IL Y A 31 ANS .... VERTIGOOOOOO

Coincé entre la période, courte mais intense, de Warren Ellis, et celle, plus longue, plus diluée mais ne manquant pas d’atmosphère, de Brian Azzarello, le très excellent scénariste croate Darko Macan signe deux épisodes de la série Hellblazer qui passeront hélas inaperçus, malgré des qualités évidentes.

Dans Hellblazer #144, daté de janvier 2000, John Constantine vient assister à des funérailles. Il arrive en premier et attend, au milieu d’un parc, en tirant sur sa clope. Arrive un enfant aux cheveux ras qui le reconnaît. Par les dialogues, on comprend qu’ils sont réunis pour les derniers hommages au grand-père du gamin, Kemal. S’ensuit un long flash-back qui occupe le reste de l’épisode.

On y suit le parcours de Kemal, vieil homme déraciné, qui a commencé une nouvelle vie avec sa fille et son petit-fils Samir en Angleterre. Mais le vieillard est dépaysé, perdu. Il cherche ses vieilles bottes, celles qu’il porte depuis quarante ans, mais c’est Samir qui les porte, délaissant les chaussures de sport neuves que lui a achetées sa mère.

On passe ensuite sur Samir qui, dans le secret d’un caveau du grand cimetière, se livre à des actes magiques, restaurant la vue déficiente d’un camarade en échange d’un lecteur VHS. Bien entendu, l’exercice d’une telle magie ne va pas sans un prix, et Samir le paie de sa santé physique. Les choses dérapent quand un fils de riche apporte, dans un grand sac plastique, le corps de sa petite sœur, visiblement morte à la suite d’un jeu qui aura mal tourné.

De son côté, Kemal, visiblement connecté à la magie, mais aussi apiculteur capable de fabriquer un miel qui donne à ceux qui le consomment des hallucinations les renvoyant à leurs instants de bonheur (en l’occurence, au souvenir de leur patrie abandonnée), sent ce que son petit-fils fait et se précipite.

Il n’est pas le seul puisque John Constantine, flanqué d’un chien ressuscité qui ne pisse plus mais continue de lever la patte, souvenir réflexe du temps où il était vivant, est lui aussi attiré par la magie clandestine qui a lieu.

Le sorcier londonien arrive pour voir le grand-père prendre la place du petit-fils, ressusciter la gamine et mourir d’épuisement.

Les explications viendront dans la deuxième partie. La conversation par laquelle s’est ouvert le premier chapitre reprend.

Constantine et Samir (pour lequel Macan prend soin de montrer que son langage et sa maîtrise de la grammaire s’enrichit, signe de son acclimatation, même si l’enfant fait remarquer qu’il ne comprend pas tout à ce que dit l’adulte, signe qu’il demeure des différences entre l’Anglais de souche et l’expatrié…) discutent du grand-père, occasion pour les auteurs (c’est Gary Erskine qui dessine les deux épisodes dans le style épuré et ambiancé qui fonctionne si bien chez Vertigo) de faire un premier flash-back sur la jeunesse de Kemal. Mais pour Constantine, c’est un conte charmant et l’enfant doit lui expliquer.

C’est là qu’arrive l’astuce magnifique du récit : les vieilles bottes de Kemal, dont il ne s’est pas séparé pendant quarante ans, contiennent de la terre provenant du sol de son pays natal. Ainsi, même s’il vit à l’étranger, le vieux magicien a toujours été en contact avec sa terre d’origine, et n’a jamais rompu avec la magie qui y est liée. Les circonstances de son décès sont alors éclairées sous un autre jour.

Constantine rencontre ensuite la mère et la sœur du jeune Samir. En faisant tomber quelques miettes de terre sur sa paume, John accède aux souvenirs de la mère, découvre pourquoi il lui manque un doigt et fait l’expérience de la vie sous le couvre-feu dans un pays déchiré par la guerre civile (pays qui n’est pas nommé, mais où l’on peut reconnaître l’ex-Yougoslavie dont est originaire Macan).

La cérémonie, intime, se conclut quand Azra, la fille, ouvre l’urne contenant les cendres de Kemal et les disperse aux quatre vents dans ce cimetière anglais. Et alors que les deux femmes s’en vont, Samir explique à Constantine pourquoi il est désormais pieds nus, même en novembre : les cendres de son grand-père sont désormais mêlées au sol de l’Angleterre, ce qui fait de cette nouvelle contrée… son pays !

Le diptyque se conclut alors que Constantine fait le tour des popotes, saupoudrant un peu de terre magique sur la tête du gamin riche qui continue à enquiquiner sa sœur, puis faisant goûter le miel de Kemal au jeune Anglais qui a mis Zana, la sœur de Samir, enceinte.

Merveilleuse parabole sur l’immigration, sur le mal du pays, sur l’assimilation, et bien entendu sur la solitude, ce récit en deux parties mérite d’être redécouvert, d’autant qu’il brosse le portrait d’un Constantine sensible, à l’écoute, en posture d’apprentissage, qui, s’il reste grossier et mal embouché, s’avère plus fréquentable et moins cynique que souvent. Une petite variation qui vient enrichir le personnage sans jamais le contredire.

Jim

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