D’ordinaire, les films à grand spectacle présente des images épatantes, une intrigue pétaradante, des personnages peut-être caricaturaux mais attachants, des séquences épiques, des moments poignants… et un discours politique au mieux stupide au pire réactionnaire.
Là, c’est tout le contraire.
C’est un film chiant. Long, prétentieux, monté à la va-vite, encombré de scènes inutiles et répétitives, avec une absence totale de sentiment et d’implication. N’aurait-il pas fallu montrer une scène où Moïse cause à Bithia et Myriam avant de les sortir comme d’un chapeau magique pour la confrontation avec Ramsès ? Ils se sont mis à quatre pour écrire ça ? Ils n’ont jamais pensé qu’il fallait faire un effort pour rendre un héros attachant ? Sont-ils partis du principe égocentrique que tout le monde connaissait déjà l’histoire (si oui, alors pourquoi la raconter) ?
Si l’on de moque complètement des sentiments des personnages, qui ne sont que des silhouettes de carton, on ne s’intéresse guère plus aux images. Le film est un catalogue de citations (la bataille de Kadesh est une reprise de l’attaque équestre de Laurence d’Arabie, l’attaque des crocodiles est copiée sur les Dents de la Mer, y a des reprises de Ben-Hur pour les puits des esclaves semblables aux grottes à pestiférés, ou de 300 pour les corps flottant entre deux eaux…) comme si Scott n’était plus capable d’utiliser la grammaire cinématographique pour créer ses propres images, entrecoupées d’images ternes et grises qu’on les croirait sortis du cerveau malade du frère Nolan… Aucun acteur n’est bon : Christian Bale traîne son petit gloussement sardonique de scène en scène, Sigourney Weaver se débat avec trois malheureuses répliques sur lesquelles elle applique le visage sec que les ans lui ont tanné, Ben Kingsley est en minimum syndical…
Bref, c’est un catalogue de ratages. Pas beau, pas passionnant, pas bien joué, encore moins bien écrit.
Au milieu de ce désastre, on trouve quelques qualités, qui tiennent sans doute davantage des intentions du quarteron de plumitifs chargés de ce pensum que de la réalisation elle-même.
En premier lieu c’est un film sur la folie. Ce n’est pas la première fois que Ridley Scott traite de la folie et du mensonge. Là, il reprend le thème de l’hallucination, déjà utilisé pour son autre navet célèbre, Gladiator. Ce qui lui permet de ne jamais montrer Dieu, mais de mettre en scène l’image que Moïse s’invente de Dieu. Ce qui est assez roublard, puisqu’il s’agit d’un Égyptien adopté, qui ne sait des Hébreux et de leur culte que ce qu’on lui en a dit. Et dans le film, Dieu n’existe pas, ou plutôt il n’existe que par l’interprétation qu’on en fait. Les plaies d’Égypte, les eaux qui s’ouvrent, ne sont que des phénomènes naturelles dont l’explication correspond à une incompréhension, à une quête de réponse, d’absolu. Là encore, c’est assez roublard. Et le film tient essentiellement sur les obsessions et les frustrations d’un homme dont la raison glisse et s’effrite lentement. Le film se refermant sur l’affirmation que le socle d’un des plus puissants monothéismes du monde repose sur une démence. Et moi, j’aime bien les films où le héros est fou, c’est ce qui me plaît dans Danse avec les loups ou dans The Postman.
En second lieu, en montrant la révolte que fomente Moïse, bien au fait des mécanismes politiques comme il le démontre lorsqu’il explique les effets de la sédition aux Anciens (passage éminemment moderne, limite anachronique). Ne disposant pas du nombre suffisant de combattants pour attaquer les troupes de Pharaon frontalement, il décide de frapper le peuple. N’est-ce pas là l’illustration du terrorisme ? Voire, carrément, son apologie ? Les malheurs dont écope le peuple hébreux ne sont-ils pas l’allégorie du cercle vicieux des frappes et des représailles dans le monde actuel ? On pourrait penser qu’il s’agit là de surinterprétation, et puis arrive le moment où Ramsès précise qu’il « ne négocie pas ». Et là, ça devient clair. On a un film qui inverse le propos habituel. L’ensemble des dialogues atteste d’une modernisation à marche forcée de l’histoire de Moïse, et place l’ensemble du film dans le registre de la parabole : il ne parle ni de l’Égypte ni de la Bible, il parle du rapport qu’entretient l’Occident avec le Moyen-Orient. Et dans cette perspective, Ramsès est la pieuvre impérialiste qui ne négocie pas face aux peuples opprimés sans terre, sans liberté, sans dignité. Le héros est le terroriste expatrié souffrant d’un complexe d’appartenance, parce qu’il est arraché à lui-même. Le héros, c’est le poseur de bombe, l’incendiaire, l’affameur. Le méchant, c’est l’Amérique. Texto. Dans les dialogues.
Et ça, ça laisse sur les fesses.
Il est tout simplement dommage que ce soit à l’occasion d’un film soporifique.
Jim