LES PIONNIERS t.1-2 (Guillaume Dorison, Damien Maric / Jean-Baptiste Hostache)

La Machine du Diable

  1. Paris est au centre du monde. Artistes, inventeurs et industriels se fréquentent dans une grande fièvre. La technique est au centre de toutes les préoccupations. Les arts, comme l’économie ou les sciences, se rationalisent. Le monde entier semble en passe d’être mécanisé… Six personnes détiennent le même secret. Une invention démoniaque dont ils cherchent à comprendre le sens et maîtriser la puissance. Ils sont ingénieur, fils de boucher, magicien, forain ou jeune secrétaire-sténographe. Ils sont jeunes, rêveurs, ambitieux et vont devoir se démarquer. Ils se nomment Léon Gaumont, Charles Pathé, Georges Méliès, Louis et Auguste Lumière ou Alice Guy. Et leur enjeu s’appelle le Cinéma.

  • Éditeur ‏ : ‎ RUE DE SEVRES (20 avril 2022)
  • Langue ‏ : ‎ Français
  • Broché ‏ : ‎ 152 pages
  • ISBN-10 ‏ : ‎ 2810212708
  • ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2810212705

Après plusieurs années passées dans les jeux vidéo (créateur et rédacteur en chef du magazine « Game Fan ») et l’animation japonaise, Guillaume Dorison (alias Izu) devient directeur littéraire chez Les Humanoïdes Associés en 2006 où il lance la collection Shogun, dédiée aux créations de manga originaux.

Jean-Baptiste Hostache naît en 1981 à Rouen. En 2005 il commence à travailler dans l’animation en tant que décorateur. Il y rencontre notamment Didier Poli, qui va montrer son book à Nicolas Forsans, éditeur aux Humanoïdes Associés, ce qui débouchera sur la publication de Clockwerx en 2008. Depuis, Jean-Baptiste Hostache travaille sur Shuriken School et sur Anatane et les enfants d’Okura, deux séries animées où il fait du design-décor. Et quand il trouve un peu de temps, il fait des aquarelles dans le Val-de-Seine et des dessins de cargos, de grues, de trains dans la zone industrielle et le port de Rouen…

Je connais très mal le travail de Jean-Baptiste Hostache, mais le feuilletage de l’album m’a vraiment emballé. Son trait réaliste mais épuré m’évoque Rossi, mais peut-être aussi Alex Toth ou Chris Samnee. Ses personnages féminins sont séduisants au possible et sa mise en scène vraiment convaincante. Et le papier mat de l’album est aussi agréable au toucher qu’à l’œil.

Jim

L’album, assez épais, contient deux chapitres, qui sont comme autant d’albums. Je n’ai lu que le premier, mais pour l’instant, c’est excellent.


Donc, on suit les pionniers du cinéma. Bien entendu, l’action s’articule autour de la rivalité entre Gaumont et Pathé, deux entrepreneurs un peu inventeurs, un peu investisseurs, un peu magouilleurs, un peu menteurs, chacun à sa façon. Le troisième personnage essentiel (et central, somme toute, la couverture le rend très bien), c’est Alice Guy, pionnière du cinéma dont la figure semble dans une phase de redécouverte ces derniers temps. On croise aussi, bien sûr, Demenÿ, Méliès, les Lumière…

Ce premier chapitre est axé autour du tragique incendie du Bazar de la Charité en 1897, un événement qui lui aussi fait l’objet d’une redécouverte récente (série télé avec Audrey Fleurot, roman La Part des flammes à son tour adapté en BD…), qui sert d’ouverture et de fermeture. Entre-temps, on suit les différents personnages qui, à force d’échecs et de déconvenues, sont en train d’inventer un art et un business. Les personnages sont attachants, l’absence de récitatifs les fait respirer et vivre, et le dessin d’Hostache, qui évolue ici dans des sphères déjà arpentées par Mathieu Bonhomme, livre un travail étourdissant : personnages expressifs et beaux, décors évocateurs, narration limpide. Splendide.

J’ai hâte de trouver le temps de lire la seconde partie.

Jim

Les Pionniers T2 : Le rêve américain

  1. L’industrie du cinéma poursuit son ascension, grâce à des technologies toujours plus performantes et à la diversification des contenus produits. La course au pouvoir dépasse alors les frontières de la France et se tourne vers les Etats-Unis. Pathé, Méliès, Guy et Gaumont se livrent une compétition sans précédent, et les alliés d’hier deviennent les ennemis de demain. Cette conquête pour un nouvel art, où tous les coups sont permis, se verra bientôt bouleversée par un événement majeur : la Première Guerre Mondiale.

