MILLÉNIUM : LES HOMMES QUI N'AIMAIENT PAS LES FEMMES (David Fincher)

SYNOPSIS

Interdit aux moins de 12 ans

Mikael Blomkvist, brillant journaliste d’investigation, est engagé par un des plus puissants industriels de Suède, Henrik Vanger, pour enquêter sur la disparition de sa nièce, Harriet, survenue des années auparavant. Vanger est convaincu qu’elle a été assassinée par un membre de sa propre famille.
Lisbeth Salander, jeune femme rebelle mais enquêtrice exceptionnelle, est chargée de se renseigner sur Blomkvist, ce qui va finalement la conduire à travailler avec lui.
Entre la jeune femme perturbée qui se méfie de tout le monde et le journaliste tenace, un lien de confiance fragile va se nouer tandis qu’ils suivent la piste de plusieurs meurtres. Ils se retrouvent bientôt plongés au cœur des secrets et des haines familiales, des scandales financiers et des crimes les plus barbares…

Tiens, tu penses quoi des deux versions de Millenium ?

J’ai jamais lu le bouquin et j’ai vu que le film de Fincher (parce que Fincher justement). Bien aimé. Mais en fait j’aime les adaptations jugés comme peu ou pas fidèle. J’aime avoir la version de la personne qui adapte. Si c’est pour avoir la même chose je vois pas l’intérêt à titre personnel.

Aujourd’hui je ne crois pas. Le système de production, de diffusion et ses problématiques sont quasi-universelle. De fait je ne crois plus vraiment à l’idée d’une déformation du matériau originale pour plaire à un public étranger, dans le cadre de ce genre de production destiné au marché mondial. Je crois à la simple incompétence des gus aux commandes d’un projet pondu vite fait pour exploiter une marque dans le cadre d’une demande massive pour remplir les canaux.

Après je dis pas que les Américain n’américanise pas (si je puis dire) des oeuvres étrangères. C’est évident que oui. Mais ils ne sont pas les seuls et ils procèdent de la même façon avec des créations de leur propre pays. Ce qui fait la différence c’est les gens aux commandes et cette différence est de plus en plus difficile à imposer dans le système de production actuel

Faudrait que je regarde maintenant que j’ai la version européenne moins en tête.

Tres bonne version.

J aurais aimé la suite.

Tu parles de la version américaine ?

Oui celle de fincher. Très lechée.

J aime également celle avec Noomi Rapace, les versions longues.

Lisbeth Salander est le dernier grand archetype de fiction créé. Grande reussite. Très très grande réussite à mes yeux.

La femme déglinguée et deglingueuse selon Wajcman, un psychanalyste. Jessica jones, la nenette bipolaire de la cia, etc.

Et les deux versions télé et cinéma lui rendent justice.

Il y a un autre film americain sur la post trilogie initiale. Ils transforment lisbeth en super heros. Je n ai pas tenu 5 minutes devant. Une catastrophe.

Ce qui est intéressant avec le fincher, c est sa construction.

Le film s il avait eu une structure classique se clot au 2/3. Puis, il ne cesse de continuer. Ce n est pas complètement maîtrisé mais on a alors un rythme tres rare dans le cinéma americain. L apax est passé, on ne sait plus où le film nous amène ni pourquoi l histoire continue.

Ce nouveau rythme se clot abruptement avec la relation amoureuse avortée.

Faux rythme et avortement sentimental fonctionne finalement assez bien ensemble. Le film va au delà du film hollywoodien classique, mais ça ne debouche sur rien. On partage alors pleinement déception du perso. On a rêvé d autre chose mais ce n etait qu un rêve.

Ah ?
Je trouvais que c’était un ramassis de clichés, une accumulation de tropes condensés dans un seul personnage.

Après, effectivement, je n’ai pas regardé la chronologie, je ne sais pas à quel point le personnage peut se montrer précurseur, et je ne connais pas la version romanesque, seulement la version adaptée. Mais bon, la « déglinguée déglingueuse », c’est quand même le fond de commerce de Greg Rucka depuis 1998 au moins. Les nanas bagarreuses, portées sur l’alcool et dégoûtées des hommes, on en trouve treize à la douzaine chez lui, des années avant l’écrivain suédois.
Lisbeth Salander, c’est ça : on va additionner tous les trucs déjà vus. Cabossée par la vie ? Check. Dégoûtée des hommes ? Check. Hygiène de vie déplorable ? Check. Génie de l’informatique ? Check. Génie tout court à mémoire photographique ? Check. Bisexuelle ? Check. Gothique tatouée et percée ? Check.
Mais bon, en même temps, l’intrigue, c’est du même tonneau : un secret familial, un tueur, le monde de l’économie et des médias, et une grosse pincée de nazis sur le retour, ça fait jamais de mal.

