » cette conclusion, car ils arrivent comme un cheveu sur la soupe - ils sont biens, ils sont beaux surtout, mais ils n’apportent pas de final, et le rendu définitif de la série qui s’achève ici est un peu gênant.
En soi, cette série Doctor Fate ne révolutionne rien, mais offre un personnage intéressant avec Khalid Nassour, sorte de Peter Parker mystique, qui évolue dans un milieu multiculturel et multicultuel qui « n’attire pas l’attention », qui est présenté et vivote comme s’il était « normal » d’avoir un père musulman pratiquant et une mère chrétienne, d’avoir une amie d’enfance voilée et militante pour les droits de l’Homme, et une petite-amie ; et c’est bien.
Avec ces principes forts, mais présentés sans mettre le focus dessus, en bénéficiant du trait si étrange mais si intéressant de Sonny Liew, en prenant son temps pour introduire le Héros et ses bases, en construisant un casting fort, ce titre a réussi à me plaire, à m’intéresser, puis à me passionner.
Dommage, donc, qu’il ne dispose pas d’une conclusion digne de ce nom, et que le diptyque de McCarthy arrive un peu tard. Ce fut en tout cas une belle aventure, et une belle réussite de DC YOU dont j’ai pourtant dit beaucoup de mal !