  • Éditeur ‏ : ‎ RUE DE SEVRES; Illustrated édition (19 avril 2023)
  • Langue ‏ : ‎ Français
  • Relié ‏ : ‎ 128 pages
  • ISBN-10 ‏ : ‎ 2810212848
  • ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2810212842

Bon, voilà qui est fait.
Et c’est toujours aussi bien.
La deuxième partie s’ouvre sur le procès suite à l’incendie au Bazar de la Charité, ce qui permet d’embrayer sur les progrès technique des lampes, des pellicules… L’intrigue insiste sur ce que cela induit en matière de concurrence, d’écriture, de technique : les premiers « studios » de tournage, l’opposition entre documentaires en prises de vue extérieures et fictions écrites filmées en studio, la longueur des métrages, la projection dans des salles… D’autres personnages prennent de l’importance, dont Méliès, qui est l’objet d’un « mercato » sauvage, ou Edison, qui n’apparaît pas mais dont la présence se fait bien sentir.
L’un des trucs très forts, c’est la mise en avant de la dimension humaine, par le biais de cases muettes riches en émotion, en non-dit. Les petites trahisons, les alliances, les mensonges, toute cette dimension à l’échelle de l’individu, qui rend les personnages crédibles, touchants, même quand ce sont des crapules arrivistes.
Vraiment, très bien ficelé.

Jim

Oh, reçu un mail de ma librairie, mon exemplaire est arrivé. Youpi ! J’ai du boulot, mais je vais peut-être craquer et aller le chercher fissa !

Jim

Le deuxième tome raconte de quelle manière les pionniers du cinéma français, Léon Gaumont et Charles Pathé, tout en continuant à se livrer une guerre (non plus au niveau des brevets mais à celui de la distribution), tentent de conquérir le marché américain, défendu par un trust monté à l’initiative de Thomas Edison. En Amérique, Alice Guy, qui a pris ses distances par rapport à Gaumont avec sa propre société, Solax, semble la mieux placée dans cette course au rêve américain. Et pourtant…

C’est le tome de la désillusion. Les deux géants du cinéma français ne parviennent à aucune alliance face à la puissance américaine (dont les acteurs finissent par fusionner, comme le montre le passage de Mayer et Goldwin dans l’intrigue), à part quelques serrages de main hypocrite ouvrant sur des associations qui ne durent jamais longtemps. Si les auteurs parviennent à mettre en évidence les drames humains, frustrations, jalousies et autres dépressions, et à rendre sensibles et touchants ces entrepreneurs, ils font tout de même le portrait d’une évidente mesquinerie mâtinée de capacité de nuisance (ah les coups bas au moment de la guerre), et le constat tragique : le cinéma français aurait pu dominer le monde, comme le font remarquer, presque mot pour mot, Marie Pathé puis Alice Guy.

Formidable, touchant, émouvant, évocateur, c’est un magnifique album qui clôt un diptyque passionnant pour les amateurs de cinéma (on en connaît quelques-uns, n’est-ce pas, @Lord-of-babylon ?). Graphiquement, c’est magistral : des couleurs désaturées, qui semblent presque sorties de la palette d’Adèle Blanc-Sec ou de Hellboy, et un encrage plein de matière. Hostache livre des pages dans un style réaliste mais sublimé, parfois presque épuré, un peu comme si Christian Rossi était encré par Christophe Blain. Ses personnages sont tous beaux, classes, hiératiques, mais ne sont jamais des gravures de mode, ils peuvent montrer des failles, afficher des colères et des grimaces. Ils sont très expressifs. Et Hostache dessine à mes yeux certaines des plus belles femmes du franco-belge actuel.

Jim

Les deux héros du récit ont fait l’objet d’un formidable documentaire qui montre bien les conséquences de la guerre qu’ils se sont livrés (l’oubli de certains brevets, la disparition de films et d’archives…) : Charles Pathé et Léon Gaumont : premiers géants du cinéma.

La figure d’un autre pionnier (un peu plus tardif) du cinéma français est évoquée vers la fin de l’album, Bernard Natan. C’est un peu le troisième homme de la période, pris entre deux feux dans la guerre Gaumont / Pathé.
Il a fait l’objet d’un ouvrage, Le Fantôme du cinéma français, gloire et chute de Bernard Natan, signé Philippe Durand.

Il est aussi le sujet d’un excellent documentaire, Natan, l’histoire oubliée d’un génie du cinéma, qui est très éclairant, un parfait complément du documentaire cité plus haut.

Il y a aussi un podcast en deux parties, sur France Culture, dont l’écoute est très intéressante : L’Hollywood de la rue Francœur.

Jim