A mon humble avis : attention chef-d’oeuvre.
Certes, on est pas trop mal servis rayon humour télévisuel ces derniers temps, j’avoue par exemple ne pas bouder mon plaisir devant des sitcoms un peu « industrielles » et imparfaites comme « How I Met Your Mother », « The Big Bang Theory » et « Modern Family », voire m’esclaffer comme un goret devant les plus réussies encore « Arrested Development », « Community » ou encore l’impayable « Eastbound and Down » (alias « Kenny Powers »).
Mais avec « Louie » on passe indéniablement à une dimension supérieure, précisément parce qu’on ne fait pas que rire devant cette série…
Je ne connaissais pas du tout Louis C.K. avant d’entamer la série : renseignements pris, c’est un comique américain plutôt confidentiel, à la réputation de « comique pour les comiques », flatteuse mais peu lucrative comme il s’en amuse lui-même dans son show. Après avoir fait ses armes sur les planches en tant que comédien de stand-up (sous l’influence de Georges Carlin, Richard Pryor ou Andy Kaufman), il devient scénariste de fameux late-shows américains comme ceux de Letterman par exemple.
Il rédige quelques trucs pour Chris Rock (dont un film passé complètement inaperçu sous nos latitudes), se lance sans succès apparemment dans une sitcom « classique » (c’est-à-dire enregistrée devant un public) pour HBO si je ne m’abuse, et finit enfin par faire ce qu’il veut avec ce « Louie », qui est tout sauf une sitcom classique.
Le dispositif du show est similaire à celui de la série « Seinfeld », où l’on alterne scènes de la vie quotidienne, avec une mise en scène très « cinéma vérité » ici, peut-être en partie imposée par le faible budget (250 000 dollars par épisode), et extraits de spectacles de stand-up.
Le ressort est de repérer comment les deux se font écho, parfois au sein d’un même épisode, parfois via des renvois à plusieurs épisodes d’écart : Louis C.K., à de très rares exceptions, ne montre pas (sauf dans le brillant générique) les transitions entre scènes de la vie intime et extraits de spectacles. Tant et si bien que l’une comme l’autre de ses composantes pourrait bien se révéler « imaginaire » : les scènes de la vie quotidienne sont peut-être des extrapolations à partir de ses sketches, et les sketches sont peut-être des « hallucinations » où Louie se rêve plus drôle qu’il n’est.
Une des grandes trouvailles de la série, très basique, c’est son titre : « Louie », et pas « Louis », comme le vrai prénom de l’artiste. Est-ce donc un avatar fictionnel que Louis C.K. met en scène ? Pas vraiment, sa biographie est ici fidèlement retracée, de sa part professionnelle à sa part intime, familiale, jusqu’à l’échec de sa sitcom pour HBO.
Pourquoi ce nom différent alors ? C’est parce que Louie C.K. vit dans un univers parallèle au nôtre. Un univers proprement lynchien : j’ai horreur de l’abus qui est fait habituellement de cet adjectif, tout ce qui est un peu bizarre, louche ou incompréhensible est qualifié de lynchien, ce qui me gonfle superbement. Mais ici, il me semble parfaitement adapté. « Louie » est une série à la fois comique et inquiétante, déprimante mais visionnaire au sens premier du terme, bref, comme les films de Lynch, quoi.
Alors que la saison 1 (très drôle malgré ce que vous pourrez en lire ici ou là, ne vous y fiez pas) prend le temps de mettre en place le dispositif alterné global du show, la saison 2, en reprenant exactement le même procédé, pousse tous les potards dans le rouge : la série est à la fois plus drôle et plus flippante, voire déprimante (c’est vraiment déprimant par moments, il faut bien le reconnaître), avec des moments complètement « autres » (Louie assiste à la substitution d’un SDF par un autre par de mystérieux hommes en noir, il voit deux étranges enfants coiffés de bonnets rouges et noirs comme de mystérieux signes, mais de quoi ?, etc…).
Je n’ai pas encore fini la saison 2, mais il paraît que la saison 3 voit arriver un guest récurrent de luxe : David Lynch himself. La boucle est bouclée.
Pour le reste, l’appréciation de l’humour étant éminemment personnelle et tellement difficile à expliquer et donc à défendre, je me bornerais à dire que Louis C.K. me semble être à l’heure actuelle un des bipèdes les plus drôles à fouler le sol de la planète ; les scènes de stand-up en attestent (c’est hi-la-rant, tout simplement), dans un registre plus proche d’un Will Ferrell que d’un Jim Carrey, si vous voyez ce que je veux dire (Louis C.K. n’est pas un comique visuel, pour aller vite). Et à côté de ce festival de vannes impayables, il y a les scènes de la vie quotidienne, basées sur des gags un peu « slow-burn » dans l’esprit, à combustion lente quoi (trop pour certains spectateurs apparemment), voire à partir de la saison 2 pas de gags du tout, juste du malaise, et un paquet de bonnes idées d’écriture et / ou de mises en scène.
Une réussite éclatante, à mettre tout entière au crédit de Louis C.K., qui écrit, réalise et monte tout ça, en plus de produire. Mon gros gros coup de coeur du moment…