Une très bonne surprise, ce « Invisible Man » ; le film se trimballe une très bonne réputation et à mon sens elle est totalement fondée.
J’étais pourtant pas très confiant à la base. Déjà, le film arrive après toute la bérézina/faux départ autour du « Dark Universe » mort-né après le four de « La Momie » (que je n’ai pas vu), et on sent pas un engouement monstrueux autour de cette première étape d’une relance beaucoup plus modeste que prévue. Surtout, j’avais une confiance très limitée dans les talents de Whanell, dont les travaux en tant que scénariste ne m’ont jamais emballé outre-mesure (même si j’aime bien le premier « Saw ») et dont je trouve le « Upgrade » très surcôté, malgré un côté sympa et quelques trouvailles de-ci de-là : le film sent surtout fortement le réchauffé et se coltine même un côté un peu cheapos à mon goût compte-tenu de son ambition.
Ici, ce qui frappe, c’est que Whannell ficelle un projet dont l’ambition est en parfaite adéquation avec les moyens, et redouble cette cohérence d’une belle résonance fond/forme : le film est aussi bien écrit qu’il est mis en scène, le tout avec une économie dans les effets qui force l’admiration.
Toute la première partie du film, la plus « soft », est même assez bluffante pour qui aime les thrillers qui reposent sur des astuces de mise en scène très sobres : un couloir vide, un plan faussement « objectif » qui cache peut-être la subjectivité du protagoniste invisible (tout en laissant planer le doute, c’est ça qu’est fort), des décadrages « suspects » dans le même esprit, une simple veste sur un porte-manteau qui figure une silhouette humaine, etc… Whannell en fait peu à ce stade et ça marche du feu de Dieu. Par exemple, et c’est un choix assez couillu mine de rien, l’antagoniste (particulièrement retors par ailleurs) est à peine aperçu au moment du prologue, ce qui renforce « l’abstraction » du film.
Même quand le film s’emballe et devient nettement plus démonstratif, le réalisateur/scénariste ne s’éparpille pas et reste redoutablement efficace, emballant des plans-séquences simples dans leur conception mais très pertinents sur le plan narratif, enquillant les bonnes idées, assez originales de surcroît dans l’exploitation de l’idée d’invisibilité (cette silhouette révélée par des sortes de « glitchs » dans l’image, par exemple).
L’écriture épate tout autant, enquillant les idées payantes, comme le focus sur la victime (l’extraordinaire Elisabeth Moss porte d’ailleurs tout le film, elle est là un plan sur deux environ, si ce n’est plus), ou cette idée lumineuse de faire de l’homme invisible qui s’amuse à rendre sa victime zinzin aux yeux de son entourage le véhicule allégorique parfait du fameux « pervers narcissique » et de son modus operandi (qui est précisément de rendre son emprise et ses effets directs parfaitement invisibles, justement).
Ce pan « féministe » du scénar’ est parfaitement tenu… jusqu’à l’épilogue du film, monument d’ambiguïté carrément étonnant dans ses implications, à bien y regarder. Comme si Whannell tenait à faire le tour de la question, au risque de s’aliéner une partie du public (qui n’y verra d’ailleurs peut-être que du feu). Très, très fort.
Si le film est nettement moins spectaculaire que le « Hollow Man » de Paul Verhoeven, il est bien plus intéressant sur le plan scénaristique, ce dont même le metteur en scène hollandais conviendrait (lui qui trouve son film très… creux, pour tomber dans le jeu de mots facile).
Je n’attendais rien de ce mec, je me retrouve à carrément guetter son prochain projet avec une certaine excitation. Bien joué.