Je n’aime pas Bianchi habituellement, mais il a considérablement revu son approche pour ce titre, et c’est assez intéressant, notamment ce découpage ultra-classique, qui sert pas mal l’histoire. Un bémol de taille : je trouve son Thanos complètement raté, il n’a pas le côté massif et monolithique qui le caractérise.
Mais j’ai surtout lu ce truc pour le scénar’ de Aaron. Au final, j’ai beaucoup aimé et pourtant le barbu ne réussit pas sur toute la ligne. Je vais essayer d’expliquer ce petit arrière-goût désagréable à un bien beau titre qui prouve que Aaron est toujours au top…
A la base, je n’étais pas contre un récit des origines. OK, ça s’inscrit dans une tendance un peu casse-bombons du « Tartempion Begins » ou des « Origines du Mal » vu 120 fois au cinoche ou à la télé. Mais les origines de Thanos avaient été 100 fois évoquées (à commencer par Starlin) sans être développées, et il y a une tradition intéressante des grands récits des origines des vilains, de celles de Fatalis par Lee et Lirby dans « Fantastic Four » au « Killing Joke » de Moore et Bolland (et peut-être qu’une des caractéristiques de ce type d’histoires, c’est l’ambigüité qui existe quant à la véracité des faits…).
Aaron reste fidèle à ce que l’on sait des origines de Thanos, expérience de la violence / exil / acquisition des pouvoirs / rencontre avec une certaine silhouette encapuchonnée / destruction de sa patrie d’origine, à un petit détail près :
j’étais persuadé que Sui-san, la mère de Thanos, mourrait lors du bombardement de Titan, mais bon, pas de quoi hurler à la lune : retcon !!.
Et Aaron de dérouler un récit assez caractéristique de sa patte, tant sur la forme (super dialogues, le côté tough guy appuyé, les captions, abondantes et chiadées) que sur le fond (c’est très très noir et très violent). D’une certaine manière, et ce n’est pas un reproche de ma part, Aaron raconte les mêmes histoires que ce soit dans un contexte « naturaliste » polardeux que dans ses récites cosmiques où le terrain de jeu est décalé mais fonctionne de la même façon : après tout, son God-Butcher dans « Thor : God of Thunder » n’est autre qu’un serial killer mythologique, et c’est sur le même genre de décalage que fonctionne « Thanos Rising ». Ainsi, Grasse a raison en dernière page de souligner que Aaron respecte ce qui est devenu courant dans la description de la genèse des serial-killers : les différentes étapes sont respectées à la lettre, avec d’abord les maltraitances animales, etc…
De même, le principal ressort de l’intrigue, à savoir la mystérieuse compagne de Thanos, s’adapte fort bien à ce canevas. Mais il y a un double effet kiss cool, ou un revers à la médaille :
c’est une excellente idée d’induire une ambigüité quant à l’existence réelle de l’avatar de la Mort aux côtés de Thanos (et donc quant à sa santé mentale), et ça marche à mort au sein du récit ; mais ça s’emboîte assez mal dans la biographie fictive de Thanos, puisque tout ça tombe à plat au regard de ce qu’on sait de la suite : aucun doute quant à la présence réelle de la Mort à ses côtés.
De là, j’en arrive au seul véritable reproche que je ferais à cette somme toute excellente mini-série : l’approche de Aaron, pour porteuse qu’elle soit, s’accommode assez mal d’un élément constitutif de l’essence même du personnage, tel que Starlin l’a conçu à la base. Investi de pouvoirs divins ou non, Thanos est une figure quasi abstraite, lui-même un avatar de la mort. Et cette dimension « métaphysique » échappe peut-être à la version Hannibal Lecter de Jason Aaron.
Un bémol qui ne m’empêche pas de considérer Aaron, plus que jamais, comme le meilleur scénariste Marvel en activité, en close-compétition avec un Remender excellent aussi.