[quote]*L’Eté de Kikujiro est le huitième film que réalise Takeshi Kitano, après le succès international, tout autant critique que public, que rencontre Hana-bi.
Renforcé par son nouveau statut, Kitano décide d’opérer un tournant dans sa filmographie, conscient qu’une image de réalisateur violent commence à lui coller à la peau.
Exit le polar « harboiled », L’Eté de Kikujiro sera une comédie dramatique exempte de violence.
Le film n’est pour autant pas une pièce indépendante du reste de son travail. Les personnages, la musique, et la mise en scène en font une création en phase avec ses précédents films.
Kitano renoue une nouvelle fois avec Joe Hisaishi qui va signer là l’une des B.O les plus mémorables de leur collaboration. Leur travail sur ce film est néanmoins un peu différent des précédents. Kitano : « Auparavant, je lui montrais toujours les rushes. Ensuite, je le laissais décider. Cette fois, je lui ai spécifié dans les moindres détails le type de mélodie, la progression de l’intrigue, le genre de musique que je souhaitais. De sorte que je l’imaginais pendant le tournage. Voilà pourquoi la musique « colle » au film. »
Kitano délaisse le chef opérateur Hideo Yamamoto qui éclaira Hana-bi – celui-ci ayant, selon Kitano, pris la grosse tête suite au succès du film – et retrouve son Directeur de la Photographie habituel Katsumi Yanagijima, avec qui il a déjà travaillé sur la plupart de ses œuvres précédentes (Sonatine, Getting Any ?, Kids Return…). Afin de ne pas rentrer dans un mode de travail monotone, Kitano demande à Yanagijima de se surpasser et de chercher des prises de vue inhabituelles. « Je lui ai dit de prendre des risques. De filmer des plans comme on n’en avait jamais vu. Histoire de s’amuser. Il est allé très loin. A quoi bon demander à un cameraman de refaire ce qu’il a déjà fait ? (…) J’ai demandé au cadreur de faire des folies pour m’amuser. »
Il renoue aussi avec le seul monteur avec qui il a déjà travaillé, Yoshinori Ohta – avec qui il continuera par la suite sur Brother, Zatoichi ou encore Glory to the Filmmaker !
Sur le tournage, Kitano maintient dans un premier temps une distance avec Yusuke Sekiguchi, qui joue le rôle de Masao. Possiblement pour maintenir le jeune acteur dans le même climat que le film, certainement aussi car il n’est pas très à l’aise pour travailler avec des enfants. « J’ai auditionné beaucoup d’autres enfants qui avaient un physique plus avantageux. Et puis je me suis dit : « Ces garçons plus photogéniques seront-ils aussi sympathiques quand nous tournerons ? » J’ai choisi ce garçon un peu falot au début et auquel on s’attache au fur et à mesure. (…) Au début, Yusuké et moi, on ne se parlait pas. Exactement comme nos personnages dans le film. Il m’évitait. Mais à la fin du tournage, nos rapports sont devenus plus ouverts. L’écart qui nous séparait s’est réduit progressivement. Exactement comme dans l’histoire. (…) Mieux vaut ne pas compter sur le talent d’acteur des enfants. Quand ils essaient de jouer ou quand ils jouent trop bien, ça paraît mieux, mais ensuite, je les trouve prétentieux. Je déteste ceux qui jouent trop bien. Je les préfère mal dégrossis. Ou, disons, quand ils restent eux-mêmes. (…) Quand on utilise un enfant, on doit avoir la même approche que lorsqu’on recueille un chien errant. On ne s’attend pas à ce que le chien sache jouer. On veut qu’il ait l’air attendrissant. (rires) Je le dis sans ambages, sur un plateau, ça ne sert à rien d’accabler les enfants d’instructions fastidieuses. (…) Quand on filme un chien errant, si on veut qu’il ait l’air content, il suffit de lui montrer un os. J’ai donc acheté des jouets à Yusuké pour qu’il m’écoute un peu de temps en temps. »
L’idée de présenter son film comme un album de photos vient à Kitano relativement tardivement, alors qu’il est en plein tournage – en fait, après avoir lu un roman qui est articulé d’une manière similaire.
