Je serais un tantinet moins enthousiaste que mon camarade Lord, parce que j’ai trouvé des défauts au film, mais j’ai quand même beaucoup aimé.
De la Iglesia revient donc à la comédie horrifique speedée qui a fait son succès, et nous convie par la même occasion à une véritable orgie cinéphilique. En vrac et de manière non exhaustive, sont convoqués : « Massacre à la Tronçonneuse » via une scène de repas notamment (le réal’ confie que c’est le film qu’il a le plus vu), « King Kong » évidemment via la scène de la grotte (avec le petit garçon dans le rôle de Fay Wray / Naomi Watts), « Haxan, la Sorcellerie à travers les âges » de Benjamin Christensen, les films d’action HK et notamment « Zu » de Tsui Hark pour les duels en apesanteur, et j’en passe (De la Iglesia parle aussi d’un film d’Abbott et Costello où les deux nigauds sont poursuivis dans un couloir comme inspiration pour les travellings sur rails ultra-speeds, dans le couloir justement).
Le film est très drôle, certes moins que certaines perles de sa filmo (ma préférence allant à l’hilarant « Crime Farpait », sûrement le film de De la Iglesia que j’ai le plus vu…), mais on se régale quand même. Surtout durant la première partie.
Car c’est là que le bas blesse : le film est assez déséquilibré, pour des questions de rythme ; et ce n’est pas de la maladresse, c’est un choix qu’Alex de la Iglesia explique en entretien. La première partie, qui s’ouvre sur une scène de braquage tout simplement jouissive, est magistrale, avec ses 38 gags à la minute et sa cadence sans failles : le réal l’explique par sa volonté de se rendre au plus vite chez les sorcières, aller direct au coeur du film, et ça ça marche du feu de dieu.
La deuxième partie en revanche a un rythme un peu plus boîteux, entre course-poursuite hystéro et trous d’air, et ça joue clairement contre le film en termes de dynamique. Plus dense, la deuxième moitié est pourtant plus chiante que la première étonnamment. Peut-être aussi l’effet de « trop-plein » dont souffre parfois le cinéma de De la Iglesia s’exprime ici.
Thématiquement, le film est extrêmement riche, et c’est la principale qualité du film (en plus de sa virtuosité technique, malgré un tournage manifestement difficile : 6 millions d’euros de budget, 9 semaines de tournage entre Madrid et Zugarramurdi, ça fait beaucoup de complication pour un projet de cette ambition…). On pourrait dégager 5 ou 6 niveaux de lecture différents du film, de la mise en boîte insistante de l’institution du mariage à la mise en scène d’oppositions binaires (christianisme / paganisme, matriarcat / patriarcat, etc…) vite dépassées par la fureur joyeusement misanthrope du réalisateur (même si le vieux monde des sorcières semblent au final bien plus intéresser que le monde moderne).
Quant à ceux qui voient dans le film un manifeste de misogynie, ben c’est un peu comme pour « Antichrist » de Lars Von trier, j’ai l’impression qu’ils ont de la merde dans les yeux : le fait de choisir la femme pour figurer un lien plus fort à la nature est interprété comme de la haine à l’égard de la femme. N’importe quoi.
Certes un échange entre le « héros » et Eva la fantasmatique sorcière ultra-sexy ressemble à un règlement de comptes : mais quand on sait que la jeune femme en question, Carolina Bang, est l’actuelle compagne du cinéaste (on s’emmerde pas, Alex !! y’a de l’espoir pour tous les nerds barbus et enrobés de la planète, alors…), on saisit la part autobiographique de ces scènes, sans compter qu’on devine implicitement qu’Alex de la Iglesia a probablement principalement souffert du problème épineux de la garde des enfants…
Une réussite donc, malgré des problèmes de rythme un peu récurrent chez ce cinéaste, mais comme c’est en partie du fait de sa générosité, on lui pardonne facilement.
Pour terminer, puisque je suis du coin, quelques précisions sur des éléments « exotiques » du film liés au Pays Basque :
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la grotte de Zugarramurdi était réputée pour accueillir des réunions de « sorcières » (Akelarre en basque, littéralement « la lande du bouc », tout près de la grotte, mais par extension le lieu désigne aussi le sabbat des sorcières à proprement parler) et en 1610, 12 personnes furent condamnées au bûcher par l’Inquisition espagnole. Plutôt que de sorcellerie, il faudrait évidemment parler à leur sujet de rites et de croyances pré-chrétiens.
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le monstre féminin gigantesque est sûrement en partie inspiré par Mari, principale divinité, féminine, du panthéon basque (dans lequel « Dieu est en fait une femme », donc, comme le dit la prêtresse) et incarnation vivante de la nature.
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la chanson « Baga, Biga, Higa » du chanteur basque Mikel Laboa est l’adaptation d’une ancienne comptine enfantine, décrivant une sorcière préparant une potion. Plutôt que sorgin (qui se traduit par « sorcière ») on parlera plutôt de belagile (ce qui signifie exactement « faiseuse d’herbes », c’est-à-dire guérisseuse), et on comprend un peu mieux ce que l’Inquisition leur voulait… Dans le film, on l’entend pendant la scène de la grotte, dans son époustouflante version orchestrale avec l’orchestre symphonique de San Sebastian (8 mn, que le réalisateur, respect pour ça, a choisi de ne pas couper).
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toujours dans la grotte, les personnages vêtus d’épaisses fourrures et portant de grosses cloches dans le dos sont des joaldun (« joueurs de sonnailles ») ; l’origine de cette tradition est perdue mais il est probable qu’elle corresponde à un rite marquant la fin de l’hiver, où l’on « réveille » la nature et les êtres vivants à l’approche du printemps. Logique de faire appel à eux pour réveiller la Mère primordiale…
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les cris suraigües des sorcières (« ayayayayayayayaya… »), c’est l’irrintzina, le cri traditionnel des bergers en montagne pour se repérer ou guider les troupeaux à distance. C’est devenu un cri festif.
Une grande cohérence, donc, entre ces emprunts et les thématiques du film.