LA BRIGADE CHIMÉRIQUE (Serge Lehman - Fabrice Colin / Gess)


La brigade chimérique doit être appréhendée dans son contexte, dans ses racines, pour mieux être appréhendée et comprise. Plus qu’une simple bande dessinée avec des supers pouvoirs, il s’agit d’un pari éditorial. Un pari osé, mais que l’on peut considérer comme réussi, même si ces 6 tomes n’ont pas connu l’engouement que l’on aurait pu espérer.

  1. Genèse

A l’origine du projet, on trouve Serge Lehman, auteur français de science fiction, qui a beaucoup sévi dans les années 90’ avant de disparaitre (notamment pour des raisons personnelles) au tournant du siècle. Il est revenu sur le devant de la scène il y a quelqus années, en proposant une anthologie de neuf textes francophones écrit avant 1945, dans le genre que l’on connaissait alors sous le nom de « merveilleux scientifique » et qui avait été popularisé par Verne et Wells, et qui périra quelques années plus tard sous les efforts conjugués de l’impitoyable machine éditoriale qu’était la science fiction et de la désillusion croissante en les bienfaits de la science. Devenu spécialiste de cette période jusqu’alors oubliée, il a constaté que par un curieux phénomène, il n’existait pas de super héros français, hormis quelques rares exceptions très anecdotiques. Serge Lehman a donc imaginé qu’à l’instar du genre très français du Merveilleux Scientifique, les super héros s’étaient exportés outre atlantique en fuyant la montée du Nazisme,(qui porte un autre nom dans la série, mais bref) pour mieux revenir avec les libérateurs quelques années plus tard, sous une forme nouvelle qui garantissait leur anonymat.

Pour concrétiser cette idée, il s’est adjoint le concours de Fabrice Colin, célèbre romancier français pour la jeunesse et l’adulte, et pas uniquement en science fiction d’ailleurs (il a récemment signé un nouveau tome de Elric, co-écrit avec Michael Moorcock, excusez du peu…) et Gess, que je connaissais jusque là pour les somptueuses couvertures avec lesquelles il ornait les ouvrages de l’Atalante, également éditeur de cette série. Bref, un trio de choc pour une histoire qui promettait des étincelles.

(à noter que Lehman et Colin ont tous deux une petite mais néanmoins réelle expérience du scénario BD)


2) L’ère du Radiumpunk

L’histoire se passe donc dans un monde proche du notre, mais légèrement différent, que l’on peut qualifier d’uchronique sans pour autant qu’il y ait de réel point de divergence décelable. On sait juste que les super héros vivent, combattent (et meurent) au grand jour, mais uniquement sur le vieux continent. D’ailleurs, vu que la fin concorde avec notre propre histoire, on peut aussi parler d’allégorie. Mais là n’est pas vraiment le débat.

La grande guerre de 14-18 a laissé de nombreuses séquelles sur l’Europe exsangue que nous découvrons, et les découvertes scientifiques n’ont rien arrangé, créant ex nihilo des êtres extraordinaires comme le Nyctalope, L’accélérateur et autres créatures à la limite entre l’humain et…autre chose. Certains ont des pouvoirs incroyables, d’autre une fortune colossale, une intelligence sans limite, des perceptions extra sensorielles, mais tous ont quelque chose en plus. Et, profitant de ces capacités, certains ont influencé le cours de l’Histoire en leur faveur, se forgeant des empires. Ainsi en est-il de la Phalange en Espagne, de Gog en Italie, du Docteur Mabuse en Allemagne ou encore de Nous Autres en Russie, tandis que les démocraties européennes sont protégées par les membres de l’institut du Radium, une organisation créée par Marie Curie suite à ses travaux sur la radioactivité, et repris par le couple Joliot-Curie à sa mort en 1934, et qui compte dans ses rangs le héros britannique « l’accélérateur » ou le « nyctalope » français, à qui a été confié la garde de Paris par Marie Curie.

