Très chouette conte, qui obéit aux règles de ce genre de fiction (un personnage, souvent inférieur, est mis en danger et suit un parcours initiatique qui va lui permettre de révéler un don et par conséquent d’assurer sa place dans la société, une place qui n’est pas sans danger cela dit…) tout en se permettant d’aller au-delà.
Donc, on suit une jeune fille aux cheveux blancs, dont la tignasse la rend différente et témoigne d’un passé certes court mais déjà difficile. En tentant de sauver sa bande de gamins des rues, elle est capturée par un croque-mitaine qui la revend à des ogres en quête d’ingrédients goûtus pour les mets qu’ils préparent.
Déjà, première entorse, l’héroïne ne parvient pas à sauver tout le monde. Vehlmann le montre bien en faisant intervenir la figure d’un chevalier, qui semble surtout tenir de Don Quichotte, et qui n’est pas plus efficace. L’enfant aux blancs cheveux tente d’échapper aux ogres et à leurs hachoirs, puis échoue dans un monde souterrain, celui de la vaisselle, et va se découvrir un don pour la cuisine, à l’image d’un Ratatouille, qui va lui permettre de se hisser un peu plus haut, à tous les sens du terme.
Formellement, c’est très bien. Je ne suis pas toujours très clients du franco-belge en peinture, mais j’ai été charmé ici par le travail de Jean-Baptiste Andreae, qui parvient à créer une tension évidente entre la joliesse du trait et l’horreur de ce qui est montré : très mignon et très sanguinolent en même temps.
Vehlmann quant à lui s’amuse avec les dialogues, les accents (le défaut de prononciation de Brèchedent aurait à mes yeux pu être plus prononcé, mais bon, je suis client du surjeu en la matière…) ou le vocabulaire : mention spéciale pour le chef du hachoir au vocabulaire abondant et truculent.
Il convoque aussi de nombreuses figures, qui proviennent des contes, de la mythologies, des folklores et des superstitions, le tout dans un joyeux entassement de références qui convoquent à la fois Rabelais et la cryptozoologie. Un jeu de piste abattant la carte de la surabondance.
Et puis, il y a la fin, le défi, l’affrontement avec le boss de fin de niveau, qui rappelle les duels mythiques et déséquilibrés à la David et Goliath, l’épreuve ultime que le personnage démuni parvient à passer là où les autres, pourtant forts de leur expérience et de leur statut, ont échoué. Il y a bien entendu de Ratatouille là encore, mais pas que. Et puis le scénariste lève le voile sur le passé de son héroïne et donne à son surnom « Trois-Fois-Morte », un sens nouveau, une épaisseur émouvante. Il y a dans ces derniers développements une touche évidente de féminisme, une évocation des problèmes sociaux contemporains, faisant renouer le récit avec une fonction éternelle du conte, celle de parler de nous.
Jim