« Par-dessus tout, ce film est un livre d’images. (…) Kikujiro commence par « Il était une fois ». Les séquences de rêve relèvent du conte. Je voulais qu’elles ne soient pas réalistes, qu’elles aient l’air de vrais chromos, et que les artifices sautent aux yeux. Je les ai tournées de façon à ce qu’on « sente » le studio. »
Si certains traits de personnalité se glissaient naturellement parmi les films précédents de Kitano, L’Eté de Kikujiro est le tout premier à être poussé par une démarche authentiquement autobiographique. Le nom du héros, Kikujiro, est celui du père du cinéaste.
Un père avec lequel il a très peu échangé durant sa vie et qu’il n’a commencé (et chercher) à comprendre qu’une fois décédé. Homme taciturne, parfois violent, joueur et porté sur la bouteille, Kikujiro n’a jamais été un « family man ». « Je me souviens avoir joué une seule fois avec lui. (…) Durant mon enfance, mon père ne m’aura vraiment parlé qu’à peine trois, peut-être quatre fois. » Le choix de Kitano d’interpréter lui-même Kikujiro est hautement symbolique dans ce contexte et offre au réalisateur un moyen de se rapprocher de son père, décédé en 1979, tout en tentant de mieux le comprendre.
« Le personnage principal est un homme d’une cinquantaine d’années qui refuse d’admettre sa déchéance. Il se pose des tas de questions. C’est quelqu’un, sentimentalement, de très maladroit. Il ne sait jamais quoi dire à cet enfant de neuf ans, Masao, qui durant les vacances d’été, débarque dans sa vie sans prévenir. Je voulais que (ce film) soit un road movie, à pied, car quand on marche, pas à pas, le temps passe différemment. »
Alors que les affiches, ainsi que la promotion, tournent principalement autour de l’enfant, le titre donne une orientation bien différente, faisant de Kikujiro le personnage principal. En fait, comme Kikujiro le réalisera durant la quête de Masao pour retrouver sa mère, lui et l’enfant sont les deux faces d’une même pièce. Pas seulement parce qu’ils partagent un passé familial similaire. Masao peut authentiquement être perçu comme un jeune Kikujiro et Kikujiro peut être vu comme un Masao devenu adulte. En marchant sur les traces de Masao, Kikujiro parcourt un chemin qu’il a déjà emprunté. Mais tout comme le final de Kids Return le suggérait, il n’est jamais possible de revenir en arrière – Kikujiro s’en rendra compte lorsqu’il ira, à son tour, rendre visite à sa mère mais sera incapable de lui parler – tout comme il n’a pas été capable de présenter Masao à sa mère.
« Je préférais ne pas filmer la rencontre entre l’enfant et sa mère parce que je ne voulais pas tomber dans quelque chose de trop sentimental, de trop larmoyant. Je veux bien que mes films suscitent du sentiment, mais je ne veux surtout pas de pathos. Alors, Kikujiro invente, dit à l’enfant que ce n’est pas sa mère et préfère l’emmener dans un autre monde. Je préfère cette solution, qui évite les épanchements et qui protège l’enfant de chamboulements affectifs violents. »
Dans cette quête aux échos existentialistes, Kitano se laisse aller à certaines private jokes, comme lorsque son personnage se met à critiquer et se moquer de jeunes artistes faisant des claquettes - lui-même est un adepte de la discipline qu’il a longtemps exécuté sur scène. Il en profite aussi pour rappeler au passage certains de ces anciens acolytes, comme son partenaire sur scène Beat Kiyoshi ou encore deux de ses compères télé, The Great Gidayu et Rakkyo Ide.
Nommé pour la Palme d’Or du Festival de Cannes 1999, L’Eté de Kikujiro ne sera pas récompensé, à la grande déception de Kitano. Plusieurs années plus tard, il ne décolérera pas de voir la Palme d’Or remise à un documentaire (Farenheit 9/11 de Michael Moore), américain de surcroît, alors que, comparativement, il considère que L’Eté de Kikujiro méritait bien plus d’être récompensé.
« Le film se démarque des autres histoires que j’avais faites jusque-là. Pour une fois, il me semble que ce film penche plutôt du côté de la vie que de la mort. L’enfant symbolise l’espoir, l’avenir, un monde meilleur. Avec ce film, je crois avoir voulu rendre hommage à l’idée que je me fais de l’humanité. »
1 Propos tiré du DVD zone 2.
2 Idem
3 Idem
4 Idem
5 Kitano par Kitano, éditions Grasset.
6 Idem
7 Les Inrocks, novembre 1999
8 Kitano par Kitano, éditions Grasset. *[/quote]