Hé bien mais c’est très sympa, cette affaire-là.
Chouette reconstitution, décors très classe, acteurs motivés et généreux en expressions de toutes sortes, finesse d’écriture, mélange élégant de drames, d’émotion et de rire…
Bon, déjà, une chose : c’est Hugh Grant qui tient le film. Il est impressionnant de subtilité, incarnant un homme qui dans d’autres circonstances passerait pour un aigrefin, mais dont le cœur tendre dicte la vie entière. Il n’est pas du tout écrasé par Meryl Streep, qui, d’une certaine manière, trouve certaines de ses meilleures scènes quand il n’est pas là. En vieillissant, Grant chope des rides et des pattes d’oie, qui lui donnent des faux-airs de Paul Newman ou de Patrick McGoohan, dont il a le charme et la prestance un peu vénéneuse.
Le film aligne les scènes énormissimes (la première leçon de piano, l’enregistrement du disque) et les moments d’émotion subtils (le prélude de Chopin) ou déferlants (le coup de gueule de la blonde à la dernière représentation), et on se retrouve à s’étrangler, sans savoir vraiment si c’est de rire ou de larmes. Très bien joué.
Mais là où le film taquine le raffinement, c’est dans la peinture, d’une subtilité toute britannique (en non-dits, en sous-entendus) d’une société soi-disant haute, cultivée, privilégiée, mais en réalité rongée par l’appât du gain, l’avarice, la lâcheté et l’hypocrisie. Les maîtres de chant, les chefs d’orchestres, tous ces faux-culs jouant les menteurs auprès de la bâilleuse de fonds, c’est splendide. Le tout enrobé d’un langage diplomatique à fleuret moucheté.
La scène de danse dans le petit appartement est intéressante en cela qu’elle dévoile la rupture, dans l’Amérique de 1944, entre une culture officielle, gelée dans son ambre, en train de faner à trop se regarder le nombril, et une culture populaire, libérée, vivante, et détenant le véritable goût. C’est la femme que tout le monde estime vulgaire est en réalité la seule qui comprenne de quoi on parle : de la plus mauvaise chanteuse du monde.
Le portrait d’une culture officielle « dure de la feuille », qui encense non pas le talent mais l’assise sociale, sans se rendre compte qu’elle confond les deux, c’est assez fort.
L’autre truc assez fort, c’est la peinture de l’argent, décomplexée et servant à acheter les spécialistes de la claque, mais aussi les critiques et les tenanciers de salle de concert. Le rapport à l’argent, qui sert à des choses pas si viles que ça (mentir afin de dissimuler un secret qui pourrait s’avérer blessant), est là aussi d’une grande finesse. Au point que, lorsque le scénario amène un personnage de journaliste incorruptible, ce dernier apparaît comme un être peu sympathique, passant presque pour un salaud. Belle prouesse de narration.
Au final, encore un film de loser magnifique, de nul glorieux, qui ne manquera pas de faire penser à l’Ed Wood de Tim Burton.
Jim