En effet, si la menace des états voisins n’est pas à prendre à la légère - les expériences du Docteur Mabuse et la construction de Métropolis sont assez inquiétant - le danger que représentent les héros apatrides mérite tout l’attention de l’institut du Radium. C’est à ce moment là qu’un homme sort du coma dans lequel il était plongé depuis la fin de la guerre et se révèle être le gardien de la brigade chimérique, un groupe de quatre créatures aux pouvoirs complémentaires, fragments de sa psyché rendus à la vie par le pouvoir du radium, et qui pourraient bien contrecarrer les plans des puissances maléfiques qui se dressent à l’Est. Mais le Nyctalope préfère croire en une alliance avec Nous Autres, gestalt aux dimensions d’un pays manipulé par une bande de psycogs férus de technologie - notamment de mékas représentant Staline - pour empêcher les pouvoirs de la superscience de faire sombrer l’Europe dans un chaos indescriptible, d’autant qu’il est tout en entier occupé par la biographique que la célèbre romancière george Spad écrit sur sa vie au service de la justice et de la paix.


3) Analyse

La brigade chimérique est une évocation jubilatoire d’un pseudo âge d’or de l’Europe. Un âge d’or littéraire d’abord, puisque c’est l’avénement de certaines grandes oeuvres et aussi le début de la fin, mais c’est aussi à cette époque que sont nés les premiers supers héros sous la plume d’auteurs européens. Mais c’est aussi un âge d’or après la barbarie de la Grande Guerre, que l’on croyait être la dernière, et qui n’était en fait que l’introduction d’un conflit encore plus sanglant, qui s’est amené de manière beaucoup plus explicite que le précédent, sans que les masses et l’élite dirigeante ne veuillent s’en rendre compte.
Se servant de cette époque comme d’un terreau fertile pour une intrigue riche en en complexités, notre duo d’auteur a cru bon multiplier les références historiques (communisme, nazisme, lutte des élites intellectuelles, neutralité outre atlantiste) et artistiques (Wells, Lang, Kafka, Zamiatine, etc) pour créer un univers tout à fait original, qui nous permet d’imaginer que les super héros sont nés en Europe que, peut être, captain América a commencé en tant que lieutenant Basse Normandie (chic, je sais).

Le dessin est assez spécial. Entièrement colorisé, il affecte un style naïf qui rappelle bien l’art nouveau qui dominait à cette époque là et nous met clairement en opposition au franco-belge, qui commençait tout juste à se répandre, tout en soulignant l’aspect onirique ou imaginaire d’un monde né de la superscience, une sience expliquée en détail dans la nouvelle éponyme de Serge Lehman, et sur laquelle je ne m’étendrais pas plus. Les couleurs en semblent donc plus naturelles, comme faites à l’aquarelle, et ne permettent pas de gros effets spéciaux, ce qui n’est pas le but de cette histoire, qui mise plus sur son scénario que sur la virtuosité du dessinateur, qui sait se faire précis et méticuleux quand il le faut.

Pour autant, on regrettera qu’une série qui se veut radiumpunk, c’est à dire un steampunk de l’atome, ne soit pas doté d’un univers graphique à la hauteur des ambitions scénaristiques. On a quelques belles scènes, les décors sont bien pensés, mais on ne peut s’empêcher de dire que Gess aurait pu essayer d’aller plus loin, de faire un truc totalement mégalomaniaque dans son délire techno-atomique.
Il faut s’aventurer du côté du jdr pour trouver un contenu un peu plus consistant de ce côté là.

Cependant, ne boudons pas notre plaisir, la Brigade Chimérique est une bonne série de super héros, qui apporte une bonne explication à des questions qu’on ne se posait peut être pas forcément, grâce à une histoire soignée mais pourtant totalement dingue, puisqu’inspiré de la réalité.

Excellente série en effet ! Elle m’a d’ailleurs donné envie connaître les autres travaux des auteurs.

J’ai vu Gess à Lille. Il m’a signé mes 6 tomes, apposé un schtemple dans chacun d’eux et fait un dessin du Shadow dans le tome 1 :stuck_out_tongue:
Un lien pour voir le dessin pour ceux que cela intéresse :
biazedredd.blogspot.fr/2011/11/mon-lfc-2011.html

J’ai lu quasiment tous les romans de Lehman et Colin, si t’as une question, des envies, n’hésite pas. Les BD de Lehman sont vraiment bien, yen a une qui est pas référencée et je vais vite combler cette lacune (Thomas Lestrange) car elle déchire bien que ce soit un one shot.

