LA CAGOULE - UN FASCISME À LA FRANÇAISE t.1-3 (Vincent Brugeas, Emmanuel Herzet / Damour)

Je sais pas trop, ce sont sans doute des occasions spéciales ou des commissions, mais rien n’est précisé à l’endroit où je les ai trouvées.

Jim

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Ouais, c’est vachement bien. Ce premier tome est sacrément bien construit, le polar, l’Histoire dans l’histoire, qui est véritable (même si un peu romancé pour les besoins de l’histoire, mais je pense, j’ai l’impression, que ce n’est pas représentatif.
En tout cas, j’aime beaucoup en apprendre autant sur certains dessous de cette époque (que je me souviens avoir été survolée par mes profs à l’époque - et donc par moi … la fin d’année, faut finir le programme) et la mise en perspective, en effet, est renforcée par l’interview des auteurs (qui doivent bien rire de nos politiques actuels, quand même, même si sur le principe, on voit un retour en force des extrêmes comme à cette époque), très intéressante, qui rajoute un gros cachet à l’histoire (qui peut se suffire à elle-seule, hein). Dommage qu’il divulgâche un peu un ou deux éléments futurs, mais bon, en soit, y a pas grande surprise non plus.
Donc ouais, le polar est très enthousiasmant en terme de lecture, la comparaison avec les Incorruptibles me semble logique, même si ici, il y a aussi des avis politiques qui rentrent en compte et donc, l’objectivité peut être perdue. Mais l’aspect politique de l’époque, que je découvre totalement (y avait autant d’extrême-droite à l’époque ? Y a des choses qui sont moins surprenantes d’un coup) m’intéresse énormément, ce que je n’aurais pas cru.

Ouais, ça j’adore. Y a pas mieux pour entrer dans une histoire. Et y en a pas de trop non plus.

C’est rigolo, Brugeas dit dans l’itw qu’il était content, parce que les perso de Damour ne sont pas caricaturaux. Bon, moi, j’ai cru comprendre que j’avais des BD de lui, mais que je n’ai pas encore lues. Donc, je découvre un peu et oui, je trouve que certains sont râblés (il a fait le commissaire comme « un rugbyman » - je cite), mais surtout, certains font plus vieux que leur age (Filliol par exemple).
Mon bémol perso viendrait peut être du lettrage, y a des mots où il a fallu que je m’arrête pour être sûr d’avoir bien lu. Mais sincèrement, vu la qualité de l’histoire, c’est vraiment un léger bémol.

Faut que je me chope les deux autres tomes, maintenant …

J’écoute la série radiophonique Blum, une vie héroïque, par Philippe Colin sur France Inter (donc bien sûr le suicide de Salengro, marquant la fin de l’ère du Front Populaire et de cet éphémère âge d’or que les alliés des Socialistes n’ont pas identifié), et franchement, le parallèle est évident. L’épisode sur le soutien aux Républicains espagnols, soutien forcément clandestin vu que les Radicaux ne voulaient pas s’en mêler et que les Communistes avaient une vision à dimension variable de cette union des gauches, n’est pas sans évoquer des choses actuelles.

Oui.
N’oublions pas que la France s’est pris plusieurs traumatismes sur la figure, le plus récent étant la Première Guerre mondiale qui nourrit un ressentiment anti-allemand très fort, lui-même datant de 1970 et ravivé par l’Affaire Dreyfus, qui date de 1898 et qui est donc, dans l’esprit de certains, encore vive.
Les Ligues, y en a de toutes sortes. Les Croix de feu, par exemple, c’est un groupuscule qui instrumente le sentiment de défaite et de déclassement que ressentent les Gueules cassées, c’est donc un groupe qui est formé dans l’entre-deux-guerres.
Mais il y a des Ligues plus anciennes, antisémites et qui naissent à la suite de l’Affaire Dreyfus, comme l’Action Française ou les Camelots du Roi (où brillent des figures comme Charles Maurras ou Léon Daudet). En plus de l’antisémitisme, ces groupes se caractérisent par une haine de la république, de la démocratie et du parlementarisme.
Et des Ligues comme ça, y en avait plein.
On a le mythe des Années Folles, avec des gens qui dansent et qui boivent et qui rigolent, c’est pas faux. C’est pas faux non plus que c’est une période d’émancipation sexuelle, d’affichage des différences, l’émergence de ce qu’on appellerait une culture gay, mais ce genre de périodes fonctionnent en balancier, et s’il y a une vague de progressisme, ça correspond à une vague de conservatisme.
(Il y a un chouette documentaire sur le rapport à la danse dans la société française du XXe siècle, faut que je te retrouve ça.)

