J’ai vu le deuxième volet de la chose (avec du retard), et comment dire…c’est spécial.
Au niveau de la forme (que je n’aime pas désolidariser du fond habituellement mais bon), c’est tout simplement magistral, ce qui n’est guère étonnant : c’est le troisième film d’affilée où Von Trier est en apesanteur de ce côté-là (quoique l’on pense de ces films, « Antichrist » et « Melancholia » sont des splendeurs visuelles bourrées jusqu’à la gueule d’idées de cinéma…).
La copie finale rendue par Von Trier faisant 5 h 30 (!!), le film a été coupé en deux par la production (sans implications du réal de ce côté-là), un peu à la « Kill Bill » (mais contrairement au Tarantino, « Nymph()maniac » ne profite clairement pas de cette césure très artificielle, malgré le petit twist à la fin du premier volet), et surtout va se retrouver amputé d’1 h 20 (environ) de métrage. C’est considérable, et il y a fort à parier que le director’s cut verra le jour en DVD / Blu-Ray à un moment ou à un autre. J’en serais, car le film malgré ses défauts m’a beaucoup plu, et j’aimerais bien savoir quelles parties du film ont souffert de coupes, car j’entends tout et son contraire là-dessus.
Le sulfureux réalisateur danois qui fait son film porno, voilà qui interpelle, encore que Von Trier n’était pas totalement étranger au genre (« Les Idiots » et « Antichrist » comprennent des inserts pornos, et Zentropa sa boîte de production a produit quelques films du genre…). Mais le film n’est pas vraiment un porno quand même. Nulle excitation, autant avertir les spectateurs potentiels, ne se dégage de ces scènes de sexe triste, mécanique, délesté du « mystère érotique », si j’ose dire. Il faut dire que Lars Von trier semble se moquer comme d’une guigne des (faux) enjeux de son script : plutôt qu’à la nymphomanie, le danois s’intéresse plutôt à ce qu’il fait le mieux depuis trois films, à savoir un portrait (qui tient de l’auto-portrait) de gens seuls, profondément coupés du monde. Des personnages qui refusent le monde, par divers biais.
Mais ces persos, semble s’interroger Von Trier, ne confondent-ils pas le monde et la société ? S’il n’y a rien à attendre de la société, le monde n’est-il pas encore une promesse ? D’où ces moments sublimes, ces trouées, qui constituent le coeur des films du danois : ici, les deux volets du film semblent tout entiers tendus vers le moment-clé du film (à la fin du 2) où Joe « l’héroïne » découvre « son » arbre. Une séquence aussi simple que soufflante, où les sommets du final de « Melancholia » sont tutoyés…
Ce n’est pas le seul moment réussi du dyptique, bien sûr : en vrac, on relèvera aussi des scènes comiques (comme celle avec les deux africains, stigmatisée comme raciste par les détracteurs du film, alors que Lars ne fait que mettre en scène le cliché du fantasme de la bourgeoise délirant sur la taille du sexe des noirs, mise en scène de très mauvais goût il faut l’admettre…), plus ou moins abouties (il y a quand même cet hilarant montage de pénis en gros plan, impayable), mais si on loupe la dimension grotesque et comique des films de Lars Von trier, on loupe un truc.
Et puis il y a l’autre grande scène du dyptique, celle vers la fin du premier volet où évoquant les polyphonies musicales, le cinéaste réinvente tranquillement le split-screen cher à Brian de Palma. Et le morceau de Rammstein qui déboule à la fin de l’intro du permier volet, ça dépote.
Au rayon des « fautes de goût » (cette expression s’applique-t-elle à Von Trier ? il joue tellement sur les fautes, volontaires, de ce type…), il faut quand même relever la chute, hilarante de ridicule, comme si Von Trier après avoir achevé sa toile la trouvait un peu trop propre et lisse, et la zébrait violemment d’un vilain coup de pinceau final.
A boire et à manger donc dans ce(s) film(s), dont un director’s cut s’impose (c’est quand même dommage de relever des faux-raccords peut-être volontaires et donc « signifiants », et de se demander si c’est du fait de Von Trier ou des coupes sauvages du producteur). Mais Von Trier reste indubitablement un des cinéastes les plus impressionnants en activité, pour le meilleur et pour le pire.