MATALO! (Cesare Canevari)

REALISATEUR

Cesare Canevari

SCENARISTE

Mino Roli, Nino Ducci et Eduardo M. Brochero

DISTRIBUTION

Corrado Pani, Lou Castel, Antonio Salines, Claudia Gravy…

INFOS

Long métrage italien
Genre : western
Année de production : 1970

SYNOPSIS

Burt, un hors-la-loi cynique et impitoyable, est condamné à mort et sur le point d’être pendu. Il est libéré par une bande de mercenaires mexicains, mais il les éliminent aussitôt pour éviter de les payer.
Il est rejoint par deux complices, et le trio prend possession d’une ville fantôme, bientôt rejoint par une jeune femme vénéneuse et violente. Les quatre acolytes fomentent l’attaque d’une diligence, qui recèle un formidable magot…

En 1970, c’est le début de la fin pour le western italien. Depuis six ans, le genre fait carton plein, après le succès (et la réussite artistique) de Pour une poignée de dollars ; pendant ce laps de temps, les « trois Sergio » (Leone/Corbucci/Sollima) et quelques autres donnent ses lettres de noblesse au « filone » du moment (comme disent les producteurs italiens). Mais le public commence à se lasser : et pour cause, la production est pléthorique. En 1968, ce sont 80 westerns qui sont produits en italie ; l’année d’après, deux fois moins. C’est le déclin qui s’amorce, sans compter que s’installe en 1970 une tendance particulière du genre, suite au succès du fameux Trinita. Dans la foulée, le genre dégénère en une version parodique de lui-même, dont le succès ne tardera pas à s’émousser à son tour. Mais le mal est fait : les studios sont passés à autre chose (notamment au giallo ou au polar hardcore), malgré quelques fleurons en guise de queue de comète (comme Keoma, crépusculaire réussite signée Enzo G. Castellari, en 1976).

Dans ces conditions, pour sauver les meubles, on tente tout et n’importe quoi, en bouffant un peu à tous les râteliers : cette méthode hasardeuse n’empêche pas les cinéastes impliqués d’accoucher parfois d’authentiques curiosités, voire de petites réussites décalées et fraîches, même 45 ans après. C’est le cas de Matalo! (Kill Him! pour l’exploitation américaine), signé par le méconnu Cesare Canevari, qui n’a que ce seul titre de gloire à son actif, pour ainsi dire. Il a plus tard signé des péloches érotiques, dont un Moi, Emmanuelle antérieur au film avec Sylvia Kristel. Il signe aussi un « nazisploitation », au titre bien crapoteux dans la tradition (Last Orgy of the Third Reich). Rien de bien recommandable.

Il réussit néanmoins son coup avec ce Matalo!. Il ne s’embête pourtant pas beaucoup à la base, puisqu’il récupère un script déjà tourné trois ans auparavant (celui de Dieu ne paie pas le samedi de Tanio Boccia) et décide d’orienter le projet très différemment. Il retravaille le script, qu’il épure jusqu’à l’os (on y reviendra) et décide de conférer à ses personnages des looks pas possibles (et totalement anachroniques d’ailleurs) de hippies : le cinéaste veut faire un sort de la communauté hippie en la figurant dans un western. Car oui : le système de production italien étant ce qu’il est à l’époque (comprendre : vénal et ultra-réactif), le succès des films contre-culturels à la Easy Rider a marqué les esprits et aiguisé les appétits. A ce titre, l’année précédente, Le Spécialiste de Sergio Corbucci, avec Johnny Halliday, utilisait déjà une bande de hippies.
Drôle d’initiative : pourquoi ne pas produire directement des films de motards, des road-movies ou autre ? Mystère, mais le mélange avec le genre western produit, au moins pour ce qui est de Matalo!, des effets intéressants. Cette référence aux bouleversements de la société américaine appelle en effet un certain psychédélisme…

Le personnage « principal » (c’est à relativiser), Burt, est campé par Corrado Pani, sorte de Klaus Linski-like très convaincant, ancien jeune premier chez Visconti en personne. Il se délecte à cabotiner un max dans ce rôle de hippie versant Charles Manson, car c’est bien cette face obscure du mouvement qui semble intéresser le cinéaste. L’entame du film est ultra-dynamique et très étonnante, Canevari semble vouloir d’emblée s’assurer que le spectateur a bien compris où il mettait les pieds. Tant sur le plan narratif que sur celui de la mise en scène, le réalisateur pousse le bouchon très loin ; on est pas loin de l’ambiance d’un El Topo : comme dans le génial western initiatique de Jodorowsky, les scènes surréalistes et les plans étranges se multiplient, Canevari faisant feu de tout bois : si une partie de cette « pyrotechnie » cinématographique tourne à vide sur le plan narratif (il y a des plans de grue électrisants mais inutiles et démonstratifs), toute l’expérimentation ne fait pas pschiit, loin de là. Par exemple, un plan à la mise au point pas faite s’éternise anormalement et ça peut sembler une astuce un peu veine ; mais voilà que le contrechamp nous représente le personnage d’une veuve, au visage voilé, justifiant le trouble visuel.
Plus loin dans le film, des inserts quasi subliminaux sur les yeux d’un personnage particulier surgissent sans raison apparente, mais un rebondissement scénaristique ultérieur justifie le procédé. Canevari tente beaucoup de choses, ne les réussit pas toutes mais accouche finalement de plans envoûtants, à force d’étrangeté (cette insistance sur les plans solaires, un soleil qui rend fou comme dans le Texas Chainsaw Massacre de Tobe Hooper, toujours dans le genre psychédélisme macabre).