Tu confirmes que mes envies sont légitimes, merci, j’hésiterais donc pas à franchir le pas !

Belle présentation de la série Lorca, bravo :smiley:

J’ai beaucoup aimé la série; même si la fin extrêmement pessimiste m’a laissé une drôle d’impression.

Pour ceux qui n’auraient pas lu le dernier Comic Box, Serge Lehman y évoque sa nouvelle série ( « Masqué ») qui serait une suite indirecte de la Brigade chimérique 70 ans plus tard…

J’ai le premier tome :blush: dédicacé par Créty d’ailleurs :stuck_out_tongue: ça à l’air prometteur.

Au fait, le tampon, on peut le voir dans la quatrième image qui a été postée, il s’agit d’un bras levé avec le poing serré. On voit une aile derrière.

Une seule critique sur cette série le lettrage merdeux et tout pourri, ça m’a sorti plus d’une fois de ma lecture et c’est bien dommage. Je sais que je me répète pour les anciens, mais une bédé ça se LIT et ça en France il y en a peu qui l’ont compris et on a souvent des lettrages par dessus la jambe. C’est d’autant plus dommage car c’est une bédé pensée à l’américaine, et aux Zuhéssas on a bien compris ça. Il y a une autre chose qui est traitée par dessus la jambe chez nous, l’encrage, mais ça mon bon monsieur c’est une autre histoire.

Même avec ce défaut je conseille fortement cette lecture.

Je viensde lire sur le forum de l atalante qu une intégrale etait prévue pour la fin de l année, ainsi qu une prequelle se deroulant au début de la superscience, en 1918 donc. Affaires a suivre amis radiumphiles.

Je déteste cela ! Perso, j’ai acheté la série d’occase, c’est moins lourd que de l’avoir acheté en neuf mais quand on file de la réédition avec bonus, c’est vraiment un manque de respect. Je parle pas d’une galerie avec 3 ou 40 dessins mais bien d’une histoire en plus qui manque à ta collection. C’est vraiment pas tenir compte des personnes qui font vivre la maison d’éditon. :angry:

La prequelle est vendue a part…désolé pour t avoir induit en erreur.

ah merci :smiley: ça soulage ! Sérieux, une fois j’étais tout fier d’avoir acheté les trois premiers numéros d’une série en coffret (chose très très rare) et peu de temps après, l’intégrale de la série ressort avec une histoire inédite de 10 pages :unamused: je sais pas si tu vois mais c’est quelque peu énervant. :blush:

t’inquiète, je pense exactement la même chose. Mais l’atalante n’a jamais fait ce genre de choses, y compris pour les intégrales romans, donc yavait pas de raisons.

contradictoire ?

si peu :wink:

Ah oui, bien vu !

Excellent !

Perso, j’avais pris cette série après avoir découvert son pitch, et j’avais vraiment été séduit par la qualité de l’édition et ce format/découpage comic-books. J’ai donc continué naturellement l’aventure avec Masqué, en attendant de vraiment voir s’il y a un lien direct entre les deux séries. Mais quoi qu’il en soit, La Brigade est une excellente lecture :smiley:

Par contre, comme dit plus haut, le lettrage est clairement le point qui blesse…

Pour Masqué, je n’en ai aucune idée. La préquelle dont je parle devrais s’appeler « l’homme truqué. »

C’est vrai que c’est contradictoire mais il m’arrive d’acheter du neuf et de me faire avoir. Dans ce cas précis, c’était de l’occase.

Excellente présentation de la série, merci.

Mais saviez-vous que l’idée de la Brigade Chimérique est née dans les pages de **Strange **? Et pas n’importe lequel, le n° 100 !

Puis qu’elle a été influencée (entre autres) par Gustav Klimt ?

Je me permets en outre de vous proposer un portrait de Jean De La Hire (le créateur du NYctalope), si cela vous intéresse. Pour approfondir le sujet je vous suggère d’aller voir chez l’éditeur Rivière Blanche.

Et pour les amateurs de la Brigade n’oubliez pas qu’il y a aussi une encyclopédie. :wink:

Et même un Jeu de Rôle si je ne Mabuse!