Bon, alors c’est pas mal, mais… y a plein de « mais » !
Déjà, la caméra hystérique de Greengrass, c’est peut-être moi qui vieillis, mais ça passe mieux à la télé. Sur grand écran dans une salle obscure, ça donne un peu mal à la tête. Le temps de s’habituer, il s’est déjà passé quelques minutes.
Ensuite, l’intrigue est peu crédible. Le chef de la CIA aller faire le mariole dans une convention de geeks technologiques avec un clone de Gates ou de Zuckerberg ? Sérieux ?
Enfin, elle est également cousue de fils blancs épais comme des cordes de marines. Les scénaristes oublient quand ça les arrange toutes les trouvailles techno-paranoïaques qu’ils déploient au fil du métrage. Y a des caméras partout à Berlin, orientables et tout, ils repèrent Bourne quand il entre, mais quand il sort, oh, « on l’a perdu ». La nana emprunte une fourgonnette, la vitre en est brisée, Bourne s’échappe encore, comment elle explique ça à sa hiérarchie qui l’a à l’œil ? Et y a combien d’entrée à la suite qu’occupe le boss de la CIA ? La spacialisation est hésitante et contradictoire, mais visiblement, tout le monde s’en fout. Et c’est comme ça durant tout le film.
C’est déjà pas mal, mais la grosse ânerie, ce n’est pas tellement de nous proposer un Bourne qui se rappelle tout, mais d’aller jusqu’à créer un Bourne qui sait tout. On le sait, Jason Bourne, c’est Wolverine (ou l’inverse). Le film s’ouvre donc sur la constatation qu’il se souvient de tout. Fort bien. Il ne lui reste plus qu’à découvrir quelque lourd secret caché. Fort bien aussi, pourquoi.
L’erreur, c’est d’avoir mis Bourne et sa lignée au cœur de ce secret (là, on passe de Wolverine à Cyclops, pour ceux qui suivent l’analogie), en donnant un rôle essentiel au père de Jason. Et c’est une colossale connerie.
La force du personnage à l’origine est qu’il ne sait pas, qu’il est dépassé, qu’il a un métro de retard, mais également qu’il est anonyme, qu’il fait partie d’un programme recrutant de jeunes patriotes aux attaches plus ou moins lâches (c’est ce qui est induit dans les révélations de Pamela Landy). En tant qu’anonyme, il est un rouage interchangeable (ses poursuivants, joués par Clive Owen et Karl Urban dans les deux premiers volets, sont également des rouages, c’est le sens de l’échange sur le toit à la fin du troisième volet), et sa force symbolique, c’est qu’il n’est rien ni personne, et pourtant secoue le cocotier.
En faisant du père de Jason un élément déterminant dans le programme Treadstone / Black Briar, ainsi qu’en faisant de son adversaire une victime de sa défection mais également l’assassin de son père, les scénaristes éliminent ce caractère anonyme et confèrent à Bourne un caractère d’elu. Ce n’est plus un électron libre, c’est un messie. Prédestiné à être le proverbial grain de sable. Et c’est inepte.
Car la tension dramatique et symbolique de La Mémoire dans la peau et ses suites, c’est que si Jason est la victime anonyme du gouvernement, la machine de celui-ci est également susceptible de frapper anonymement et aveuglément. Ça en faisait un monstre froid, insouciant et univoque. Alors que là, c’est une machine consanguine qui autogénère ses propres problèmes. Le héros et son adversaire s’en trouvent amoindris.
À ce titre, la reprise par Renner passerait presque pour une réussite brillante. Parce qu’elle avait l’honnêteté de continuer l’univers en travaillant sur l’idée que ça peut tomber sur la tronche de n’importe qui. Que le personnage joué par Renner n’est ni plus ni moins à l’abri que celui joué par Damon. Et que Bourne n’est qu’une goutte dans un océan de complot. Le film n’était pas passionnant, il avait des longueurs, il mettait un temps fou à démarrer, il raccrochait les wagons avec poussivité, mais il allait dans une direction cohérente. Ce n’est pas le cas de ce Jason Bourne.
Jim