L'ORME DU CAUCASE (Jirô Taniguchi d'après Ryuichiro Utsumi)

Discutez de L’Orme du Caucase

Je suis en train de lire le recueil L’Orme du Caucase, que j’ai depuis un petit bout de temps dans ma bibliothèque et dont je ne me souviens pas, au point de penser que je ne l’ai jamais ouvert. Ce qui ne m’étonnerait pas.

image

Le bouquin est composé de récits courts, prépubliés dans Big Comic en 1993, et proposant diverses tranches de vie. La première nouvelle, qui donne son titre au recueil, raconte comment un couple, qui vient d’acheter une maison, découvre en emménageant que le jardin qui les avait séduits a disparu, à l’exception d’un orme. L’explication viendra plus tard, mais le récit s’attarde sur les tracas que l’orme génère avec le voisinage et sur le rapport de l’homme à la nature. Moi qui ai replanté un petit noyer qu’on m’a offert en tout début d’année et qui l’ai arrosé avec patience en espérant qu’il reparte (ce qu’il fait : il répand ses feuilles avec ostentation depuis peu), tout en observant le voisin de l’autre côté de la rue couper des arbres sous prétexte que les racines soulèvent les dalles de sa terrasse, cette histoire d’un homme qui hésite à déraciner son arbre m’a vraiment touché.

image

Le second récit concerne un couple de grands-parents qui ont leur petite-fille en garde pendant une semaine, dont la seule présence boudeuse les conduit à remettre en question leur rôle de parents et l’assurance d’avoir bien élevé leur fille. Le sujet me parle beaucoup moins, mais la finesse de la mise en scène est redoutable.

Je continue ma lecture…

Jim

Il fallait planter ces arbres plus loin (ou ne pas faire de terrasse)…

Ma mère a un terrain en pente, la maison étant en haut, et le terrain continuant à plat après la pente (il y a un cours d’eau qui délimite le terrain). Son voisin a un terrain constitué de la même façon. Il a coupé tous les arbres, tandis que ma mère a laissé quelques arbres, dont un magnifique marronnier, sous lequel on est au frais quand le soleil tape.

J’aime bien quand je suis chez ma mère, descendre et remonter au moins une fois (il y a un escalier de 66 marches)… Un jour, en descendant, j’ai surpris deux biches qui se reposaient à l’ombre du marronnier… Ce n’est pas sur le terrain du voisin que ce serait arrivé !

Tori.

Ou apprendre à vivre avec ses erreurs.

Voilà.
J’ai planté un noyer et dix pruniers (quatre mirabelliers et six pruniers de Damas, qui donne des prunes un peu comme les quetsches, mais plus rondes). Au moins, même si les récoltes sont moyennes, j’aurais de l’ombre.

Jim

Tiens je suis curieux de ton ressenti pour la suite. Une histoire notamment m’avait marqué.

Voilà, j’ai fini.
J’aime bien « Dans la forêt », parce que le récit joue sur des erreurs de perception, et donc des retournements de situation (la scène de la pommade contre les moustiques est très chouette), et puis ça parle de chien, donc ça me touche.
J’aime bien aussi l’histoire de la sœur et du frère qui se retrouvent : le récit ne montre pas les retrouvailles, mais plutôt l’attente avant celle-ci (même si l’image d’introduction les annonce fortement), et on s’arrête juste avant. Et le personnage, comme souvent dans ces récits, prend conscience de soi-même par le truchement des autres.
Mais toutes les histoires sont bien : celle de la vieille dame qui donne rendez-vous dans le jardin du musée est épatante.

Mais j’ai été singulièrement épaté par « Son pays natal ». C’est une histoire d’immersion, avec un personnage étranger (une française) qui se retrouve veuve dans un pays dont elle balbutie à peine la langue. Et Taniguchi a l’idée étourdissante de glisser une case de décor urbain par planche, dont son héroïne est à chaque fois absente, comme pour faire mieux sentir la pression du milieu urbain et du contexte culturel (de l’exotisme, de l’altérité…). Et au fur et à mesure que le personnage s’intègre, cette présence s’amenuise, on représente la jeune femme dans les rues, jusqu’à la séquence finale où elle figure dans toutes les cases, comme définitivement intégrée, et à cette dernière planche où elle partage une pleine page avec un personnage japonais. D’un point de vue formel, c’est étourdissant de maîtrise.

Jim

Merci beaucoup pour le retour de lecture, tu me donnes envie de le relire.
Marrant, l’histoire qui m’avait marqué est l’une des deux seules que tu ne mentionnes pas. En l’occurrence, la troisième, celle de l’homme qui va visiter une exposition d’art… Mais c’est une lecture qui date un peu pour moi et je n’ai clairement pas ton bagage et ton sens de l’analyse. C’était l’histoire qui m’avait touché.
Enfin bref, merci bien.