Ce qui est amusant, c’est qu’on pense souvent que la dissolution des Ligues se fait sous le gouvernement Blum, mais en fait, le texte date d’un gouvernement précédent, au tout début 1936, un gouvernement dirigé par… Pierre Laval.

Jim

Qui retrouve malheureusement beaucoup de vigueur en ce moment

(Il a été brièvement sur Youtube, je l’ai récupéré en entier.)

Jim

Je fais plus confiance à ton analyse politique qu’à la mienne.

Là, par exemple, je ne fais pas trop le parallèle.

Ma question était rhétorique, parce que :

Ouais, j’ai vu ça, en lisant l’interview de fin d’album et les petits encarts. Et j’ai fouiné sur le net juste après, pour deux trois vérifications (l’attaque sur Blum … Hallucinant).
Après, les raisons de cette extrêmedroitisation sont distincts de celle de notre époque, je trouve. Même s’il y a des ressemblances, y a quand même de fortes différences.

Dingue. Mais y a qu’en France qu’un politique n’a jamais définitivement perdu ?

Tu vois, c’est là où je vois que mon analyse et ma connaissance (actuelle) politique sont pauvres.

Sentiment de déclassement, crise économique, montée des extrêmes, nationalisme délétère, mépris de classe, racisme et antisémitisme, immobilisme des démocraties face à la menace d’un pays fasciste… Franchement, plus je m’intéresse aux années 1930, plus je trouve que les années 2020 y ressemblent. La crise climatique en plus.

Ah oui, oui : je n’y pensais plus, mais effectivement !

Peut-être, ouais : l’absence de guerre sur le territoire national, certes, mais les contre-coups d’une décolonisation qui s’est mal passée, une politique urbaine aberrante depuis cinquante ans, l’émergence des réseaux sociaux qui favorisent un communautarisme omniprésent…
Mais grosso modo, les ressemblances sont tellement évidentes. Une crise sanitaire qui laisse des traces, une crise économique qui entraîne des récessions, du chômage et de l’inflation (à l’époque de Blum, les connaissances concernant l’économie étaient moindres, d’où des décisions malheureusement, comme la dévaluation… mais aujourd’hui, si elles sont plus pointues, elles servent à la fois les interventionnistes et les dérégulateurs, donc je ne sais pas si ça crée une si grande distinction…), etc etc.

Hahahahahahaha.
Ils ne sont jamais morts, ces gens-là. Faut vraiment voir le cadavre pour être rassuré : pire que dans les comics.

Ce que fait bien sentir la BD (tu verras, tu n’y es pas encore), c’est que tous les barrages anti-fascistes (le Front Populaire en était un…) n’ont pas suffi à tirer le ver du fruit. Les fascistes étaient là. Dissoudre les Ligues, ça n’a fait que les forcer à se déplacer, à changer d’étiquette, mais les réseaux étaient bien installés.

Hélas.
J’en discutais avec un pote américain, récemment, qui prenait des nouvelles en s’inquiétant de l’état de la France, qu’il imaginait brûler partout. Et on a fini par arriver à la conclusion qu’il y a des tas de gens bien vocaux dans le monde entier, et qui finissent par prendre le pouvoir dans ce qu’il convient d’appeler de grandes démocraties (prière de se munir d’un bon stock de guillemets, par prudence). Des gens qui conseillent d’attraper les femmes par la chatte ou qui crachent sur des députés homosexuels, suivez mon regard. Et je lui expliquais qu’on a les mêmes en France, qu’ils sont très vocaux, qu’ils sont soutenus par des intégristes qui tiennent les rênes des médias, et qu’on va finir par avoir leurs homologues au pouvoir. Et que, au mieux, ils ne feront rien. Et qu’au pire, ils ne feront rien de bon. Et que, pendant que les veaux les écoutent (parce que ces personnes savent appuyer là où ça fait mal, comme il y a 90 ans), la planète brûle. Au propre comme au figuré.

Jim

Tu vois, c’est là que j’ai du mal à interpréter, à mettre des mots derrière des actes. La Russie ?

Y a pas la peur du communisme, et surtout, des industriels qui ont peur que l’Etat les nationalise. Et ce qui est rigolo, c’est que le RN parle de faire cela, justement.

