Je suis bluffé de ce que tu nous montres des prestations de jeunesse de Quitely : comme tu le dis, le bougre est pratiquement déjà en pleine possession de ses moyens…
En ce qui concerne l’utilisation ingénieuse des onomatopées, je me souviens d’un exemple plus récent et bien bluffant sur le premier épisode de son « Batman and Robin » avec Grant Morrison.
Pour ce qui concerne « Jupiter’s Legacy » : perso, je suis pas le dernier à cracher sur Millar et surtout ses travaux (lui n’a pas mérité ça le pauvre), en temps normal. Le côté très antipathique du scénariste écossais n’y est probablement pas pour rien, mais en essayant de faire abstraction de cette donnée, il me semble que Millar est vraiment surcôté. Il n’est pas dénué de talent, pour autant.
Ce titre-là je l’ai plutôt acheté pour son dessinateur, ce qui m’arrive assez rarement au bout du compte : Quitely déchire tout au fait, sans surprise ; en bon héritier de Frank Miller, il trouve le moyen de représenter le mouvement dans ses cases sans le recours aux effets de vitesse habituels, traits ou autres. Mais même pour son seul versant Millar, j’ai aimé : sur ce coup je le trouve un brin plus inspiré et profond que d’habitude. « Jupiter’s Legacy » n’est pas sans défaut, loin de là, mais surprend agréablement quand même si l’on est un contempteur féroce de l’auteur comme moi.
Ce qui m’a le plus botté, et ça conditionne évidemment le reste de la lecture, c’est l’ouverture, simple mais brillante : on pense un peu au « Mont Analogue » de René Daumal, ou même à la série « Lost » (héritière du roman inachevé de Daumal d’ailleurs). Si Millar a bien ce genre de références en tête, on pourrait en déduire que l’île de son récit, catalyseur de l’intrigue, représente une sorte de pôle spirituel positif, qui serait allégoriquement dans le cadre de ce récit l’idée pure qui a présidé à l’existence des super-héros. Et l’éloignement de cet idéal par oubli ou dédain de la tradition primordiale est également présent dans le récit de Millar, qui en bon émule de Morrison s’amuse à opposer les générations entre elles, pour voir ce qui pourrait bien se passer de nouveau à l’occasion de ce frottement.
Un potentiel intéressant donc, mais la promesse n’est qu’à moitié tenue. Le récit développe quelques pistes intéressantes et même porteuses, et se risque à quelques ellipses temporelles et autres aller-retours bien négociés. On est accrochés et surpris, Millar a réussi son coup sur ce plan-là. Mais à côté de ça, l’écossais donne aussi l’impression de plier un peu son boulot à la 6-4-2 : il y a aussi des embranchements très (trop) brutaux dans le récit, mais dans le mauvais sens du terme.
C’est probablement la conséquence notamment du gros défaut rédhibitoire de Millar, sa caractérisation à la truelle. Millar décrète plus qu’il ne dévoile la psychologie de ses personnages, et ça ne marche pas vraiment : c’est assez grossier. Il foire également (ou délaisse sciemment peut-être…?) l’aspect « Watchmen » / « Squadron Supreme » du récit, développant finalement assez peu le sous-texte propre à ce pan de l’histoire.
Reste que malgré ça, j’ai plutôt bien mordu : sans me taper le cul par terre non plus, j’attends la suite avec une certaine impatience. Mais bon, j’imagine que si c’était dessiné par Al Milgrom (au hasard et sans méchanceté), je serais nettement moins impatient…