Lecture très sympathique, même s’il me semble que le récit passe à côté de son sujet. Où peut-être est-ce l’inverse : le sujet est passé à côté du récit. Comprendre : la promo et le texte de quatrième de couverture insiste sur les Propagandakompanien, à savoir plusieurs reporters officiels constituant un corps presque distinct. Or, ici, on ne suit qu’un seul photographe et surtout un seul appareil photo, sorte de témoin fil rouge des destins qu’il va croiser.
De la sorte, on s’éloigne un peu de la dimension propagande liée aux appareils photographiques (officiels ou clandestins) pour raconter la manière dont de nombreux personnages (SS déchus, citoyens allemands ayant tout perdu, soldats américains trompant l’ennui et la peur…) prêts à tout pour survivre dans un monde sans plus aucun repère. Cette partie est plutôt bien rendue, avec une noirceur généralisée qui empêche tout espoir de repousser sur les ruines. C’est bien, mais du coup, l’équilibre entre cette galerie de portraits et le parcours de l’appareil photo est difficile à trouver et l’album hésite à aboutir l’un ou l’autre, laissant le lecteur dans l’inabouti. Ça fait sens dans ce Berlin en ruines, certes…
Vers la fin de l’album, le scénario touche du doigt, cependant, le fond du sujet, à savoir la propagande. La révélation de la pellicule confronte les personnages à l’indicible, mais la force de cette séquence, c’est la révélation que l’indicible pour les Alliés n’est pas le même indicible que pour les Nazis. Et que, en filigrane, l’horreur naît de mains bien humaines, de gens comme les autres. La séquence est particulièrement forte et assez réussie, contrastant avec la peinture d’un monde absurde, sans direction, sans sens.
Graphiquement, c’est virtuose. Denis Rodier, les lecteurs de comics le savent déjà, est un virtuose de l’encrage. Sur les personnages très vivants et crédibles, il applique son encre épaisse, riche d’effets de matière, donnant à certaines séquences une texture de brouillard et de fumée totalement en accord avec le récit. Visuellement, c’est une pure merveille.
Jim