Je n’ai pas les chiffres pour comparer, et je ne suis pas dupe sur le fait que les chiffres, on peut les déguiser, mais j’ai l’impression que le chômage n’est pas aussi cata que dans les années 2000.

Trump ?

La Russie aujourd’hui, l’Espagne hier.
Blum y allait en cachette, l’Europe y va à reculons.

Peur ou haine, on navigue dans les mêmes eaux, et la gauche (qui est particulièrement conne et inefficace, faut bien admettre) sert de repoussoir à la droite et à l’extrême-droite. La différence, c’est qu’elle n’est pas au pouvoir, et loin d’y être. Mais autrement, dans le discours à droite, c’est le même épouvantail.

Faut voir les réactions à l’époque au moment où les congés payés ont été votés. J’ai appris récemment que c’était un privilège accordé à l’époque à la fonction publique (afin de la calmer et de la ranger dans le camp du pouvoir, en gros), et que la généralisation a fait peur aux industriels, qui craignaient justement qu’on les nationalise. À mettre en parallèle, à mes yeux, avec les cris actuels sur le trop plein de régulation, tout ça. Toujours le même discours.

Complètement.
C’est à des trucs comme ça que je me dis que les vieilles grilles de lecture ne fonctionnent plus.

Parce que Sarkozy et sa clique sont passés par là, en créant des tas de statuts (auto-entrepreneur au premier chef) qui ont foutu les gens dans la merde. C’est de la précarisation généralisée, et ouais, comme tu le soulignes, ça permet de tricher sur les chiffres. Moins de chômeurs, plus de précaires. Ça fait des classes paupérisées, souvent peu éduquées, qui sont sensibles aux discours proposant des solutions simples.

Qui disait, déjà, qu’à chaque problème compliqué, il existait une solution claire, simple et erronée ? Saint-Exupéry, non ?

Bolsonaro.
Poutine, avec son virilisme à deux balles et son obsession du patrimoine génétique, qui s’exprimait déjà, je crois, dans son discours aux jeux de Sotchi.

Le « grand remplacement » de Renaud Camus et de sa bande d’aliénés, c’est la même soupe. Et c’est pas parce qu’en France, il y a une sournoiserie politique (qui amène le RN à mettre des femmes et des jeunes de banlieue au teint mat et au prénom américanisé en figures de proue) qu’on ne risque pas un jour d’avoir un populiste large d’épaule avec un sourire Colgate capable de prononcer les mêmes horreurs et d’être applaudi.

Jim

Eh eh eh …

Ouais. Et je pense qu’il y a pas de journalistes politiques qui ne s’y font pas. Ou n’y pense pas.

Diable
(y a aussi au Brésil qu’un politique ne perd jamais)

Oui.
Berlusconi, Lula et tant d’autres. Peu importe le camp politique
Ce n’est pas une spécificité française

Disons que je trouvais qu’à part Jospin, en France, ceux qui ne sont pas devenus Président continuent de rester.
Je n’avais pas cette impression avec l’Angleterre ou l’Allemagne par exemple. Mais je peux me tromper.

C’est pas facile de penser le changement.
Regarde le climato-scepticisme. J’imagine qu’il y a plein de gens payés pour dire qu’il n’y a pas de réchauffement climatique, que c’est pas la faute de l’homme, que c’est pas si grave, qu’on trouvera une solution (ah cette technophilie galopante qui est brandie pour rassurer mais qui, en fait, dédouane complètement de la nécessité de… changer !!!), mais il y a également, je parie, toute une population de gens qui n’y croient pas, parce qu’ils ne voient pas de réel changement chez eux (y a encore des oiseaux dans le jardin, on peut encore arroser les plantes en pot…) et qui sont sensibles aux arguments rassuristes, quels qu’ils soient et en fonction de leur évolution dans le temps (c’est de la dissonance cognitive, et souvent c’est lié à une réelle sincérité dans le propos).
Pour les professionnels, c’est encore plus compliqué : ces gens (historiens, journalistes, politologues…) ont passé des années à se faire une place à l’aide d’une grille de lecture et il faudrait, désormais, qu’ils en changent ? Ce serait un constat d’aveu, un gros « je me suis trompé ». Impossible. Regarde les pirouettes de patinage artistique d’Hélène Carrère d’Encausse, qui à mi-mot continue à laisser entendre que l’Europe, l’Otan, l’Occident sont en partie responsables de la guerre en Ukraine : elle est dans l’incapacité d’admettre qu’elle s’est plantée sur Poutine, et elle brandit des arguments fumeux, comme « l’âme russe » et tout ça.

