Voilà mon petit plaisir coupable de ce début d’année : un bon vieux slasher des familles ! L’exercice n’est certes pas d’une originalité incroyable (le genre ayant été bien essoré, faut le reconnaître), mais nous sommes ici à la télévision, et ça change tout.
Vous avez peut-être vu la série à l’époque, perso j’étais totalement passé à côté. De ce que j’ai pu en lire, la série n’a pas spécialement eu bonne presse (ni de très bonnes audiences, mais honnêtement cette saison n’appelle pas de suite) : certains l’ont même copieusement descendue en flèche. Sans être aveugle me semble-t-il aux défauts de la série, je me suis bien régalé pour ma part. Sorte de décalque de la trame de « Dix Petits Nègres » d’Agatha Christie, la série ménage un joli suspense propre à séduire les fans de bon whodunit…
Le slasher, c’est ce descendant « dégénéré » du giallo italien : meurtres à l’arme blanche et érotisme soft constituent aussi cet avatar américain du thriller à l’italienne. Bémol : contrairement à son pendant italien, le genre, malgré quelques perles quand même, a été beaucoup moins prolifique en grands films. Et pourtant ça ne partait vraiment pas mal (pour dire le moins), avec deux films absolument géniaux qui en lancent la mode aux USA : il s’agit du fabuleux « Black Christmas » de Bob Clark et bien évidemment du « Halloween » de John Carpenter, le mètre-étalon du genre.
Un autre film aura une importance cruciale sur le développement du genre : il s’agit de " La Baie Sanglante" de Mario Bava, un giallo « expérimental » dont le jusqu’au-boutisme (13 meurters s’enchaînant presque sans temps mort ; le film est un bijou, soit dit en passant) et le succès populaire va inspirer quelques faiseurs américains : « Vendredi 13 », deuxième énorme succès du genre (après « Halloween », longtemps resté le film indépendant américain le plus rentable…), est un décalque parfois au plan près, le génie en moins, du film de Bava.
Constituant une branche incontournable du cinéma d’horreur des années 80, le slasher s’épuise lentement jusqu’à être parfaitement exsangue au milieu des années 90. Mais Wes Craven le ressuscite brutalement avec « Scream » et ses suites, qui envisagent de revitaliser le genre en en soulignant, paradoxalement, les limites et les faiblesses. Une démarche qui a ses propres limites, bien sûr, mais c’est reparti, succès oblige, pour une bonne dizaine d’années supplémentaires de slashers, souvent navrants, parfois bien shootés (le premier « Urban Legend », qui a une sacrée gueule), parfois ludiques et malins (les « Destination Finale », que j’aime beaucoup jusqu’au troisième inclus).
« Harper’s Island » est évidemment à rattacher à cette dernière vague. On peut se demander quel est l’intérêt d’un énième slasher, celui-ci se révélant très classique dans son déroulement. Mais c’est faire abstraction de la durée : l’intrigue se déployant sur 13 épisodes (et 8 h 40 en tout), les options narratives sont évidemment toutes autres que sur un long d’une heure trente.
Là où les déçus ont hurlé à la mort, c’est surtout au sujet de la première partie de la saison, celle qui joue de la façon la plus éhontée sur les codes du soap-opera, auquel la série emprunte énormément. Et c’est là que le malentendu peut naître…
Pour moi, il y a clairement un jeu de la part des auteurs sur ces codes, ça me semble évident. Pris au premier degré, certains dialogues, situations ou sous-intrigues ne pourraient que prêter à rire. Mais comme par ailleurs, les auteurs font plutôt montre de lucidité et de finesse dans leurs choix narratifs, je me dis qu’il y a là un jeu sur les codes, les personnages apparaissant comme des individus pour la plupart odieux et égoïstes, et pour certains carrément tout droit sortis des « Feux de l’Amour » (un perso s’appelle Hunter Jennings et ressemble à s’y méprendre à un fils caché de Victor Newman…pas le nôtre ).
On rigole franchement par endroits, la série sautant régulièrement le requin (de quoi rebuter, en effet, ceux qui attendaient une approche plus « premier degré ») : cf. à ce titre la sous-intrigue du magot retrouvé par hasard (!!) suivie de la mort la plus stupide de l’histoire de la fiction américaine… Les auteurs se dépatouillent quand même assez brillamment avec un casting pléthorique, et si on a envie d’y voir la mise en boîte exposée plus haut, ça marche très bien.
La deuxième partie de la saison, la partie purement « slasher » (mâtinée de survival, l’aire de jeu du tueur étant l’île toute entière), est bien moins originale, mais solide et même haletante, même si elle se rabat sur un roster de persos plus typiquement « slasheresque ».
Loin du jeu de massacre irrévérencieux et misanthrope annoncé par les premiers épisodes, la série se met à doter ses personnages du minimum d’humanité nécessaire pour éviter le syndrome « chair à canon » propre aux perso de slashers (ce qui rend plus cruelles encore les mises à mort, d’ailleurs). Et c’est là que la durée joue en faveur du show, évidemment…
La résolution finale, naturellement, a une importance cruciale dans les slashers, comme dans tout bon whodunit. Sans être d’une originalité fracassante, elle fait ici son petit effet, grâce à une bonne mise en place (même si pour les plus malins…quelques détails titilleront le connaisseur, deux trois épisodes à l’avance). Le problème, c’est que passée la résolution, un slasher perd 90 % de son intérêt, ce qu’a bien compris un film comme « Sleepaway Camp / Massacre au camp d’été », slasher fameux des années 80 dont l’incroyable coup de théâtre final ponctuait le métrage, pour un impact maximal. Ici on traîne un peu en longueur pour régler (inutilement) quelques sub-plots mineurs et « soigner » le drame humain. Rien de catastrophique, mais c’est rien de dire que le dernier épisode de la série n’est pas le plus palpitant, paradoxalement.
Niveau facture visuelle, ça gère, c’est propre, et même assez astucieux dans sa manière de mettre en scène quelques idées de mises à mort déviantes (le sort d’un perso en fin de premier épisode). Le tout est assez brutal, largement autant que le tout-venant du slasher sur grand écran.
Quelques bonnes suprises au casting, comme le toujours excellent Harry Hamlin (remember le premier « Choc des Titans » ?) et Richard Burgi, omniprésent à la télé ces dernières années, mais aussi toute une pléiade de bombasses très « Beverly Hills 95147 » (j’ai inventé le code postal, là), mais c’est très raccord avec l’esprit du show et du genre.
Une très bonne surprise, qui sans révolutionner le genre en donne une déclinaison télévisuelle convaincante, là où Kevin Williamson échoue lamentablement avec son pitoyable « The Following ».