J’étais passé relativement à côté de cette série dans un premier temps : j’avais commencé à lire les premiers numéros, au moment de leur publication originale, mais, sans lui trouver particulièrement de défauts patents, j’avais tout de même assez vite laissé filer à l’époque. Étant donné une certaine fanitude que j’ai développé depuis pour le sieur Tom King, il était temps que je redonne sa chance à ce titre et c’est désormais chose faite.
Pour ce qui est de la vision du monde de l’espionnage, conformément à mes souvenirs, Grayson navigue entre Chapeau melon et bottes de cuir et les Mission Impossible version Tom Cruise ; l’argument d’avoir fait venir King pour donner du « réalisme » à la chose de par son passé à la CIA laisse donc songeur. Reste que si Seeley et King ont œuvré ensemble sur les grandes lignes du scénario, se relayant ensuite pour l’écriture proprement dite des différents numéros, même si les épisodes signés par le premier ne sont pas sans mérite, c’est tout de même bien le second qui tire son épingle du jeu de la façon la plus éclatante, avec d’épatants épisodes comme la traversée du désert de « We All Die At Dawn » (#5), la ballade irlandaise « A Story of Giants Big and Small » (Annual #1) ou le formidable épisode dans les catacombes (« Nemesis » 3e partie, #11) qui à plus d’un titre constitue à mon avis l’apogée - et le pivot - de la série. (Dans deux de ces cas, il faut mentionner aussi tout l’art d’un Mikel Janín très inspiré.)
Dans son ensemble la série jusque-là est - certes - fun, légère, pop-corn… et pas toujours de la plus grande finesse (entre les remarques répétées sur le postérieur du héros et les jeux de mot sur son prénom), mais c’est pas bien grave. Il me semble que c’est Seeley qui fait surtout la part belle aux personnages de WildStorm, dont l’intégration dans l’univers DC ne m’intéresse pas particulièrement pour ma part. Mais j’avoue avoir été très content de retrouver le pensionnat St Hadrian inventé par Morrison, m’être laissé embarquer par le cocktail décomplexé d’aventures et d’intrigues autour de la réutilisation de Spyral, et avoir apprécié pas mal d’idées sympathiques et de petites trouvailles astucieuses en cours de route (là tout de suite, je repense à la mort du méchant en mode « Mais… mon secret… mon identité cachée… » / « Oh, honnêtement, on n’en a rien à faire. »
).
Après l’arc Nemesis toutefois, Grayson perd un de ses principaux atouts : sa relative indépendance par rapport aux autres séries, et se retrouve, pour toute une séquence d’épisodes, empêtrée dans les idées foireuses du Batverse fin de période Snyder. Les épisodes écrits par King, encore une fois, sont ceux qui sauvent le mieux les meubles, arrivant *presque *toujours à tirer au moins une bonne idée de la situation, comme le jeu de miroir sur les quêtes d’identité associées à la perte des masques dans la rencontre entre Dick et un Bruce Wayne amnésique (« A Fine Performance », #12), dans le même épisodes les retrouvailles avec les autres membres de la Bat-famille avec la récurrence de la présentation sur fond de bulles de dialogues plus ou moins « historiques » et l’excellente idée du code secret (j’ai lu ça en v.o. mais j’imagine que le traducteur a dû s’amuser, tiens…), ou la séquence d’entraînement du gang des jeunes Robin par les « originaux » (#15, tie-in de Robin War) ; mais sur la longueur difficile de ne pas voir qu’on est à côté du sujet… et puis à l’impossible nul n’est tenu et certaines idées sont vraiment trop… euh… trop (l’embrigadement d’un « gray son of Gotham » par la Cour des Hiboux, sur lequel la série tourne trèèès vite la page en mettant littéralement en scène la décontamination du personnage, bonjour la métaphore).
Puis, avec le diptyque « A Ghost From the Tomb » (qui conclut en VF le 2e volume Urban), la série rebat les cartes et tente de repartir dans une autre direction, avec une redéfinition (pas inintéressante, cela dit) des rapports entre les organisations « Spyral » et « Leviathan », mais aussi des rapports entre tous les personnages principaux (Dick, Helena, l’Agent 1, etc.). C’est pas uniformément mauvais, mais on sent bien qu’on joue les prolongations sans que le cœur y soit. Au #18, Seeley et King lâchent l’affaire (et moi avec), remplacés par un duo Jackson Lanzing / Colleen Kelly qui n’est pas arrivé à m’intéresser pour que je lise les trois derniers épisodes de la série et l’ultime Annual.
En VF, je recommande donc essentiellement la lecture des deux volumes Urban déjà sortis (d’autant qu’ils condensent efficacement 4 TPB v.o., en enlevant la graisse de quelques tie-ins superflus), et de faire l’impasse sur le troisième tome à venir en juin.