Quand il s’agit de raconter des sagas familiales, Jean Van Hamme n’a pas perdu la main. On retrouve dans cet album tout ce qui a fait la qualité et le succès des Maîtres de l’orge : des personnages forts, des portraits divers, des anecdotes saignantes et des vengeances retorses.

L’album couvre en gros deux générations : le médecin monténégrin qui fuit l’occupation turc et les troubles en Croatie, épouse celle qui l’a été à partir sur le bateau qui les emmène en Amérique… puis les deux fils qu’il reconnaîtra (celui de cette femme aigrie et blessée par la vie, et celui que lui donnera sa deuxième épouse), ces derniers devenant adultes et tentant leur chance à l’ouest, avec des résultats divers.

Van Hamme réserve quelques belles surprises au fil de cette évocation de plusieurs décennies de réussites et de souffrances. Là où il est réellement très fort, c’est dans son art de l’ellipse. Il parvient à faire s’entrechoquer des scènes distantes de plusieurs jours, semaines ou mois, et à rendre plus marquants encore les instants passés sous silence. L’ellipse qui entoure le divorce, par exemple, est d’une élégance rare. Une parfaite maîtrise, malgré une petite tendance aux grosses bulles : il aime écouter ses personnages parler. Mais ceux-ci font en général assez mouche, et ne parlent pas tellement pour ne rien dire. Une économie de moyens bien gérée.

Là où je suis moins enthousiaste, c’est sur le dessin. Depuis quelque temps, Berthet s’épure, s’assèche. Le summum, à mes yeux, dans la carrière du dessinateur, c’est bien entendu Pin-Up. Il parvenait à avoir la simplification élégante de la ligne claire tout en conservant une graisse d’encrage avec variée, donnant au final un trait rond et très vivant. Un peu, pour faire une comparaison accessible aux amateurs de comics, dans la lignée d’un Russ Manning. Mais depuis quelques albums, son encre s’affine, s’assèche, perd de sa rondeur et, par conséquent, de sa profondeur. Les volumes sont moins sensibles, la profondeur de champ est moins palpable. J’avais déjà senti ça par exemple dans Nico, sans toutefois, à l’époque, mettre le doigt dessus. Mais là, c’est assez explicite. Le dessin est moins bon, les personnages moins séduisants. Les aplats noirs tombent mal et écrasent les cases. Même certaines perspectives et certains décors sont moins travaillés, presque bancals. Il manque définitivement une étincelle, qui semble être perdue désormais.
Jim