MIKROS ARCHIVES t.1-2 (Jean-Yves Mitton)

C’était clairement du remplissage, dessin et scénario - où on découvrait à Saltarella un nouveau pouvoir bien opportun dont il ne sera plus fait mention ensuite. Mais si ce n’était pas non plus honteux, c’était bien en dessous de ce que produisait Mitton.

Tout cela faisait donc très comics : le remplissage, les idées opportunistes…

Jim

Oui, mais il n’y avait pas cet esprit propre à Mitton…

Pour faire court, ni le scénario, ni le dessin n’étaient à la hauteur de ce que faisait Mitton - et certaines vignettes étaient même vraiment moches. Quant au récit, un pur prétexte avec une histoire d’immortelle et de Tarsier géant aux motivations floues et qui n’avaient vocation qu’à remplir 60 pages - quand même ! Avec les yeux de la jeunesse, ça pouvait passer mais c’est assez oubliable.

Bien sûr, mais c’est un peu la nature du feuilleton.
Après, « l’esprit propre à Mitton », ça évolue, quand même. Quand la série passe dans Titans, il privilégie les humains par rapport aux héros, et il aborde des thèmes plus percutant. Ses pages post-apo, par exemple, elles marquent.
J’ai presque envie de dire que les épisodes dans Mustang, c’est le crash-test de ceux dans Titans.

Jim

En fait, le projet a évolué en passant d’une revue à l’autre. Au départ, on demande à Mitton et Tota de faire du super-héros à la manière de Marvel. Mitton a même parlé de « parodie » alors qu’on est plutôt sur du pastiche. Mikros, c’est un démarquage des Fantastiques et de Spider-Man, ramené à un trio (sur le modèle du trio de Blek le Roc) : un héros, un élément de charme/ou juvénil, un élément comique/incongru. Et il y a l’interaction entre l’imaginaire et le réel (fantasmé) lorsque les super-vilains viennent polluer la vie de leurs créateurs - comme chez Marvel, les super-héros côtoient la rédac.
Avec le passage dans Titans, Mitton introduit plus d’éléments personnels : son voyage à Venise, la France du TGV, les références au roman feuilleton et le projet évolue. Au départ, il fallait faire américain, Mitton décide de faire du super-héros français avec des références françaises et en signant de son vrai nom. ça n’empêche pas de trouver ici et là des allusions à l’univers Marvel comme si les super-héros Lug partageaient le même univers.
Là où ça devient intéressant, c’est lorsqu’il commence à faire du super-héros « réaliste » : que se passerait-il si la France avait des super-héros à sa disposition : elle les utiliserait comme vecteurs de sa politique de défense - une idée assez neuve au début des années 80. Et il y a chez Mitton cette défiance envers le pouvoir - je n’irai pas jusqu’à dire « anarchiste » mais bien dans l’esprit lyonnais (quand Guignol cogne sur le gendarme) : on voit les trognes des présidents et ministres de l’époque et ils sont présentés comme des manipulateurs. Il n’y a pas cette déférence qu’on les Américains envers leurs institutions (c’est normal, elles assurent la cohésion de leur État), lorsque Mikros et ses amis reçoivent la Légion d’honneur, ils perdent toute crédibilité aux yeux du public (alors qu’on les qualifiait auparavant de terroristes, justifiant leur assassinat à la voiture piégée par la DST, les services secrets français à la botte du Psi !) On est plutôt dans l’esprit du cinéma contestataire des années 70 à la Elio Petri : gardons-nous des institutions. (Et moins lourdingue que chez Tardi.)
En cela, on peut dire que Mikros, de pastiche de comics américain est devenu une œuvre personnelle, certes un peu naïve (car Mitton colle quand même aux codes du genre super-héroïque), mais marqué par la mentalité d’un auteur français d’extraction populaire.

Putain, le pavé de texte !

Je ne sais plus qui a dit, qu’au contraire, ça devient moins intéressant.

Oui, je crois que le seul précédent pérenne, c’est les Thunder Agents de Wally Wood, sur ce thème.
J’ai la flemme de relire les vieux Homicron parus dans Futura pour vérifier comment ils gèrent le rapport entre le héros et l’armée…

Jim

Tu peux développer ?

Si je me souviens bien de ce que j’avais lu, la personne qui a dit ça disait que Mikros perdait son côté comics de super-héros, que cela devenait plus franchouillard.

Ah mais moi j’ai préféré Mikros dans la période Titans. Et puis toute la saga du Psi, un régal. Et le choc avec cette explosion de la voiture! Une splash page qui m’avait bien secoué!

Sincèrement, j’ai tout lu jeune, et même s’il y a quelques épisodes plus faiblards (ce qui est naturel sur une telle longévité), j’ai pas vraiment de préférence de période, chacune ayant ses points forts (et ouais, la bataille du Psi est pas mal du tout).

J’ai suivi Mikros tant qu’il a été publié. De même que PhotoniK.
Ce qui m’a le moins plu, c’est la reprise par Reedman et le dernier album crossover Mikros/Photonik.

Tiens, j’ai fait de même.
Tu as fait la suite futuriste de Mikros, aussi ?

J’ai suivi Epsilon dans Titans puis Kronos.
Toutes ces séries avaient un ancrage français d’ailleurs.
Ensuite, même si j’apprécie le travail de Mitton, il faut reconnaître que certains de ses partis pris étaient un peu déroutant (le sabir parlé par les citadins européens digne de l’Anti-France de Super-Dupont, par exemple, tandis que les voyous à bariole jactaient un argomuche pittoresque.)

Je trouvais ça rigolo, je t’avoue (j’ai lu Kronos, mais ce n’est pas le titre qui m’ait vraiment marqué)

L’argot était rigolo parce que complètement décalé avec le contexte (les loubards parlaient comme des Apaches de la Belle époque) tandis que le sabir des citoyens européens était complètement grotesque.
Kronos démarrait bien et puis… la série a été brutalement interrompue à cause de Sémic, le repreneur des éditions Lug, qui a souhaité arrêter les productions locales - cependant Mitton a produit des Fantômes du Bengale pour leur compte mais pas pour le marché français.