LES PESTIFÉRÉS (Serge Scotto, Éric Stoffel / Samuel Wambre, d'après Marcel Pagnol)

Un texte de Pagnol que je ne connaissais pas (certes inachevé, et repris partiellement ailleurs, mais inédit dans sa forme complète), une jolie couverture, un dessin un peu déstabilisant mais issu du travail d’un auteur dont c’est ici le premier album (et donc qui est assez prometteur), voilà plein de raisons pour s’intéresser à ce bouquin, d’autant que c’est un one-shot.

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Bon, la collection Marcel Pagnol, chez Bamboo, on la connaît : adaptation de romans ou de pièces de théâtre, sous la forme de séries courtes, à la jolie maquette et aux belles couleurs. Ce tome, un peu inhabituel, propose une pagination plus élevée pour un récit qui sort du lot. Inachevé dans les papiers de Pagnol, n’existant, dans son intégralité, que sous la forme d’un récit que l’on se racontait dans la famille de l’écrivain, ce récit propose un angle nouveau afin d’approcher le corpus de l’auteur. Car la fin, jamais rédigée mais connue des enfants de Pagnol, offre une vision politique plus subversive et plus sombre que ce à quoi on est habitué.

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Le récit suit le destin des habitants d’un petit quartier sur les hauteurs de Marseille, isolé du reste de la ville au point qu’il vit comme un petit village, en semi-autarcie, observant l’agitation de la métropole en contrebas. Et c’est en contrebas que naissent des rumeurs selon lesquelles la peste serait arrivée en ville. Autour de Maître Pancrasse s’organise alors une nouvelle existence, claquemurée derrière les volets clos en espérant que la tourmente passe. Les habitants finissent tout de même par fuir leurs habitations, de crainte qu’on vienne les recruter pour brûler les cadavres, ou qu’on vienne incendier leurs maisons. Ou les deux. Fuyant la civilisation, ils évitent la contamination et découvrent, un an plus tard, que l’épidémie a cessé. Mais la civilisation les rattrape, et les choses se passent mal… L’album est complété d’un court texte qui éclaire cela dit les intentions de l’écrivain, d’une lumière assez inédite.

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Au dessin, Samuel Wambre propose un trait assez déconcertant. Les visages sont détaillés et vivants, mais le trait est épuré, les décors simplifiés à la limite de l’indigence, l’ensemble respirant une certaine naïveté. Les couleurs, qu’il réalise lui-même, nappent le dessin de teintes chaudes, mais rapidement les rouges agressifs et les gris désespérés envahissent les planches. C’est très étonnant, mais une fois qu’on plonge dans la lecture, ce qui pourrait passer pour de la maladresse devient bien vite une force. Ni réaliste ni humoristique, son style désarçonne, surtout parce qu’il échappe aux comparaisons. Le soin accordé aux cadrages s’associe aux efforts de lettrage (j’aime particulièrement ses onomatopées, toujours pertinentes) pour donner une « post-production » ambitieuse.

Étonnante et belle surprise.

Jim