Pour ma part, j’ai été séduit dès le début du film, une fois passé le prologue qui se déroule à notre époque. En temps normal, je goûte assez peu à ce procédé de « film dans le film » mais d’une part, ça s’inscrit dans la démarche du réalisateur de concilier tradition et modernité; et d’autre part, Tsui Hark utilise de subtils raccords visuels pour marquer le passage d’une époque à l’autre. Un carnet de dessins parcouru par un jeune homme en 2015 se substitue à l’instant de l’élaboration du dessin en 1946, par exemple.
Une fois lancé, le scénario déroule les péripéties sans perdre de temps. Ainsi, l’escouade de l’APL (présentant quelques personnages principaux) débute à l’écran en quête de ravitaillement, ce qui va l’amener à affronter un détachement du gang de pillards qui terrorise la région. A l’issue de l’escarmouche, les hommes de l’APL débusquent un enfant qui va les mener à un village soumis aux bandits, et de là vont se retrouver plongés au milieu des intrigues politiques et guerrières qui déchirent la région.
En procédant de cette manière, le film évite l’écueil d’une exposition verbeuse et propulse les personnages directement au cœur des événements, dans une logique d’enchainement qui redéfinit constamment les enjeux. Au risque parfois de retarder l’implication émotionnelle du spectateur, mais ce choix finit par se révéler payant sur la durée, au regard de la relation entre le soldat Gao et Knotti qui se forge dans le drame. L’enfant, réticent à l’arrivée de l’APL dans la région, empêche d’abord Gao de se faire briser les côtes lorsqu’ils sont prisonniers des brigands avant que ce dernier perde la vie quelques scènes plus loin en protégeant l’enfant lors de l’assaut du village. Une sorte de « pay off relationnel » en somme qui fonctionne plein pot, les personnages étant dans l’incapacité de bâtir une relation normale dans le climat de fin de la guerre. Tsui Hark n’hésite d’ailleurs pas à varier les registres, la progression du récit se faisant parfois aussi de manière métaphorique. Notamment lors de l’affrontement entre l’éclaireur Yang et le tigre, qui figure symboliquement le départ de l’armée du premier pour affronter le danger et la sauvagerie qui l’attendent en infiltrant les bandits de la montagne et leur redoutable chef Hawk (on apprendra plus tard que ce despote « commande » aux tigres). Les bad guys justement ne sont pas en reste, et leur présentation contraste habilement avec les membres de l’APL en mettant l’accent sur une caste de frères guerriers et leur leader charismatique, visuellement bigarrés et extravagants comme pourrait en offrir un film de wu xia pian. L’acting outré des acteurs incarnant les vilains contribue autant à leur caractérisation qu’à les imposer à l’écran sur un laps de temps réduit pour certains. J’ai beaucoup apprécié la façon dont Hawk est introduit, restant d’abord dans l’ombre, sa silhouette se dévoilant dans une poignée de scènes clés (la scarification des sbires par le faucon) avant d’être exposée entièrement lorsque Yang infiltre le gang.
L’un des morceaux de bravoure du film, et pas des moindres, est bien entendu l’attaque du village, défendu par trente soldats de l’ALP qui font preuve de stratégie pour endiguer les vagues successives d’ennemis avec les moyens à disposition. La scène ne manque pas d’évoquer Les sept samouraïs de Kurosawa, même si c’est un passage du roman chinois d’origine, et le réalisateur profite du contexte historique et topologique pour doper les enjeux. En séparant l’action en plusieurs lieux stratégiques qui sont autant de fronts critiques, Tsui Hark multiplie les axes de suspense (est-ce qu’une faction va céder et ouvrir la voie à l’ennemi ?) et offre des affrontements jouissifs, à la progression dramatique survoltée. Je retiendrai particulièrement le début de l’attaque, avec l’utilisation de canons artisanaux bricolés à base de chaudrons pour repousser une vague de cavaliers, le duel homérique entre un sniper et un lance-roquettes dont l’équilibre est constamment bouleversé (le sniper qui fait un carton sur les assaillants jusqu’à ce que le lance-roquettes le déloge de sa tour surélevée, et finit par recevoir une aide providentielle pour dérouiller l’ennemi avant que celui-ci ne fasse voler une fortification alliée) ainsi que l’acheminement de munitions vitales pour stopper la percée d’une troupe, avec la progression des personnages du gamin et de l’infirmière en filigrane. Peut-être la séquence la plus mémorable du film, même si la suite réserve son lot de moments incroyables comme l’attaque de la montagne du tigre.
Désireux d’utiliser tous les moyens possibles à sa disposition, Tsui Hark s’approprie des procédés de mise en scène modernes pour dynamiter le cadre de son histoire, comme la 3D et le bullet time. Si l’emploi du second parait étonnant de prime abord dans le cadre d’un récit historique, on s’aperçoit que Tsui Hark se sert de cette technique pour étendre la portée de sa narration, le ralentit permettant de décomposer clairement le déroulement d’un court instant qui serait imperceptible à vitesse normale. La première échauffourée entre l’ALP et les pillards en offre quelques beaux exemples, comme ce tir mal ajusté d’un soldat qui ricoche sur une paroi pour aller se loger dans un ennemi ou ce lancer d’une grenade suivi par la caméra jusqu’à ce qu’elle en heurte une autre, et que l’explosion qui en résulte atteigne les hommes du camp adverse au sein de la même séquence. Confessant volontiers en interview que ses précédentes tentatives dans l’exploitation de la 3D n’étaient pas exemptes de défaut, le réalisateur semble avoir fait le choix judicieux de ne pas se reposer uniquement sur cette technique en ayant recours à l’animatronic pour la scène du tigre par exemple, qui n’aurait pas été aussi réussie avec une approche orientée full CGI. Le film se tient bien visuellement et le travail sur la profondeur de champ donne un sacré relief à un paquet de scènes et d’environnements, bien que certains effets demeurent un peu voyants.
Les deux temporalités déployées pendant le film finissent par se rejoindre lors du dénouement, dans une scène qui fait se confondre passé et présent de manière poétique. Et alors que le générique débute, le réalisateur en profite pour glisser une ultime scène d’action qui revisite généreusement le sobre face-à-face final, sorte de pied de nez du réalisateur à la production qui préférait une conclusion plus classique au récit.