Pour moi, c’est le syndrome Harry Potter : le personnage qui ne crée rien, mais qui cristallise un archétype parce qu’il arrive au bon moment au bon endroit, et qu’il parvient à toucher un large public mieux que certains prédécesseur pourtant plus convaincants et inventifs. Là, c’est pareil.

Donc « archétype », oui. Sans doute. La preuve, même moi qui n’ai pas lu le roman et qui n’ai guère apprécié les deux adaptations au point de ne jamais les revoir, je connais son nom et je vois à quoi ça correspond : un personnage porte-manteau, pratique mais artificiel. Mais « créé », pas du tout.

Jim

Oh le vilain ! Tu passes en effet tout à fait à côté de l archetype.

Tu n as pas tort de citer rucka mais chez rucka ses perso sont plus masculines que feminines, il me semble.

Lisbeth comme jones ne sont pas des badass parce qu elles sont comme des hommes.

Elles sont déglinguées et ne cherchent pas à ne pas l être ou à le cacher. Il n y a pas d arc de redemption pour ces persos qui sont à jamais brisé par la vie (c est un peu moins vrai pour jones sur le long terme)

Mais plus encore, c est à partir de là où elles sont déglinguées qu elles opèrent sur le monde. C est en ne cedant pas sur là où elles ne peuvent plus se conformer que le monde autour d elles se deglingue.

Dans la liste des surhommes cher à eco, c est une combinaison totalement inédite : leur capacité exceptionnelle c est d etre déglinguée. Retournement de l archetype du surhomme.

Le genie informatique de lisbeth, ce n est que l’envers de son incapacité à nouer des relations (ce qui est bien différent de detester des hommes). Jones detective ce n est que l envers de son statut de temoin impuissant de son propre viol par l homme pourpre.

C est là que se trouve le genie de l archetype de salander. Le surhomme est là où ça cloche, ou c est cassé, où c est brisé (je dirais que c est là où cela différe de rucka et où rucka loupe en partie la dimension feminine, mais je n ai pas tout lu de rucka).

Irrémédiablement déglinguée, Irrémédiablement incapable de se conformer et de là deglingant les semblants du monde. Salander ne cherche pas à se venger, le monde des barbousses s effondre à son contact parce qu ils ne veulent pas la laisser tranquille. Lisbeth aurait fait sa vie de son côté sinon.

La féminité comme ce qui ne peut se conformer et fait ainsi derailler le monde qui le lui fait payer. Grande reussite que d avoir reussi à en faire un archetype.

Pas vraiment d’accord.

Ça aurait peut-être été pas mal, et plus efficace, si elle n’était pas exceptionnelle à ce point. Sa connaissance de l’informatique, sa mémoire photographique, sa capacité à trouver les informations (et à les connecter, enfin surtout quand ça arrange les scénaristes…), ça en fait une sorte de super-héroïne, de méga-Oracle survoltée. Et son look, purée : je suis une rebelle, j’ai des tatouages, des piercings et la peau blanche. C’est ma carapace, je ne communique pas, la société c’est trop pas bien, bouh.

Sérieux : deux films, deux ramassis de clichés, avec en plus deux actrices que je ne supporte pas (ce qui n’aide pas, je veux bien le reconnaître), ça m’a rendu impossible la lecture des romans avant cinquante ou soixante ans.

Après, qu’elle ait été une influence pour plein d’autres personnages (et on pense tout de suite à Sarah Lund dans The Killing, voire à Saga Norén dans Broen, pour ne parler que de deux héroïnes scandinaves marquantes), ça me semble évident. Mais elle, en tant qu’agglomérat de figures déjà éprouvées, sérieux, c’est pas supportable.

Remarque, le vieux journaliste, c’est pas tellement mieux, hein.

Jim

Ca en fait une voyeuse en marge du monde. C est surtout ça le point saillant.

Là où le detective noir sait que le monde est corrompu et qu il va se faire broyer par lui dans une dynamique suicidaire, lisbeth le sait dans sa chair, elle a déjà été broyé et malgré tout elle continue à vivre et veut vire.

Ses capacités informatiques, c est la même chose que le savoir de la corruption dans le roman noir.

Sauf que lisbeth n en tire pas un degout du monde, elle est en marge parce qu elle ne peut faire autrement pas par goût d un narcissisme désabusé du detective sachant la vérité du monde.

Je maintiens que tu passes à côté de ce qui fait le sel et l inedit de cette archetype à mon sens. L entrée de la féminité par la grande porte dans la pop culture en tant que perso principale.

Très original. Corto Maltese. Mais féminin et traumatisé.
Win the yes.

Et je m’en réjouis : passer à côté d’une accumulation de lieux communs que des auteurs mal inspirés font passer pour un personnage, ça me fait gagner du temps.

