GUILTY OF ROMANCE (Sono Sion)

[quote]REALISATEUR

Sono Sion

SCENARISTE

Sion Sono, Mizue Kunizane

DISTRIBUTION

Megumi Kagurazaka, Miki Mizuno, Makoto Togashi…

INFOS

Long métrage japonais
Genre : drame / thriller
Durée: 1h52
Année de production : 2012
Date de sortie : 25 juillet 2012

SYNOPSIS

Izumi est mariée à un célèbre romancier romantique mais leur vie semble n’être qu’une simple répétition sans romance. Un jour, elle décide de suivre ses désirs et accepte de poser nue et de mimer une relation sexuelle devant la caméra. Bientôt, elle rencontre un mentor et commence à vendre son corps à des étrangers, mais chez elle, elle reste la femme qu’elle est censée être. Un jour, le corps d’une personne assassinée est retrouvé dans le quartier des « love hôtels ». La police essaie de comprendre ce qui s’est passé.

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Si vous me passez l’expression : quel putain de film, bon sang de bois !!

Sono Sion a fait irruption sur la scène cinématographique aux débuts des années 2000 (enfin, pour la majorité des spectateurs : le bougre est actif depuis le milieu des années 80 dans le registre « performances post-situ ») avec « Suicide Club », dont la stupéfiante scène inaugurale restera parmi les images les plus fortes du cinoche des années 2000. Plus récemment, il a réalisé (entre autres, parce qu’il tourne beaucoup le sagouin) le glaçant « Cold Fish » et surtout le titanesque « Love Exposure » (un monument de plus de 4 heures) : ce n’est plus tout à fait le même cinéaste. Plus « libre », plus sûr de la singularité de sa vision.

Ce « Guilty of Romance » est probablement son titre récent le plus en vue, il a pas mal impressionné les cinéphiles à sa sortie. Il y a de quoi : ce serait peut-être un peu exagéré de décrire le film comme un croisement entre Russ Meyer et David Lynch (c’est pas non plus « Supervixens » au pays de « Blue Velvet »), mais y’a un peu de ça, Sono Sion décrivant un univers sombre à la lisière de l’horreur pure mâtiné de son obsession pour les grosses poitrines, celle de la magnifique Megumi Kagurazaka (madame Sono Sion à la ville) en premier lieu…

Le film croise donc deux fils narratifs apparemment distincts mais dont on sent bien les liens, ténus dans un premier temps puis de plus en plus évidents. Une femme-flic adultère enquête sur un meurtre sauvage alors qu’une jeune femme mariée et inhibée plonge la tête la première dans la luxure et la dépravation, « initiée » par une universitaire nympho et frappadingue.
La grande intelligence de Sono Sion réside dans sa compréhension du fait qu’il n’a pas à hystériser sa mise en scène quand son script entraîne déjà un maximum de bizarrerie : étonnamment, la mise en scène est plutôt sobre, très efficace, fonctionnelle sur le plan narratif (à quelques moments clef près tout de même, où Sono Sion se lâche un peu plus, notamment sur l’éclairage très « giallesque »). Ce qui n’empêche pas les coups de génie, avec cette façon particulière de faire durer les scènes au-delà du point de rupture, ou ces plans à la beauté saisissante (comme ses rideaux de pluie ou d’eau ruisselant d’une gouttière, très Tarkovski dans l’esprit).

Le vrai moteur des films de Sono Sion, et l’origine de leur étrangeté, provient plutôt du scénario : très grisant, celui-ci enquille les micro-surprises et les rebondissements énormes, avec une régularité (et même un systématisme) vivifiante. Le tour de force narratif du film, c’est de faire croire à la co-existence de deux lignes narratives distinctes mais parallèles, « se déroulant en même temps », alors qu’il n’en est rien (l’une est plutôt le flash-forward de l’autre, ou l’autre le flashback de l’une, enfin vous m’avez compris…).
Honnêtement, le dispositif se dévoile un peu trop tôt dans le film, ou plutôt on le voit venir (sans que ça gâche quoi que ce soit cependant), de même que le « twist » à la fin. Mais là n’est pas le propos de Sono Sion.
Sorte de pendant féminin (et féministe) de « Cold Fish » (qui interrogeait la place de la virilité dans la société japonaise), « Guilty Of Romance » questionne le statut des femmes dans une société présentée comme outrageusement machiste. D’où le système allégorique du film, considéré par certains comme pataud, où la femme est réifiée à l’extrême (l’image, à la Mario Bava période « Six Femmes pour l’Assassin », des mannequins). Moi cette approche ne m’a pas gêné, c’est raccord avec la « frontalité » dont Sono Sion fait usage dans sa mise en scène.

Le sel du film est de toutes façons ailleurs, dans cette façon typique de faire « monter », en termes d’échelle des enjeux, une névrose individuelle à l’échelle de toute une ville, une communauté ou un pays (les tueries exponentielles de « Cold Fish », les suicides de masses de « Suicide Club », les conspirations à l’oeuvre dans « Love Exposure »…). Ici, le trouble sexuel de « l’héroïne » semble avoir gagné l’ensemble de la société tokyoïte, et pas juste celle dans la marge qui peuple les quartiers interlopes, la nuit.
Il y a aussi du Bunuel dans la façon dont Sono Sion organise ses boucles, récurrences et autres répétitions (quitte à répéter certains plans ce qui est bien vu), mais lardées de quelques petites variations qui portent le sens de son récit : un truc que fait le réal et que j’adore, c’est cette façon de montrer deux fois le même plan, mais filmé de manière discrètement différente, avec un positionnement en décalage de la caméra. Ce décalage, c’est le film qui bascule dans l’étrange et la folie.

Malgré son côté trash assumé (c’est très cul et assez violent), le film interroge quand même le sens moral de ses personnages, et à la manière d’un Antonioni par exemple avant lui, le cinéaste semble se demander si l’émancipation d’un code moral trop strict par le biais de l’absence de morale tout court ne reviendrait pas à la ruine de l’âme.
Un questionnement profond, dont les amateurs de pinku-eiga de la grande époque (à la Wakamatsu, dans les années 60) ont l’habitude : ses films fripons produits par la Nikkatsu (LA boîte de prods « historique » des pinku), comme d’ailleurs ce « Guilty of Romance » bien dans la tradition, ont depuis longtemps prouver leur capacité à transcender un cahier de charges sommaire (du cul, en gros) pour proposer quelque chose de plus fort…tout en satisfaisant les érotomanes. Chapeau !!

EDIT : la version que j’ai vu est la version longue de 2 h 18 ; il en existe une autre plus courte d’1 h 52 : c’est cette dernière que préfère l’auteur. A bon entendeur…

et bé, tu sais donner envie.

Fonce, tu vas adorer, j’en suis certain.