GAIJIN t.1-3 (Luca Blengino, Luca Erbetta / Pier Gallo)

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Pour qui, comme moi, a lu les aventures de Wolverine au pays du soleil levant, le terme « gaijin », désignant l’étranger au Japon, est familier. C’est le titre d’une trilogie publiée dans la collection « Impact » chez Delcourt.

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Série en trois tomes, chacun racontant une histoire, Gaijin suit le parcours d’Alex, un blanc albinos vivant à Tokyo et officiant en tant que détective privé. L’univers urbain, ponctué de visites de jardins zen, mobilise les clichés attendus par un lecteur occidental, tandis que les personnages, surtout japonais, ne sont pas dupes des poncifs du genre, ce qui autorise un certain décalage.

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L’histoire est simple : un policier à la solde d’une famille de yakuza assiste à un assassinat commis par un membre de celle-ci. Mais pris de remords, il décide de témoigner dans un procès imminent. Alex est chargé de le retrouver afin de le protéger, alors qu’un de ses anciens associés, Saijo, est chargé de le retrouver afin de l’abattre. Le danger dans l’affaire est le risque d’explosion, la survie ou la mort du policier pouvant menacer l’équilibre entre les familles mafieuses. Les deux enquêtes en parallèle, fonctionnant sur des ressorts similaires, permettent de mettre en évidence les ressemblances et les différences caractérisant les deux protagonistes, l’un occidental et l’autre non.

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En matière de surprises, les deux scénaristes, Luca Blengino et Luca Erbatta, déjouent pas mal d’attentes, la principale étant l’alliance contre-nature des deux enquêteurs. Cela permet de durcir le ton de l’album, qui connaît des pics de violence et se conclut dans une certaine noirceur.

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Si la série est constituée de trois enquêtes séparées, les récits sont cependant reliés par un fil rouge, à savoir le fragile équilibre sur lequel repose l’entente cordiale entre les quatre familles mafieuses régnant sur Tokyo. Cet équilibre est menacé et Alex, le gaijin au centre de l’histoire, s’interroge sur les raisons qui pourraient pousser une éminence grise à vouloir provoquer la chute d’un ou plusieurs clans, puis le chaos et une éventuelle guerre des gangs qui en résulterait.

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Mais pour l’heure, on n’en est pas là. Pour l’instant, un mystérieux incendiaire tue plusieurs hommes de main hauts placés des familles, détruisant au passage quelques immeubles. Les tensions entre les familles sont avivées, et on fait appel au gaijin, agent indépendant qui enquêtera sur les mobiles du pyromane. Ses investigations le conduisent à découvrir l’existence d’un ancien groupe spécialisé dans la spéculation immobilière, véritable filon dans une ville surpeuplée au cœur d’un archipel où le moindre mètre carré vaut de l’or. Cela permet à Alex et à ses alliés (petite équipe rassemblée lors du premier tome) d’identifier un bâtiment abandonné sous lequel se passe de bien étranges choses…

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Ce deuxième récit permet d’explorer la personnalité du personnage principal, métis aux cheveux blancs, pas tout à fait occidental et pas tout à fait japonais. Son passé revient à la charge, en la personne d’une ancienne maîtresse (qui a les honneurs de la couverture) entre-temps arrivée à la tête d’un clan.

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Le troisième et dernier tome de la série (qui donne bougrement l’impression de pouvoir continuer longtemps à ce rythme, dommage que le succès n’ait pas été au rendez-vous), confronte Alex à l’oyabun sans nom, un chef de clan dont l’identité est dissimulée derrière un masque. Les amis du héros détaillent d’ailleurs les différentes rumeurs qui courent au propos de ce mystérieux personnage, qui convoque le gaijin afin qu’il retrouve son fils disparu. En effet, l’oyabun sans nom prépare sa succession et espère confier la direction de la famille à la majorité du jeune homme.

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S’ensuit une enquête dans le quartier interlope de Tokyo, où Alex rencontre une faune bigarrée à la recherche du « tueur d’otakus », un assassin qui prend pour victime des lecteurs de mangas et des cosplayeurs. C’est aussi l’occasion pour lui de croiser à nouveau le chemin d’un policier chevronné qu’il a connu dans le passé. Comme dans les deux tomes précédents, Alex trimballe sa silhouette nonchalante de touriste en bermuda, passant une grande partie de l’album les mains dans les poches, malgré la pluie battante qui donne le ton sinistre de l’intrigue. Et quand il sort les mains de ses poches, c’est pour mieux cogner.

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La série s’arrête après cette troisième enquête, laissant à l’imagination du lecteur le soin de spéculer sur un éventuel complot visant à déstabiliser la mafia locale. Pier Gallo, le dessinateur (ici soutenu par les couleurs de Filippo Rizzu), fait un bond qualitatif évident, construisant des personnages plus solides et plus vivants. Il recourt fréquemment à de petite hachures marquants les reliefs et les ombres sur les visages, et la caractérisation des personnages pourrait laisser penser qu’il s’inspire d’auteurs de comics (ou a vu Gallo sur les Superboy de Lemire, en 2011, donc il n’est pas idiot de penser qu’il est lecteur de bandes dessinés américaines), tant on pourrait voir l’influence discrète d’un Eduardo Risso, d’un Jim Starlin ou d’un Howard Chaykin. Le masque présent sur la couverture me semble même un clin d’œil à Simonson. Quoi qu’il en soit, le résultat est très agréable à l’œil, avec des compositions de case très convaincantes.

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