Ouais, tout le non-dit de la culture japonaise, avec le doute à la fin : un récit pas résolutif, qui laisse le lecteur dans l’expectative, tout en posant des questions sur le sang, l’inné, l’acquis, la transmission…

Jim

J’avais trouvé ça fort.
Cette capacité à raconter beaucoup en si peu. Un peu l’inverse de Netflix en somme… La noble tristesse de cet homme m’avait marqué, j’avais l’impression de l’avoir rencontré tellement ça sonnait juste.

Oui, ça sonne juste.
Après, les histoires de père qui ne voient pas grandir leur enfant, c’est un peu un repoussoir pour moi, pour des raisons personnelles. Donc fatalement, c’est pas l’histoire qui me marque le plus.

Jim

Ah d’accord, je comprends.

Oh rien de grave, mais je suis plus marqué par des sujets ou des intrigues qui évoquent des choses qui, chez moi, sont teintées positivement. Les animaux, les mystères de la création artistique, ce genre de chose. Les autres passent parfois au second plan. Ça plus le fait que je ne me souvenais pas de tout le sommaire, non plus.
:wink:

Jim

Hé hé, entendu.
De mon côté j’ai tendance à aimer le traitement réaliste des sentiments humains. Et ce dans un spectre large. Pour autant, l’action peut se situer un peu n’importe et avec n’importe quel type de personnage (Hellboy, les animaux de Bêtes de somme, Lester dans Essex county ou un super-héros) tant que je crois aux sentiments des protagonistes et à leur évolution. Finalement le côté positif ou non, que ce soit le « gentil » ou le salaud de l’histoire, une femme où un homme, tant que j’y crois, j’adhère comme un enfant, pleinement. Quand je joue un personnage sur scène, je ne me tiens qu’à ça. J’ai l’impression que c’est à cet endroit que l’histoire puise sa force, dans la crédibilité des sentiments des personnages. Que finalement la technique n’est qu’un moyen d’y arriver, ce qui m’y rend moins sensible peut-être.

Oui, je comprends, mais il y a aussi des sentiments ou des situations ou des caractères que je n’ai pas envie de retrouver dans mes lectures. Ni d’ailleurs dans ce que j’écris. Dans mes scénarios, je sais déjà qu’il y a des choses que je n’aborderais sans doute jamais, soit parce que ça me touche personnellement et que je n’ai pas envie d’y revenir ouvertement (on y revient tout de même, mais de manière inconsciente), soit parce j’estime ne pas avoir la maturité nécessaire (que je n’aurais sans doute jamais) ou le bon angle, soit tout simplement parce que ça ne m’intéresse pas. Et là, l’âge entre en ligne de compte : je découvre avec les années qui passent qu’il y a énormément de choses qui ne m’intéressent pas, beaucoup plus que je ne le pensais.

Jim

J’entends, maintenant en ce qui concerne la maturité, mon avis diverge. Je trouve au contraire qu’il est bon d’expérimenter ce que tu ne maîtrises pas, que justement il peut exister un véritable lâcher prise parce que tu sais que tu es dans le faux ou qu’en tous cas tu le perçois comme tel. [Quand j’écris « tu » ce n’est pas toi personnellement hein, qu’on se comprenne bien.]
Quant à la question de l’âge, c’est marrant j’ai la sensation inverse, je me rends compte en grimpant dans l’arbre des chiffres que beaucoup, beaucoup de choses m’intéressent. Par contre je sens par ricochet que le temps me manquera, et alors là, c’est Woody Allenien…

Ce qui fait beaucoup.

Parfois.
Ou pas.
L’écriture est un acte douloureux. Même quand on connaît, même quand on sait. En tout cas pour moi. En revanche, le résultat est souvent une grande source de plaisir. Ce qui n’est pas le cas de plein de choses dans la vie. Donc je n’ai pas envie de me forcer à aborder des sujets ou des tonalités si je ne les sens pas. Je sais que ça sera difficile de base, je vais pas m’imposer d’écrire à rebrousse-poil.

Beaucoup, oui, mais dans mon cas, moins qu’avant. Il y a de plus en plus de choses pour lesquelles je n’ai pas envie de faire d’efforts. J’en ai fait à vingt ans, je me suis intéressé à plein de choses qui aujourd’hui soit ne me touchent plus, soit m’indiffèrent soit me laissent dans l’incompréhension. A contrario, il y a des choses que je découvre, que j’apprends (hé, te rends-tu compte que je (re)commence à lire des mangas dans le sens japonais : il y a trois mois, ça m’aurais semblé impossible). C’est comme les goûts culinaires : on évolue, on change. Mais je sais que désormais, pour reprendre les paroles d’un grand penseur contemporain, plus plein de choses, « j’ai plus l’âge pour ces conneries ».

Jim

Ouais, mais… « le temps ne fait rien à l’affaire, c’est le kilométrage. » ~___^

Tori.

J’imagine que notre légère différence d’âge (j’ai 36 ans) mais surtout de parcours, expliquent peut-être mon ressenti. Disons que ma page de création n’est pas très remplie… :wink: Un jeune padawan plein d’idéaux.