Souvenir mitigé de mon côté aussi (en fait, cette collection m’avait laissé un peu sur ma faim : j’étais ravi de voir du DC, mais à chaque fois, j’espérais des trucs moins anecdotiques et plus costauds, et je trouvais les histoires un peu bof bof : c’est le souvenir que j’ai de Batman : Proie, par exemple).
Du coup, j’ai ressorti quelques albums, ce matin, et j’ai relu Batman : Azrael en fin de matinée. Hé bien, c’est nettement meilleur que dans mon souvenir.
Déjà, j’avais oublié que c’était Kevin Nowlan qui encrait. Alors certes, son style est envahissant, et sur certains visages, on sent davantage Nowlan que Quesada. Mais la rencontre des deux styles donne un résultat formidable.
Ensuite, la narration de Dennis O’Neil (d’ordinaire plus linéaire, plus lourde et moins littéraire), est assez astucieuse. Par exemple, à plusieurs reprises, il joue sur le code de la narration en voix off de personnages : des récitatifs au passé, narrés par un personnage qui a vécu ce qui est montré, se concluent par un retour au présent, et on découvre qu’il s’agit d’un personnage en train de raconter à un autre (Batman à Alfred devant son écran, DeHah à son pilote d’hélicoptère après le crash…). Ça désamorce astucieusement la voix off millerienne qui était le must absolu de l’époque. Cet aspect technique m’avait échappé lors de ma première lecture.
Au-delà de cette dimension formelle, ce qui m’a frappé, c’est comment la création d’Azrael répond à d’autres épisodes marquants de la carrière de Batman.
Par exemple, la mort du père, l’entraînement et la mission, tout cela fait d’Azrael un double de Batman, un peu comme le Wrath de Mike Barr et Mike Golden.
Mais, dans le même ordre d’idée, le côté héritage ancestral d’un vengeur dominé par une cause qui le dépasse, dans une histoire qui franchit les siècles, ça évoque également Ras al Ghul, autre création d’O’Neil.
Déclinaison de Ras et de Wrath, Azrael est également un décalque psychotique et schizophrène de Batman, et pose déjà la question métalinguistique de l’évolution du genre. Un peu comme le Superman Cyborg ou l’Eradicator sont des copies dégénérées de Superman, dans le cadre des comic books des années 1990. D’une certaine manière, Azrael, c’est une sorte de réponse chez DC au glissement vers des héros interventionnistes et radicaux qui feront les beaux jours d’Image Comics.
Face à ce héros vengeur et violent, dominé par ses pulsions incontrôlables et comme possédé, on a un héros presque jamesbondien (il voyage, il a des gadgets, il fait de l’humour), assisté de son majordome persifleur. Deux bastions de la « vieille école » qui assiste impuissant (l’un enchaîné, l’autre caché dans la voiture) aux déchaînements de violence gratuite du nouveau héros.
Nouveau justicier qui, pourtant, n’est pas jugé ni condamné par la plume du scénariste. Au contraire, le récit se conclut par l’instant où Azrael retrouve son identité : alors, Jean-Paul contrôle-t-il ses démons intérieurs, ou bien a-t-il renoncé à lutter ?
Non, vraiment, beaucoup plus intéressant que dans mon souvenir.
Jim