Je déteste ce mec.
Raciste, homophobe, misogyne, vendu à l’industrie, et totalement népotiste. Un Trump qui parle portugais. Qui vit sans doute dans une de ces « shithole countries » qui raillait Trump. C’est ça la grande merveille des fascistes : c’est qu’ils détestent tout le monde et donc, malgré des alliances de surface, ils se détestent entre eux. Cordialement.
L’autre gros souci à mes yeux, en ce temps d’éducation qui décline et de réseaux sociaux qui influencent, c’est que les populistes présentent bien. C’est des « beaux gosses », qui portent magnifiquement les costumes sur-mesure. Sans déconner, ils ont de l’allure, même Trump, avec son auto-bronzant et sa moumoute, il affiche une certaine classe. Poutine, Bolsonaro, pareil, ils présentent bien. En face, il y a un public décérébré, qui n’a aucun culture politique, et qui vit dans un certain degré de pauvreté. Ces gens, on leur promet des emplois, ils votent. C’est aussi simple que ça. Et si le mec est plutôt séduisant (et j’ai beau détester Trump, Poutine ou Bolsonaro, force m’est de constater qu’ils ont la classe, c’est des super-vilains comme on les aime), ça marche encore mieux (si en plus il se prend un coup de couteau en pleine campagne et peut jouer la victime, alors là, ça pleure dans les favellas et zou, emballé…). Les Ritals viennent d’inventer la version féminine, avec Meloni, sa belle chevelure blonde et ses yeux de grenouille à la Bette Davis.

Et là, j’en reviens au changement dans la grille de lecture : l’Italie affiche une position atlantisme et un soutien à l’Ukraine, c’était pas donné (surtout du vivant de Berlusconi, mais bon, je soupçonne Salvini d’être en embuscade). Donc on a un gouvernement italien fasciste qui revendique une politique extérieure anti-Poutine, donc anti-fasciste. Même chose pour les Polonais, qui ont un gouvernement conservateur, anti-avortement, anti-mariage gay, anti-immigration, mais qui est résolument anti-Russe (pour des raisons historiques compréhensibles, et loin de celles de l’Italie). Et d’un autre côte, Lula, qui dirige un gouvernement de gauche bien marqué, ne soutient pas l’Ukraine (là encore pour des raisons historiques qui tiennent à l’anti-américanisme de la gauche brésilienne, et plus largement sud-américaine, nourrie par les interventions déstabilisatrices états-uniennes des années 1970 et 1980). Et donc, moi, avec mon regard de vieux, je ne peux plus dire « les cocos contre les fachos », c’est beaucoup plus compliqué que ça.
Ouais, le changement, c’est rude.

Tout à l’honneur de Jospin, ça : il dit qu’il part, il part.

J’ai l’impression que, dans ces pays, ce sont des partis à l’ancienne, avec un appareil de parti (potentiel appareil d’État) stable, qui s’auto-génère.
En Allemagne, ça risque de bouger, avec la montée de l’AfD qui, si je comprends bien, est constitué d’un jeune personnel politique. Le positionnement du parti, mais aussi l’âge de ses membres, risque de rebattre les cartes.

Jim

Surtout, je découvre (et la dame et ce qu’elle a dit).
Mais bon, elle semble pro-russe et c’est une personne qui a plus de 90 ans. Disons que si je n’aime pas ce que j’en lis, je peux comprendre que ce soit difficile pour elle de changer.

Bien sûr.
Mais ça implique également que les relais d’information (les médias au premier chef) ont du mal à renouveler leurs sources. Je comprends l’équation âge = expérience = sagesse ou conseil, mais au bout d’un certain temps, faut peut-être changer le cheptel.
Je veux dire, on est dans un monde où Henry Kissinger, qui a quand même démontré au fil de sa carrière que son goût pour la démocratie a des limites rapidement atteinte, à cent ans passés, continue à être écouté. Celui qui a été Secrétaire d’État (donc l’équivalent d’un Ministre des Affaires étrangères) sous Nixon et Ford, qui a été essentiel dans la chute d’Allende et l’avènement de Pinochet au Chili ? Ce type-là ?

Jim

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Alors tu sais quoi, comme je ne connais pas cette dame et que je ne voulais pas être désobligeant vis-à-vis d’elle, mais j’allais écrire dans mon précédent message un truc du genre "mais pourquoi les journaliste ont besoin de l’avis d’une vieille dame de plus de 90 ans, pour un événement qui n’est peut être plus de son temps.