Sur ce dernier point, je crois que c’est lié à la conjoncture. Les histoires de ce tome 2 datent grosso modo de 1953 (le dernier numéro américain étant sorti tout début 1954). Et c’est une période où l’on parle beaucoup de censure. Depuis 1948, les gens bien pensants s’acharnent sur les comic books (les premiers autodafés de comics datent de cette période). Wertham commence à avoir une popularité certaine et l’écoute qui va avec. Et 1953, c’est aussi l’année de l’ouverture des auditions de la commission Kefauver qui s’intéresse à la délinquence juvénile. Cette commission ne s’intéressera à la BD que l’année suivante, mais je gage que les éditeurs sentent un peu le vent du boulet, déjà.
Stan Lee et Joe Maneely réalisent « The Raving Maniac », un récit de quatre pages publié dans Menace #29 d’avril 1953 (ce qui veut dire qu’ils l’ont fait vers fin 1952) fustigeant le comportement dangereux de Wertham et de ses pareils. Donc on peut affirmer que les inquiétudes remontent à loin.
Qui plus est, il me semble que George Evans, dans l’une des préfaces des anthologies de la collection Xanadu, avait raconté que Bill Gaines était effondré par la commission Kefauver bien avant l’édification de la Comics Code Authority (rédigée fin 1954 pour une application début 1955), texte qui allait régimenter et donc édulcorer (pour ne pas dire châtrer) le contenu des comics à partir de là*. Et Gaines était effondré au point qu’il a décidé d’arrêter plein de titres pour en créer d’autres. D’après Evans, les gars autour de lui pensaient que le contexte s’adoucirait et lui conseillait de ne rien en faire, mais Gaines aurait dit « ils disent que nos comics font du mal aux enfants, et moi je ne veux pas faire du mal aux enfants ». L’arrêt de certains titres aurait donc été décidé par Gaines lui-même dans un élan d’inquiétude.
Cet élan d’inquiétude n’est peut-être pas soudain, c’est peut-être le résultat d’un long stress et d’une observation angoissée du marché depuis des mois voire des années. Il est connu que Gaines souffrait d’insomnies et était sous médicaments (d’où sa prestation faiblarde devant la commission). Donc on peut légitimement imaginer également que ces inquiétudes aient transparu dans le contenu des comic books publiés en 1953-1954. D’où une certaine édulcoration.
Jim
*Chose ironique, les EC Comics n’étaient certes pas les plus violents ni les plus gores. Dans Seduction of the Innocent, Wertham en cite un exemple, mais extirpe plein d’exemples, détournés de leur contexte, en provenance de plein d’autres éditeurs. Une partie de l’acharnement contre EC vient également du fait que c’était un repaire de libres penseurs, qui pointaient du doigt le racisme ou les travers d’un patriotisme inepte. Ça flaire davantage le politique qu’autre chose, au final…