Vraiment, je ne vois pas en quoi un personnage que toi-même tu définis comme un voyeur en marge est une représentation de la féminité qui entre par la grande porte.
Je rajoute que je m’en fous : je crois que j’ai été rarement aussi déçu par un personnage, et tenter de le défendre ainsi ne me fera que le détester davantage.

Jim

Ah oui, le rejet est fort de ton côté.

Ecoutes, on ne va pas reprocher à colombo ou monk d etre trop bon détective. Pas plus qu a lupin ou reed richard d etre trop intelligent.

Là question n est pas là et le cliché ce n est que l autre nom de l archetype.

Ce qui est est inedit c est la place que les capacités exceptionnelles viennent occupées dans le dispositif. Ici la superposition des capacité exceptionnelles avec ce qui est déglingués dans le perso est le trait inedit. Le trauma comme lieu de la singularité

Tu n aimes pas corto ?

En marge pas par choix (pas d élément aristo) qui ne se conforme donc pas et au contact duquel la société s effondre.

Lisbeth ne reinstaure pas le statut quo comme un super heros ou comme ripley par exemple. La société trepasse parce que lisbeth veut juste vivre : lisbeth c est ripley et l alien en un personnage, pourrait on dire.

Belle image, je trouve, de la féminité.

On dirait Dark Sidious quand tu écris ça.

3 « J'aime »

Ah mais complètement. J’ai trouvé les deux films nuls et chiants, et comme l’attention est à chaque fois portée sur le personnage féminin, j’ai fini par me dire que si je les déteste, c’est pas simplement à cause de l’histoire (qui hésite entre le polar crapoteux, le drame familial et le trauma national, sans jamais se décider), et c’est peut-être à cause d’elle. Et ouais, je la trouve insupportable. Le personnage négatif et revêche, en version « ultimate ». La tête à claque totale. Jouée par deux actrices imbuvables.

C’est pas « les aventures de Lisbeth Salander », le titre, hein.

Je suis bien content de le lire.
Mais pour moi, un archétype arrive avant. Et un cliché arrive après.
J’ai déjà vu les geekettes gothiques. J’ai déjà vu les filles traumatisées. J’ai déjà vu les personnages à la sexualité trouble. J’ai déjà vu les génies de l’informatique.
J’ai déjà marché dans une crotte ou une flaque d’huile de vidange. Du caca assaisonné d’huile de vidange ne donne pas un truc original ni un archétype révolutionnaire. Ça donne une tache plus dure à enlever.

Ouh, le vent de l’originalité a failli me faire tomber de ma chaise.

En fait, pas trop, non.
Ouais, super, le mec blasé, qui sourit en coin, équitablement, tant à l’adversité qu’à la connerie. Cool. C’est bien tant que Pratt dessinait encore correctement. Quand il a commencé à faire dans l’abstraction…
J’aime bien quelques histoires courtes. Mais impossible d’en relire un tome en entier…

Oui, mais ça, c’est pas propre au personnage. C’est propre à l’histoire. C’est lié à la noirceur de l’univers mis en scène. Une volonté de ne pas résoudre, de ne pas sauver.

Sans doute.
Je ne sais pas quoi répondre, à part peut-être qu’on ne parle pas de la même chose.

Jim

Heu… non.
Ou alors dans TON dictionnaire des synonymes.

Ne te mets jamais à l’écriture si tu penses vraiment ça. Parce que tu vas te faire chier.

Pour rejoindre Jim, je n’aime que le tome à Venise.

Hahaha

Et bah et bah.

Oui alors là, c est toi qui transforme l archetype en cliché lorsque tu le separes de l histoire.

L archetype et l histoire vont ensembles.

Je ne dirais pas comme jim que le cliché succède à l archetype, mais que l archetype reussi implique une reconnaissance de la part du lecteur. Reconnu comme déjà connu même et surtout s il est est inedit.

On peut voir dans cette reconnaissance ce qui constitue le cliché : déjà vu.

Lisbeth est inédite pourtant jim n y voit que du déjà vu. La reconnaissance chez jim joue contre le perso mais cela concerne plus jim que le perso lui même.

Antigone, oedipe, ces grands archetypes de la tragédie, sont sans subjectivité quelque part parce que la tragedie est elle même représentation des impasses et impossibilités auxquelles la subjectivité se confronte. Le recit epouse la structure de la subjectivité.

Le personnage subjectivé à la bovary, c est autre chose. Plus tard dans la fiction. Est introduit alors toutes la fantasmagories de la vie psychique au perso.

En cela, on n est plus du côté de l archetype.

On est déjà du côté de ce qui aboutira à l autofiction. De se côté là, on ne reconnaît pas l archetype, on se reconnaît dans le perso.

Deux chemins différents dans le roman.

Voilà si je devais vite fait poser des distinctions.