L’écriture n’est pas moins surprenante : bien que le script ait déjà été tourné une fois (ce serait intéressant de comparer les deux films, d’ailleurs ; l’autre film a aussi une bonne réputation, d’ailleurs), Canevari surprend par son traitement. Il prétendra avoir voulu débarrasser le script de la totalité des dialogues, à l’exception de l’injonction éponyme (« Matalo! », « tue-le ! », prononcée à l’occasion d’une scène très cruelle). Il n’ira pas aussi loin, mais force est de constater que le film est incroyablement chiche en dialogues, ce qui lui confère un caractère très particulier.
Il en résulte hélas aussi un rythme un peu claudiquant : passé la première demi-heure, survoltée et très aboutie dans sa bizarrerie, le récit adopte un fil erratique, décousu, très porteur dans la construction d’une atmosphère très particulière néanmoins (cf. la superbe séquence de l’arrivée dans la ville-fantôme). Mais la première grosse erreur du film, nonobstant ce rythme bizarroïde (où une excellente séquence en côtoie une parfaitement anodine, alternativement), est l’adjonction d’un héros au charisme inexistant (le méga-fade Lou Castel), alors que le flamboyant bad-guy est mis au placard pour presque toute la durée du film.
Une originalité cependant à l’actif de ce héros pas vraiment inoubliable par ailleurs : il est australien et déteste les armes à feu, et se défend donc à l’aide de… boomerangs. Ce qui promet un duel final pour le moins pas commun.

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La deuxième grosse erreur du film, c’est l’entame de son climax, basé sur l’idée le plus stupide de tout le film : l’enjeu du « gunfight », c’est une mule chargée d’or au centre de toutes les convoitises, shootée à renforts de zooms et de dézooms épileptiques (pour le plan le plus hilarant que j’ai pu voir depuis un sacré moment), et de panoramiques à 360 degrés impliquant une topographie aberrante. La suite relève un peu le niveau, avec le fameux duel pistolet/boomerangs ; mais là encore Canevari en fait un poil trop, usant de sa fameuse grue (il était content de l’avoir, celle-là) pour des « plans subjectifs de boomerangs » rigolos mais le résultat est peu crédible. L’incongruité de la chose n’en demeure pas moins enrichissante pour le climat global du film, pour le moins barré.

Au final, le film est vraiment captivant, malgré ses flottements narratifs (qui ont l’avantage de concourir à l’ambiance) ; il se pare même d’un sous-texte pas con, chargeant finalement la communauté hippie (ce sont les méchants après tout) sous l’angle de l’idéologie afférente poussée à son dernier stade : la liberté ultime, comme le dit lui-même Burt via une voix-off, s’accomode bien de l’amoralité totale et de l’appât du gain. Il y a un côté « teigneux » dans cette description qui étonne et interpelle.
Le film doit beaucoup à son montage complètement éclaté et son ambiance à la limite du fantastique (les résurrections symboliques pullulent dans le film), ainsi qu’à une poignée de scène mémorables, qui constituent le « coeur surréaliste » du film. Ainsi, une séquence mémorable voit le cheval du héros venir à l’aide de son propriétaire (elle est suivie d’une séquence au ralenti inexplicablement interminable, d’ailleurs), quand une autre exprime une partie du sous-texte sexuel du film de manière très aboutie (la séquence du couteau et de la balançoire).

Les fans de western-spaghetti pourront difficilement passer à côté de ce spécimen, malgré ses défauts : voilà à l’aise un des westerns italiens les plus étranges et originaux produits à l’époque.
L’excellent éditeur Artus Films a ressorti cette petite pépite au mois d’avril dernier.

J’allais oublier : il faut absolument saluer le travail du méconnu Mario Migliardi, déjà 51 balais à l’époque mais très au fait de la musique « jeune » de son temps manifestement, qui signe la BO.
Aux antipodes du travail emblématique d’un Ennio Morricone et de ses émules, la BO présente bien quelques thèmes classiques à base de cordes, mais les noie totalement sous les décibels d’une sorte de rock progressif très abrasif et furieux, sans compter que les passages les plus « atmosphériques » sont illustrés par des passages totalement autres, où des sonorités électro-acoustiques côtoient des chuchotements et autres voix bizarres, travaillées par des effets sonores divers et variés (delays, saturations, effets « flanger », réverb’, etc…).

Cette BO assez incroyable dans son genre contribue grandement, évidemment, au « cachet » du film.

Voilà le genre de curiosité qui m’intéresse. Merci, je ne connaissais pas et il est passé direct sur ma (longue) liste de films à voir… :wink:

Ah tu devrais te régaler…!