LES INDES FOURBES (Alain Ayroles / Juanjo Guarnido)

Attention, la terre est meuble !

Avec un tout petit peu de recul, je ne comprends pas pourquoi je m’étais braqué. :sweat_smile:
Déjà de base, je suis très friand des romans picaresques bien que ce soit passé de mode dans la littérature actuelle (je conseille chaudement à ce propos le roman « Victus » d’Albert Sánchez Piñol) et l’histoire et sa construction en est un prototype parfait.
Je pense que c’est le style graphique qui m’a le plus freiné lorsque je le feuilletais en librairie. Je ne suis pas hyper client de ces expressions outrées du visage et surtout celles de Pablos.
En fait, je m’y suis fait rapidement et pour le reste c’est magnifique. Il y a des planches que j’ai vraiment trouvé sublimes, surtout celles dans les paysages péruviens (mais je garde un excellent souvenir de l’ambiance dans la mine).
Mais ce que j’ai préféré c’est la construction de la narration. Elle paraît simple dans la première partie jusqu’à ce qu’elle dérape quelques pages avant le début de la seconde. Les auteurs arrivent à rendre le lecteur sceptique en une seule page (c’est même une double splash page) et ébranler toute la confiance qu’il a envers le narrateur.
Dans la seconde partie, il suffit d’un visage déjà croisé pour comprendre totalement la supercherie. C’est vraiment brillant !
Je dois avouer que j’ai un peu moins aimé la dernière partie. J’ai trouvé la démonstration un peu lourde mais ça n’a pas entamé mon plaisir de lecture.

Je m’incline!

Pareil

Nous non plus.

Jim

D’après Casemate (#148), Ayroles et Guarnido travailleraient sur un nouveau projet commun.

Jim

J’emets des doutes en tout cas sur un futur proche. Le nouveau Blacksad est un 1/2 et Guarnido à promis de ne pas trop faire attendre entre les 2 (donc pas plus de 2 ans), hors on sait qu’il est pas un homme rapide.

Et pour l’avoir vu en visio il y a 3-4 semaines il a pleinement conscience qu’il ne pourra pas laisser autant d’attente entre les 2 tomes et il est vraiment focus dessus

On a vu la même chose.

1 « J'aime »

Je n’ai pas dit ça. Et d’après les gens qui ont trouvé l’info (je n’ai pas lu l’article, personnellement), aucune date n’est avancée. Ayroles n’écrit pas non plus très rapidement. Donc ils peuvent très bien bosser sur un truc qui paraîtra dans quatre ou cinq ans. De toute façon, l’éditeur qui les signera n’est pas pressé, il sait qu’il peut attendre.

Jim

Et donc, voilà, deux ans et demi après, j’ai fini l’album (le temps d’accéder aux couches dans lesquelles il s’était fossilisé !). Et c’est un plaisir. Doublé par le fait que je suis reparti en arrière, afin de me remettre quelques impressions en tête.

Alors c’est bien sûr un récit d’imposture, ce qui colle à merveille avec le roman picaresque dont l’album s’inspire, un genre assez codifié dont Ayroles reprend certaines caractéristiques : le personnage de basse extraction, la narration à la première personne, les rencontres multiples, la vision pessimiste mais ironique de la société… Donc Ayroles fait un roman picaresque. Mais il dépasse le stade du « à la manière de ». Car, je l’ai dit, c’est une imposture, non seulement parce que c’est l’histoire d’un manant qui tente de s’élever et de se faire passer pour ce qu’il n’est pas, mais aussi parce que c’est une sorte d’imposture littéraire. De palimpseste, comme l’aurait remarqué Umberto Eco (qui avait invoqué le principe pour son Nom de la Rose), à savoir un récit écrit par-dessus un autre récit.

Ayroles nous montre la piste dès l’ouverture, puisqu’il cite un récit proprement picaresque sur lequel il affirme articuler le sien : un récit servant de base (au sens pizza du terme : base tomate ou base crème) à un autre récit. Le premier chapitre, le plus long, écrit à la première personne, implique donc un locuteur et un destinataire. Il devient assez clair, surtout à la fin de cette première partie, que les deux sont mis en présence dans les scènes « au présent ».

Dès lors, selon un principe éprouvé, les chapitres suivants, plus courts, racontent les conséquences directes de ce qui s’est passé, mais aussi la réalité derrière le récit. Et là, on comprend que c’est un palimpseste (c’est clairement montré), un faux (une fourbe, comme il est dit) et une imposture. Une escroquerie à la Usual Suspect, avec un développement final qui réexplique ce qu’on vient de voir. Forcément, c’est plus court, plus tassé, peut-être un peu plus démonstratif, mais il y a une nécessité d’effet de choc : on imagine mal que la révélation du tableau mural dans Usual Suspect dure une demi-heure.

S’il me fallait émettre un léger reproche (il faut bien pinailler dans un album où les textes témoignent d’une maîtrise de la langue et du style à la hauteur de la qualité graphique), je dirais que la partie consacrée aux explications amènent à vérifier si on n’aurait pas raté une information dans les cases de la première partie, et on est un peu déçu de constater que ce n’est pas le cas : cela ajoute un peu à l’effet « explication tardive », mais c’est un choix qui laisse en plus la possibilité d’imaginer que le narrateur reste fidèle à sa volonté d’embellir son récit (le fameux « portrait flou » évoqué à la fin). Et pourtant, Ayroles ne le ménage pas, nous le présentant comme une solide crapule, au point qu’il cesse d’être sympathique, ce qui n’est pas un mince exploit.

Un grand album.

Jim

Recherches et croquis :

Jim