D’abord, une petite remarque en forme de coup de gueule (attention ça dénonce) : le film s’appelle désormais pour le marché français « English Revolution ». Ouais.
Donc on oublie le magnifique titre anglais (ce sont des choses qui arrivent) pour…un autre titre anglais, plus moche et en plus à côté de la plaque puisque la fameuse révolution du titre (la guerre civile anglaise de 1651) n’est pas la sujet mais plutôt le contexte de l’oeuvre. N’importe quoi.
Passons.
Alors qu’est-ce que nous a concocté le plus que prometteur Ben Wheatley avec ce quatrième long ? Après « Kill List », fracassante résurrection du cinoche horrifique anglais sous influence « Wicker Man », et le virtuose, drôle et glaçant tout à la fois « Touristes », jalon supplémentaire dans le sous-genre du film de « couple de serial-killers » (« Badlands » de Malick, « Bonnie and Clyde » de Penn ou « Tueurs Nés » de Stone sont des fleurons du genre), on attendait du lourd.
Wheatley avait prévenu, il fallait s’attendre à un OVNI. Yes indeed. Et ça peut paraître paradoxal, mais au final « A Field in England » est à la fois le plus impressionnant des films de Wheatley mais aussi le moins abouti…
Tentative d’explication.
Avec son pitch fort alléchant sur le papier (en tout cas à mes yeux), Wheatley se posait quand même un sacré défi de mise en scène ; après tout le film n’est qu’un huis-clos en plein air avec 5 types en tout et pour tout. Pas facile d’accrocher le spectateur.
Intelligemment Wheatley adapte significativement sa mise en scène à ce dispositif : fini les tournages ultra-rapides basés sur de longues impros des acteurs retravaillés au montage, ici que le réal barbu a savamment préparé son découpage (pas le choix) et ça se voit. Si on exclut les séquences les plus barrées, c’est le film le plus « classique » de Wheatley de ce point de vue là.
Une constante par rapport aux autres films : les acteurs sont fabuleux. Wheatley est soit un caster de génie, soit un fabuleux directeur d’acteurs, et peut-être même les deux à la fois.
Wheatley, pour tonifier au maximum sa mise en scène, use de plus de valeurs de plan sans cesse changeantes, on passe de plans d’ensemble très larges à de très gros plans en permanence, c’est extrêmement dynamique sur ce plan.
Et il y a donc les séquences barrées, littéralement hallucinées (les persos sont sous champi). On retrouve la patte de l’anglais au niveau du montage (qui reste son opération fondamentale) des séquences les plus extrêmes, certaines frôlant la stroboscopie, d’autres au contraire consistant en des moments de stase assez hypnotiques (la sublime séquence de la corde et de la tente, filmée au ralenti et en plan-séquence, sur une musique planante à la Tangerine Dream).
Et puis il y a des moments totalement autres, totalement inclassables, comme ses plans (certains sont absolument hilarants) où les acteurs se figent dans des poses outrées : on dirait que Wheatley se moque là de la possible option « théâtre filmé » que son projet porte en germe. Au final c’est tout l’inverse.
Et puis le film est plastiquement très beau, tout simplement, avec son noir et blanc très peu contrasté (école française plutôt qu’allemande, quoi) et son utilisation astucieuse des lens-flares.
Niveau thématique, Wheatley continue à creuser son sillon, avec une sorte d’étude archéologique (on creuse beaucoup dans ses films…) des couches de croyances empilées qui constituent le fond culturel de l’Angleterre, du paganisme au rationalisme à tout crin en passant par le christianisme.
Deux points très intéressants à ce sujet :
- Wheatley choisit un peu comme le Verhoeven de « la Chair et le Sang » un période historique charnière où l’humanité bascule du règne de la superstition à celui de la rationalité, il confronte un peu les différentes attitudes possibles devant ce changement de paradigme.
- il est intéressant de voir comment il nous montre des persos qui aspirent par divers biais à une certaine spiritualité alors qu’il ne cesse de les ramener à une matérialité brute ; dans le même ordre d’idées le film est très sensitif, au sens où Wheatley multiplie les macros (gros plans extrêmes) sur les mains, les yeux, les oreilles…
Le film n’est pas sans défauts : déjà il est très bavard, logique (défaut en partie compensé par l’excellence des dialogues), et puis, comme tout film « expérimental » qui se respecte, il a de gros défauts de rythme. Le film dure 1 h 25 et semble faire une demi-heure de plus, sans qu’on se fasse chier pourtant…
Les changements de braquet rythmiques des séquences les plus bizarres en sont la cause, alors que « Touristes » par exemple était un modèle de fluidité.
Et puis bon, faut reconnaître qu’on ne comprend pas tout ce qui se passe à l’écran, pas que ce soit foncièrement gênant mais quand même, la narration est assez confuse.
Malgré ces défauts (qui vont faire que certains vont rejeter en bloc, c’est sûr), c’est un projet qui attire instantanément la sympathie : Wheatley se dépatouille comme un chef d’un budget de misère avec 5 mecs, un canasson, quelques fumigènes et beaucoup d’imagination là où d’autres pondent de la merde insipide avec l’équivalent du PIB du Bostwana, ça fait du bien.
Et je ne parle pas même pas des références convoquées, des films les plus originaux de la Hammer (genre « Captain Kronos, Vampire Hunter ») au feeling des films des 70"s de Jodorowsky ou de Werner Herzog (j’ai beaucoup pensé à Herzog) en passant par certains fleurons du film « d’auteur en costumes » comme « Andreï Roublev » ou « Le Septième Sceau » : on a vu pire.
J’ai hâte de voir le prochain Wheatley, qui sera trèèèèèèès différent de ce film puisque le réal anglais aura pour la première fois un budget confortable : ce sera « Freakshift », mi-SF mi-monster flick. Vite !!!